Si vous en doutiez, Bande dessinée en bibliothèque prouve que les bibliothécaires ne favorisent pas uniquement l’attachement à la chose écrite, mais entretiennent souvent une relation intense avec la bande dessinée, qui « ose » y associer l’image.
Parmi eux, vient spontanément à l’esprit l’exemple de Gilles Ratier, bibliothécaire à Limoges et longtemps secrétaire général de l’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD). Pendant de nombreuses années, celui-ci ne ménagea pas ses efforts pour produire un fort utile rapport annuel sur la production éditoriale de bandes dessinées francophones, fréquemment désigné d’après son nom.
Au quotidien, on ne peut que se féliciter du fait que les bibliothécaires se montrent de plus en plus connaisseurs de la bande dessinée. D’autant que ce livre rappelle l’importance de l’art séquentiel comme moyen d’encourager le public à fréquenter leurs institutions.
Depuis belle lurette, on n’y croiserait pas que des lecteurs d’un âge certain, amateurs de franco-belge normés au format de l’album « 48 CC ». De ceux qui n’osent pas toujours pousser jusqu’au coin jeunesse où se retrouvent sur les rayons dédiés aux bambins les classiques de leur enfance, des Schtroumpfs, en passant par Boule et Bill ou les Tuniques bleues…
Ajoutons que le manga fait venir maintenant deux générations d’amateurs. Même si certains professionnels marchent encore sur des œufs afin de déjouer tous ses pièges. Le dessin rondouillard en apparence inoffensif d’un Osamu Tezuka peut ainsi tromper le bibliothécaire néophyte, qui classera Black Jack dans ces mêmes rayons pour enfants. Mais on comprendra que — dur métier — confronté à l’abondance de titres, il n’ait pas toujours le loisir d’en ouvrir les premiers tomes et de comprendre le malentendu.
Comme le souligne l’ouvrage, les bibliothèques contribuent en outre à faire apprécier les comics. En effet, ils y sont particulièrement prisés. Une frange de lecteurs plus vieux et connaisseurs mise à part, le conseil du bibliothécaire joue néanmoins son rôle auprès d’un contingent croissant d’amateurs de films de super-héros confrontés là encore à une énorme production imprimée.
Tant et si bien que la vision d’un neuvième art « secteur méprisé ou réservé aux enfants a disparu des discours des professionnels », souligne le livre, dans une séduisante bouffée d’optimisme. Certes oui et tant mieux ! Las, d’expérience, la persistance de ce dédain peut se constater parfois chez quelques bibliothécaires. Et, dans ce cas, on frémit pour le fonds du lieu qui emploie ceux-là à l’acquisition de bandes dessinées et à l’incitation de leurs emprunts...
Mais pour en revenir à cet ouvrage collectif, il a été pensé « et rédigé par des bibliothécaires, documentalistes et médiateurs » culturels, sous la direction de Maël Rannou, lui-même bibliothécaire à Laval et très actif dans le milieu de la bande dessinée et du fanzinat.
Le livre embrasse un large champ d’étude, touchant à des domaines divers. S’il se veut une « boîte à outils », s’adressant aux professionnels en priorité, d’autres le consulteront aussi avec profit.
Le livre se compose de quatre parties. Les deux premières proposent une histoire de la bande dessinée et un panorama du secteur, dont leurs évolutions récentes, qui pourront intéresser, hormis les professionnels, un plus large public. Les deux suivantes abordent des aspects parfois plus techniques (classification, gestion de fonds, etc.) ou parlent de médiation et de la place de la bande dessinée dans l’enseignement secondaire ou supérieur.
Quoi qu’il en soit, le lecteur appréciera le côté informatif. Les « respirations » ménagées par un chapitre sur la bande dessinée documentaire ou les ajouts d’entretiens rendant le propos moins austère. Un lexique complète l’ensemble.
Didactique, un tel manuel procure des bases fondamentales aux bibliothécaires. Il sait se faire prescripteur. Au-delà, il distille des conseils pratiques et précis, fondés sur l’expérience. De la sorte, il aborde les sujets de l’accueil des dessinateurs en bibliothèque, de la façon précise d’organiser leurs interventions et de rémunérer leurs acteurs et le modérateur, etc.
Concocté par des auteurs issus de différentes régions de l’hexagone, l’ouvrage ne se focalise pas seulement sur Paris et l’Île-de-France, où la bande dessinée est généralement bien mise à l’honneur. Car il souligne le dynamisme d’institutions dédiées situées en province, jusqu’à de très actives bibliothèques municipales.
Les interviews incluses apportent des éclairages sur des établissements de différents échelons et statuts. On en sait plus sur la bibliothèque de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image (CIBDI) à Angoulême, l’exemplaire médiathèque La Bulle de Mazé-Milon, voire l’alliance innovante de la structure associative de la Maison Fumetti avec la bibliothèque municipale de la Manufacture à Nantes.
Le livre se présente, dès son introduction, « synthétique », et le demeure. Compte tenu de ses prétentions didactiques, il trouve là à la fois sa pertinence et sa limite. Puisque cet aspect synthétique produit, forcément, des frustrations à la lecture.
Certains passages, spécialement ceux censés servir à améliorer les connaissances de base de bibliothécaires débutants, sinon en exercice, auraient gagné à être étoffés. Nonobstant la densité du texte et des informations fournies, le constat d’un nombre total de pages relativement faible (176) accentue ce ressenti. Sur le roman graphique, les comics, le manga, d’autres bandes dessinées étrangères ou les petits formats à peine cités, si les manques sont avoués, le panorama paraît trop peu esquissé. Une nouvelle édition y remédiera probablement.
Un autre point négatif réside dans la cherté de ce livre, puisque plutôt mince donc, en noir et blanc et à couverture souple, il affiche un coût de 35 euros. En dépit d’un collectif de neuf auteurs à rémunérer et à ne pas léser bien sûr, les Éditions du Cercle de la Librairie n’auraient-elles pu le diminuer ?
Ceci aurait peut-être permis qu’il soit davantage lu, par-delà le cercle des seuls professionnels concernés ou celui également restreint de… la consultation sur place ou des emprunts en bibliothèque.
(par Florian Rubis)
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En logo de cet article : couverture du livre © 2018 Les auteurs & Éditions du Cercle de la Librairie.
Sur la bande dessiné en bibliothèque municipale, les limites de la classification de Dewey la concernant, la création d’une bédéthèque, une étude de Maël Rannou à consulter ici.