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Prix Asie de la Critique ACBD 2022 : de grands titres chez de (tout) petits éditeurs

Par Aurélien Pigeat le 23 mai 2022                      Lien  
Si le Prix Asie de la Critique ACBD devrait être à nouveau remis lors de la prochaine édition de Japan Expo, renouant ainsi avec sa tradition pré-covid, il fait néanmoins déjà preuve d’originalité avec cette sélection de cinq finalistes dans laquelle de tout petits éditeurs se taillent la part du lion.

Si d’habitude un certain équilibre tend à être respecté entre petits et gros éditeurs dans les sélections finales, l’édition 2022 se veut originale avec pas moins de trois éditeurs, sur cinq nominés, qui se voient pour la première fois distingués en sélection finale du Prix Asie de la Critique ACBD : Black Box, Huber et naban. Un cru exceptionnel dans sa démarche donc, puisque les trois derniers « nouveaux entrants » dans la sélection furent Futuropolis en 2021, Ototo en 2018 et Urban Comics en 2017, soit un « authentique » petit éditeur manga et deux gros éditeurs s’aventurant de manière très marginale et occasionnelle dans le domaine asiatique.

À côté de ces trois nouveaux venus, on retrouve néanmoins le leader incontesté des nominations, à savoir Kana, ainsi qu’Akata, un éditeur peu de fois nominé parmi les finalistes mais souvent débattu dans les discussions au sein du Comité Asie de l’ACBD comme le montre la présence de son catalogue dans le Hors Compétition du Prix Asie.

Enfin, avant de détailler les titres eux-mêmes, remarquons que la sélection comporte une majorité d’autrices : l’une, figure historique du manga, une autre jeune découverte, et la dernière étoile montante dans la profession.

Titre Auteur Éditeur
Adabana NON Kana
Destination Terra Keiko Takemiya naban
Irène Hideki Arai Black Box
La Princesse du château sans fin Shintaro Kago Huber
Saturn Return Akane Torikai Akata

Prix Asie de la Critique ACBD 2022 : de grands titres chez de (tout) petits éditeurs Adabana - Par NON – Kana

Dans une petite ville reculée, une jeune fille avoue le meurtre sordide de sa meilleure amie. Mais derrière ces aveux, a priori limpides, de grandes zones d’ombres se dessinent rapidement, qui sèment le doute à la fois chez les enquêteurs et chez le lecteur. Le récit, prévu en trois tomes, s’avance en levant progressivement le voile sur les différents aspects du mystère.

Outre un trait dont l’élégance rare contraste adroitement avec la brutalité de certaines scènes, la principale qualité de cette courte série réside dans sa capacité à tenir en haleine de lecteur et à lui faire tourner les pages afin de progresser dans l’intrigue. Il ne faut cependant pas craindre violence et perversion, éléments centraux de la narration et frontalement représentés. Le trouble produit contribue au succès du titre et l’on espère que la suite et la conclusion de cette histoire seront à la hauteur de la promesse de ce thriller habile, et pour l’heure, rondement posé.

- Destination Terra – Par Keiko Takemiya – naban

Série en trois tomes, Destination Terra constitue une œuvre patrimoniale parue entre 1977 et 1980, proposant un récit de science-fiction de Keiko Takemiya, une autrice considérée comme l’une des plus importantes de sa génération. En effet, celle-ci fait partie du « salon Oizumi », avec Moto Hagio (Le Cœur de Thomas), qui donnera naissance au Groupe de l’an 24 auquel on associe notamment Riyoko Ikeda (La Rose de Versailles). Pourtant, jusqu’à présent, les œuvres de Keiko Takemiya n’avaient pas encore été éditées en France, un oubli rattrapé par naban avec Destination Terra. On peut dès lors espérer que son autre œuvre majeure, Kaze to Ki no Uta, dans un genre tout autre, connaisse le même destin.

L’intrigue de Destination Terra, bien que futuriste, résonne avec notre propre actualité : le développement industriel effréné a rendu la Terre inhabitable et l’humanité a dû migrer à travers les étoiles. Mais la société née de cette migration, bien que cherchant à éviter de reproduire les erreurs du passé, se révèle tyrannique, imposant à chacun un contrôle absolu auquel le héros, un jeune garçon devant passer le test de maturité lui permettant d’entrer dans l’âge adulte, tente finalement d’échapper.

Datée par son graphisme et par sa narration, Destination Terra n’en demeure pas moins une œuvre puissante susceptible de parler au lecteur à de nombreux égards.

- Irène - par Hideki Arai - Black Box

Voici certainement l’œuvre qui apparaît comme la plus polémique au sein de la sélection. Non pas tant en elle-même, car Irène est une très belle réussite d’un auteur important, Hideki Arai, à qui l’on doit The World is mine (Casterman), La Vie devant soi (Akata) ou encore Ki-itchi (Delcourt). Mais plutôt du fait de son éditeur, Black Box, qui pose de sérieuses questions en termes de distribution. Voilà un titre qu’il sera difficile de se procurer en librairie, Black Box misant tout sur la vente directe et la relation avec ses clients sans passer par les intermédiaires. Et qu’il faudra se procurer rapidement puisque le tirage est annoncé comme limité à 500 exemplaires.

Série terminée en 6 volumes, tous parus ces derniers mois en deux livraisons, Irène nous plonge dans la campagne japonaise et nous entraine à la suite d’Iwao Shishido, un quadra vivant toujours chez ses parents et poussé à mettre fin à son célibat. Pour cela, il se rend aux Philippines et revient avec Irène, une jeune femme dont l’énergie et la fraicheur va bouleverser, pour ne pas dire fracasser, le cadre rural dans le cadre elle se trouve projetée. À la fois drôle, par son burlesque, et émouvant, par la justesse des situations et de relations dépeintes, Irène s’avère une indéniable réussite dont les qualités intrinsèques ne détonnent pas dans la sélection de ce prix.

