Dans le quartier de La Viña vivent Mariló et Chano, et de leurs enfants Carli et Kiko. Mariló, avatar de la mère du scénariste José Luis Vidal, se souvient. De la dureté de la vie, de la condition des familles soumises à un ordre immuable où les esprits indépendants n’ont pas leur place. À chaque génération ses frustrations, ses cicatrices, dont la plus béante est l’explosion de la poudrière des chantiers navals le 18 août 1947. Proche d’une usine de torpilles, elle fait plus de 500 morts et 5000 blessés. Deux quartiers - ceux de San Severine, et de San José- sont rasés, dont un orphelinat entier et un hôpital qui s’effondre.
De la plage de La Caleta, on peut assister à cette terrible explosion qui laisse s’épandre dans le ciel un épais nuage rouge et noir. Les souvenirs de Mariló, qu’elle consigne dans une sorte de cahier d’écolier, s’égrènent dans des allers-retours fantomatiques. Surgissent des personnages aux destins contrariés qui portent la vie avec courage et dignité, mais aussi sans illusion.
Il n’y a pas de morale à chercher dans cette histoire. C’est un moment du passé qui revient par bribes, avec des instants parfaitement stylisés par un Jorge González au sommet de son art. Dans un tempo croquis tout en suggestion, le dessinateur argentin reste dans l’évocation, ne s’appesantissant que sur les détails sensibles. La douleur, la perte notamment le deuil, la violence, la tendresse, l’amour, cet album est un entrelacs d’émotions… Car si les faits s’évanouissent des mémoires, ces sentiments-là s’impriment dans l’âme de chacun avec une évidence inextinguible.
Salpêtre est un livre fort, marquant, un de nos coups de cœur de l’été.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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