Avant de dessiner pour de prestigieux journaux américains et français et de publier des livres, il en aura mangé de la vache enragée ! À croire que l’expression a été inventée pour lui. Certes, Thierry Guitard n’est pas le seul à avoir connu des galères avant de pouvoir vivre de son dessin. Mais lui n’a vraiment pas été épargné.
Issu d’une famille très modeste, comme on euphémise la pauvreté, il a connu la France des banlieues dans les années 1970 et 1980, la déscolarisation et même la prison. Une jeunesse difficile et mouvementée, qui pourtant jamais ne lui sert d’excuse. Il assume son parcours, son indépendance de caractère, ses réussites comme ses erreurs et ses errements.
Né en 1966 à La Rochelle, il doit trouver sa place au sein d’une famille qui s’étiole. Son père, infidèle, obtus et violent, ne lui témoigne aucune affection et n’hésite pas à l’humilier. Le déménagement en région parisienne n’y change pas grand chose, mêle s’il détermine en grande partie les jeunes années de l’auteur. La séparation de ses parents est un soulagement, mais lui fait connaître la misère. Sa mère tire le diable par la queue et parvient à peine à nourrir ses quatre enfants.
Thierry Guitard, en s’arrêtant à la fois sur son quotidien et sur ses souvenirs les plus marquants, raconte avec précision son enfance et son adolescence. Rétif à toute autorité, sauf peut-être celle de sa mère qu’il aide dès qu’il le peut, il commet très tôt de petits larcins, passe beaucoup de temps dehors et quitte le collège avant la fin de son année de 5e. Débrouille et solidarité ne se distinguent pas, à ce moment-là, de la petite délinquance. Jusqu’à ce que celle-ci le mène en prison, alors qu’il n’a que dix-neuf ans.
La narration est simple et directe. Chaque chapitre est consacré à une année, de 1974 à 1988. Le récit à la première personne permet d’éclairer les anecdotes de l’enfant avec le recul de l’adulte. Mais, sincère et lucide, Thierry Guitard ne se justifie jamais, ne se cherche pas d’excuses. Il présente sa situation de l’époque, rappelle le contexte social, explique les choix, sans faire appel au pathos ou au misérabilisme.
Cette honnêteté est soulignée par la force du dessin. Une ligne noire plutôt épaisse, un trait vif souvent aigu voire cassant, des couleurs franches en aplats, réalisées à l’acrylique, ajoutent de la puissance à un récit déjà passionnant. Seule la fin de l’ouvrage, qui raconte le séjour en maison d’arrêt, est plus sombre. Teintés de gris, d’un gris métallique rappelant les barreaux de la prison et l’ombre des cellules, ces passages sont comme le fond d’un gouffre qui, une fois touché du pied, permet de repartir à la surface.
L’auteur parvient finalement à dépasser l’autobiographie. Sa propre histoire devient un drame social, révélateur d’une époque et d’une ambiance. L’importance de la musique et du dessin dès son plus jeune âge, sa participation à l’émergence du mouvement punk, les déboires familiaux, la surdité du système scolaire à un parcours comme le sien, les comportements des forces de l’ordre témoignent d’une France en recomposition après la fin des Trente Glorieuses. Entre les réflexes tradi des institutions - le père, l’école, la police, la justice - et le bouillonnement de la jeunesse, il reste peu de place pour des rapports apaisés.
(par Frédéric HOJLO)
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Tout ou rien ! - Par Thierry Guitard - Nada Éditions - 17 x 27 cm - 224 pages couleurs - couverture souple - parution le 28 mai 2021 - 24 €.
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