À son rythme, L’employé du Moi creuse son sillon dans le paysage des éditeurs de bande dessinée. Créée en 1999 et basée à Bruxelles, cette maison d’édition produit des albums personnels et intelligents qui nourrissent savoureusement la bande dessinée dite alternative (pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, il faut se précipiter sur H27 de Younn Locard).
Avec Robin Hood, c’est à un mythe de la littérature (et du cinéma) que s’attaque Simon Roussin. Mais pas facile de passer après Douglas Fairbanks, Errol Flynn, Walt Disney et Kevin Costner, et avant Ridley Scott et Russell Crow. Simon Roussin a donc choisi le registre de la parodie, en se plaçant sous les bons auspices des séries télévisés des années 60. Avec ces dialogues faussement naïfs et ces postures réellement théâtrales, Zorro ou Thierry la Fronde ne sont pas loin.
L’histoire reprend les principaux épisodes de la légende de Robin des Bois en privilégiant les versions les plus anciennes (celle que nous connaissons aujourd’hui est le résultat d’une évolution longue de près de 600 ans). Le résultat est moins glamour que l’exige les canons du cinéma hollywoodien et réserve même quelques surprises, comme la révélation de sentiments très forts entre Robin et Petit Jean. L’humour issu du décalage entre le sérieux de l’intrigue et les réactions d’une innocence désarmante des personnages donne à l’ensemble une grosse touche de nonsense, de bon aloi pour un héros anglais.
Mais c’est évidemment le graphisme, faussement maladroit et réellement maîtrisé, qui donne toute la saveur à cet album. La parodie est un encore un peu plus accentuée avec ce dessin qu’on dirait tout droit sorti d’un cahier d’écolier. On imagine l’auteur recopiant ses illustrés favoris et coloriant les cases avec application, peut-être même la langue tirée, en choisissant dans sa trousse le feutre adéquat. Les couleurs, d’ailleurs, rappellent à certains moments l’audace (?) chromatique des années 1970, et à d’autres (notamment la première scène très réussie) les fulgurances des peintres fauves. Le résultat est certes déroutant, mais assez fascinant.
Sous des atours enfantins, Robin Hood est bien une BD conceptuelle qui propose une certaine lecture de son modèle. La postface précise ainsi que l’ambition de cet album est de « réévaluer ce que peut signifier la liberté dans notre culture » (au premier rang desquelles la revendication que « Robin Hood n’appartient pas à un groupe privé américain »). Un pari réussi pour qui ne se laisse pas déstabiliser par la forme de cette BD. Une question demeure cependant sur toutes les lèvres : qu’est passé par la tête de Petit Jean pour qu’il apparaisse dans tout l’album entièrement nu ?
(par Thierry Lemaire)
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