La Princesse du château sans fin - par Shintaro Kago - Huber

One-shot (mais dont l’univers doit connaître une extension), La Princesse du château sans fin est une création de Shintaro Kago, dont une partie de l’œuvre a été jusque-là édité par IMHO (Fraction, Collision, Anamorphosis et récemment le décapant La Grande Invasion mongole. La Princesse du château sans fin reprend d’ailleurs le mélange de l’historique et du fantastique de ce dernier en proposant de revisiter un épisode central de l’histoire japonaise, la mort de Nobunaga suite à la trahison de Mitsuhide.

A la différence de tous ces titres, La Princesse du château sans fin découle d’un projet éditorial particulier : exclusivité italienne d’abord de Hollow Press, sens de lecture occidental, dans un format impressionnant rendant grâce aux planches incroyables du mangaka, et dont l’édition française chez Huber s’est faite via une campagne de financement participatif. Avec toutefois comme conséquence un peu d’amateurisme éditorial : fautes et coquilles jalonnent malheureusement la lecture.

Shintaro Kago imagine donc des univers parallèles sous la forme de gigantesques châteaux s’élevant dans le ciel au fur et à mesure de leurs histoires et se subdivisant lors d’événements marquants. Ainsi, dès le début de l’intrigue, deux châteaux se forment à la suite d’un duel entre Nobunaga et Mitsuhide : l’un à partir de la victoire du premier et l’autre avec celle du second. Le mangaka exploite alors, à la fois graphiquement et narrativement, les possibilités offertes par ce point de départ fantastique : les châteaux se voient et peuvent même interagir, les corps se dédoublent, les planches et actions deviennent les miroirs les unes des autres, etc. Foisonnant, La Princesse du château sans fin devient une œuvre totale, impressionnante par son audace et sa maîtrise, mais destinée néanmoins à un public mature du fait de certaines scènes crues.

Saturn Return – Par Akane Torikai – Akata

Ancienne assistante de Minoru Furuya, Akane Torikai construit depuis quelques années une œuvre d’une qualité absolument remarquable. On se souvent d’En proie au silence ou encore du Siège des exilées. Mais avec Saturn Return elle réalise tout bonnement un coup de maitre. La série, en cours au Japon, comptera trois volumes publiés en juin en France. Elle s’affirme comme l’une des grandes réussites de ce début 2022 par la finesse psychologique dont sa narration témoigne et par un dessin où la clarté sert paradoxalement d’assise à la nuance, à l’ambivalence et à l’incertitude.

Saturn Return nous entraine dans le sillage de Ritsuko Kaji, une jeune romancière qui connut un immense succès mais qui fait face à présent au syndrome de la page blanche. Lorsqu’elle apprend la mort d’un de ses anciens amis, tout un pan de son histoire refait violemment surface et la confronte à ses angoisses et à ses frustrations présentes.

Akane Torikai pose de nombreux thèmes dès l’entame de son récit : les affres de la création, la question du deuil, le regard rétrospectif sur sa jeunesse, le statut de femme au Japon et l’injonction à la maternité , ou encore le rapport que l’on entretient à son corps et que l’on cultive quant à son désir. La trame ainsi esquissée se déploie avec justesse et précision. On suit le parcours désabusé de Ritsuko, à la fois comme désaffectée, à tous les sens du terme, et désespérément plombée par une destinée dont elle cherche à démêler les fils pour lui redonner sens et en reprendre le contrôle.

C’est, pour le dire simplement, notre chouchou au sein de la sélection.
On aurait pu aussi évoquer l’époux d’Akane Torikai, mais outre le quasi contresens que cela aurait représenté précisément par rapport au tableau marital brossé dans Saturn Return, elle montre avec cette série que son nom en vaut bien un autre, et que cet autre pourra peut-être bientôt être désigné comme le mari de celle-ci.

Cette sélection de 5 finalistes est complétée, comme chaque fois, par une liste de titres « Hors Compétition », à la fois coup de cœur des différents membres du Comité et souvent titres ayant échoué à la porte de la sélection. Ainsi, c’est le cas du génial Look Back de Tatsuki Fujimoto (récemment exposé à Angoulême), indéniablement l’un des titres majeurs de cette année écoulée.

- Les Brumes écarlates, Wu Qingsong, éd. Glénat
- Dai Dark, Q-Hayashida, éd. Soleil
- The Fable, Katsuhisa Minami, éd. Pika
- Fool Night, Kasumi Yasuda, éd. Glénat
- Frieren, Kanehito Yamada, ed. Ki-oon
- Intraitable, Choi Kyu-Sok, éd. Rue de l’échiquier
- Look Back, Tatsuki Fujimoto, éd. Kazé
- Un Matin de ce printemps-là, Park Kun-woong, éd. Rue de l’échiquier
- Nine Lives Man, Chang-Sheng, éd. Paquet
- Que reste-t-il de nos rêves ?, Yumi Sudo, éd. Atelier Akatombo
- Le Rakugo, à la vie à la mort, Haruko Kumota, éd. Le Lézard noir
- Sakamoto Days, Yuto Suzuki, éd. Glénat
- Shit Chofu, Junichiro Saito, éd. Le Lézard noir
- Trait pour trait - Dessine et tais-toi !, Akiko Higashimura, éd. Akata
- Les Voyages de Kitaro, Shigeru Mizuki, éd. Cornélius

(par Aurélien Pigeat)

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