Les deux personnages ci-dessous sont les inspecteurs Craig et Fry. Ils apparaissent dans "Les Tribulations d’un Chinois en Chine", de Jules Verne. Est-il possible qu’ils soient à l’origine des personnages des Dupondt ?
J.P. Tomasi et M.Deligne en sont convaincus. Comme ils sont convaincus que, tout au long de son oeuvre, jusqu’à et y compris"Les Bijoux de la Castafiore", Hergé a puisé ses personnages, des anecdotes et des détails importants de son oeuvre dant celle du grand romancier français.
Et de citer des dizaines d’analogies qui tendraient à prouver que les racines de la plupart des albums de Tintin se trouvent dans les romans de Jules Verne.
Pourtant, Hergé disait n’avoir lu qu’un seul d’entre eux, une expérience qui l’avait tellement déçu qu’il n’avait jamais renouvelé l’expérience.
Les auteurs mettent carrément en doute sa bonne foi. En reprenant des extraits d’interview où il semble se contredire. Et en accumulant les exemples de similitudes entre les deux oeuvres, parfois troublants.
On y trouve un jeune garçon, Harbert Brown (L’île mystérieuse) décrit comme "intelligent, imaginatif, ne s’emporte jamais, réfléchit toujours avant d’agir. Fidèle en amitié, il est toujours disposé à risquer sa vie pour ses amis. Il lutte contre tout ce qui est mal, prend la défense des faibles et sait aussi pardonner à ses ennemis.". Tintin ! affirment les auteurs.
Il est accompagné d’un chien, Top (L’île mystérieuse), qui "possède toutes les qualités canines à leur plus haut degré : flair aigu, grande intuition, pressentiment des dangers. Il sauve son maître d’une mort certaine et permet à ses amis imprudents de retrouver leur chemin dans la forêt.". Et toc, voilà Milou tout craché ! renchérissent-ils.
Et puis, ces deux détectives, cités plus haut, Craig et Fry (Les tribulations d’un Chinois en Chine) : "Impossible d’être plus complètement identifiés l’un à l’autre, même cerveau, même pensées, même coeur, même estomac, même manière d’agir en tout.". Les Dupondt ! Les Dupondt !
Et Palmyrin Rosette, un savant qui rappelle furieusement Tournesol, et le titre "Le Lotus Bleu", que l’on trouve dans le roman "Claudius Bombarnac", et les parchemins du "Secret de la Licorne", copie de ceux des "Enfants du Capitaine Grant, et...
et... arrêtons-là les exemples.
Car si, effectivement, il est incontestable qu’il y a des analogies entre les deux oeuvres, des exemples sont tellement tirés par les cheveux qu’on sent que les auteurs avaient une thèse à démontrer et qu’ils ont lu tout l’oeuvre d’Hergé avec de gigantesques lunettes déformantes, interprétant tout dans leur sens.
Tellement sûrs d’eux qu’Hergé n’était qu’un sale pompeur, hypocrite et menteur de surcroît, ils tirent des conclusions péremptoires de ce qui n’est après tout que parallélismes entre deux oeuvres qui, ayant brassé tous les grands mythes de l’aventure, ne pouvaient qu’inévitablement se rencontrer.
L’analyse manque d’objectivité, de finesse, les mots utilisés sont graves : ils accusent tout bonnement Hergé d’avoir tiré des épisodes de "Tintin en Amérique" du "Tour du monde en 80 jours", d’avoir tiré la trame du "Lotus Bleu" des "Tribulations d’un Chinois en Chine", d’avoir pêché l’inspiration du "Trésor de Rackham le Rouge" dans "Vingt mille lieues sous les mers", etc.
A les lire, Hergé a carrément repris, pour chacun de ses albums, des passages précis de certains romans, comme s’il avait eu en permanence les romans de Jules Verne sous les yeux.Même s’ils avancent deux explications crédibles - Hergé aurait menti en affirmant ne pas avoir lu ses livres, ou plus simplement, les collaborateurs qui lui servaient de muse auraient, eux, dévoré Jules Verne toute leur enfance - les deux auteurs n’empêchent pas leur jeu d’analogies, vraiment amusant au début, de tourner à une énumération malsaine où l’on sent un manque de recul sur sa propre analyse.
Une analyse qui aurait pu donner un chouette article ludique dans une revue d’amateurs tintinophiles. Mais un livre de 160 pages ? Restons sérieux !
(par Patrick Albray)
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"Tintin chez Jules Verne", par JP Tomasi et M.Deligne, Editions Lefrancq.
Dessins d’Hergé © Moulinsart
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