La sélection semblait particulièrement relevée cette année, comme le montre la qualité des quatre titres finalistes retenus aux côtés du gagnant. Mais, c’est le bluffant tome 1 d’Echolands par W. Haden Blackman et J.H. Williams III qui a, en définitive, remporté les suffrages de l’Association des Critiques et Journalistes de Bande Dessinée (ACBD).
Le cinquième prix Comics de la Critique ACBD a donc été remis à son éditeur français, Panini, lors du dernier festival Quai des Bulles de Saint-Malo. Notre chroniqueur Romuald Lefebvre a écrit dans ces colonnes tout le bien que nous pensions de ce titre. Celui-ci joue et se joue des mythologies de la Fantasy urbaine ou de la science-fiction et ose y croiser références, contes traditionnels et récits de magazines pulps.
Au-delà de l’exercice de style pur, cette création brillante prend juste pour prétexte de nous entraîner sur les pas de son avatar de Chaperon rouge, Hope. En réalité, il rehausse d’un cran les capacités d’expression du médium bande dessinée. Ce livre en met littéralement plein les mirettes, à chaque page tournée. Quel régal !
D’évidence, tel Little Nemo et ses oniriques aventures à Slumberland en leur temps, il allie la fascinante beauté plastique des formes à l’excellence du fond. Aussi, sans conteste, ce premier volume de la série Echolands répond parfaitement aux critères du prix.
À l’instar de la version originale de l’éditeur américain Image Comics (2021), l’édition en français de Panini a été publiée en format à l’horizontale (« à l’italienne »). Mais sa plus grande taille permet de profiter encore mieux — comme en CinemaScope — de la virtuosité de J.H. Williams III.
Rappelons que ce dernier avait illustré auparavant, entre autres, la série Promethea (scénario : Alan Moore, 1999) ou Batwoman : Elegy (sc. : Greg Rucka et W. Haden Blackman, 2009) et Sandman : Overture (sc. : Neil Gaiman, 2013). Tandis que le coloriste Dave Stewart revient sur Echolands pour magnifier, grâce à sa palette magique, le graphisme du dessinateur. Et ce, quels que soient les différents styles qu’il adopte tout au long du premier tome, pour renforcer la narration.
Reste un léger regret, toutefois, concernant le prix 2023 : la sélection finale ou la liste de recommandations de lecture qui l’accompagne, à consulter ici, salue moins qu’en 2022 les efforts manifestes poursuivis par divers éditeurs francophones de comics de cultiver la mémoire du médium. Pourtant, de source bien informée, la tentation de réitérer l’encouragement en ce sens exprimé l’an passé par le jury a stimulé derechef les débats de ses membres. Mais il est certes dommage que, la qualité étant autant au rendez-vous en ce qui concerne les nouveautés, cet aspect soit passé au second plan.
Soulignons toutefois qu’en dehors de Panini avec des incontournables de Marvel, d’autres ont spécialement œuvré à faire connaître des titres patrimoniaux auprès des lecteurs francophones. Et c’est heureux car une plus jeune génération de lecteurs trouvera également l’occasion de les découvrir par ce biais. Parmi eux, citons Animal Man ou Grendel (Urban Comics), Madman (Huginn & Munnin), Bloodstar, Den, Judge Dredd, Nexus ou Vampirella (Delirium), voire Love and Rockets (Komics Initiative), etc.
Hormis cela, The Nice House on the Lake par James Tynion IV et Álvaro Martínez Bueno (Urban Comics), qui se taille d’ailleurs un succès notable en librairie, aurait probablement pu figurer au palmarès du prix. Néanmoins, ce diptyque apparaît dans la liste de recommandations mentionnée plus haut. De surcroît, on notait au préalable sa présence dans Les 10 Indispensables de l’été de l’ACBD, autre liste de lectures préconisée tous les ans par l’association.
De même, on la remarque à nouveau dans la Première Sélection dévoilée depuis peu du Grand Prix de la Critique 2024 de l’ACBD, sa récompense annuelle majeure. The Nice House on the Lake figure ainsi parmi les quinze références en compétition. L’élection du vainqueur aura bientôt lieu.
Cette série à succès mêlant horreur et fin du monde, sur un concept de base à la Agatha Christie, s’y retrouve notamment et dans un registre très différent avec Environnement toxique (Casterman). Cette bande dessinée de témoignage de l’autrice Kate Beaton relate son expérience sur un site d’extraction pétrolifère au Canada et les dérives au sein de ce milieu hyper-machiste. Les deux, chacune à leur façon, apportent une dose de variété supplémentaire et bienvenue — représentative de la diversité toujours actuelle des publications anglophones — à la sélection du Grand Prix.
(par Florian Rubis)
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En médaillon : un extrait de la couverture d’"Echolands" tome 1./© 2023 W. Haden Blackman, J.H. Williams III & Panini.
"Echolands" tome 1 : "Le Calvaire de Hope" : – Par W. Haden Blackman, & J.H. Williams, colorisation de Dave Stewart – Panini Comics