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"Winter Trauma" : la série de Simon Hanselmann éditée par Misma ne faiblit pas !

Par Frédéric HOJLO le 25 juillet 2019                      Lien  
Le dessinateur Simon Hanselmann, installé à Seattle mais d'origine australienne, avait remporté en janvier 2018 le Fauve de la série au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême grâce au quatrième opus de "Megg, Mogg & Owl". Il revient cet été avec un "Winter Trauma" toujours aussi trash, drôle et désespéré, qui apporte encore davantage de profondeur à sa série.

Megg, Mogg et Owl : une sorcière, un chat et un hibou. Ajoutez Werewolf Jones, un loup-garou qui prend son aspect fantastique quand il est défoncé, c’est-à-dire quasiment tout le temps, et vous avez le quatuor inventé par Simon Hanselmann, Australien de Tasmanie vivant à Seattle, devenu en quelques années l’une des figures les plus marquantes de la bande dessinée alternative nord-américaine.

Mais, dans Winter Trauma, édité par Misma avant même sa parution aux États-Unis chez Fantagraphics, Owl a disparu. La lecture des précédents tomes, en particulier de Happy Fucking Birthday (2017), permet de comprendre aisément pourquoi. Il ne s’est pas volatilisé, n’a pas été enlevé par des extraterrestres avec la complicité des militaires de la Zone 51, ne cuve pas dans un coin et n’a pas été empoisonné par un membre du FSB. Il a simplement décidé de quitter la colocation. Il était temps !

N’importe qui aurait plié bagage bien avant lui... Owl subit, depuis l’adolescence, les brimades de ses « amis ». Il est leur souffre-douleur, encaisse les coups et les mauvaises blagues, malgré toute sa bonne volonté. Il a beau vouloir faire plaisir, il finit toujours par écoper des pires conséquences des bad trips de ses acolytes. S’il reste, c’est qu’il s’amuse quand même un peu de temps en temps et est vaguement amoureux de Megg. Mais les affres racontées dans Happy Fucking Birthday - livre qui a valu à Simon Hanselmann le Fauve de la série au FIBD 2018 - ont été les gouttes de trop. Owl a débordé. Owl a quitté la colocation.

C’est pourquoi il est totalement absent de Winter Trauma, mais devrait revenir, l’auteur nous le promet, dans le prochain volume de Megg, Mogg & Owl. Ce manque est presque une révolution. Non seulement il remet en cause l’équilibre de la série, fondée sur les relations au sein du trio éponyme, mais il ouvre la voie à encore plus de folie. Car c’est Werewolf Jones qui prend la place laissée libre par Owl dans la maison en colocation, l’un des personnages les plus cinglés de la bande dessinée contemporaine.

"Winter Trauma" : la série de Simon Hanselmann éditée par Misma ne faiblit pas !
Winter Trauma © Simon Hanselmann / Misma éditions 2019

Dans les quatre premiers volumes, dont le premier, Maximal Spleen, a été édité par Misma en 2014, le couple Megg et Mogg oscille entre l’euphorie liée à la consommation d’alcool et de drogue et la dépression inhérente à la vacuité de leur existence. Owl fait office de moraliste. Il est celui qui travaille, respecte les conventions sociales et cherche à vivre « normalement ». Son absence est comme le signal de l’abolition des limites, déjà repoussées fort loin, et son remplacement par Werewolf en est la conformation, voire l’officialisation.

Le couple s’enfonce toujours plus dans le néant. Alors que les relations de Megg et Mogg s’étiolent et que leurs finances sont au plus bas, ce qui les oblige même à ralentir leur consommation d’herbe, rien ne semble pouvoir les sortir de leur torpeur. Mogg, en particulier, n’a plus la moindre volonté - ou presque, puisqu’il s’offre encore quelques séances de pornographie en cachette. Megg est davantage combative, même si le terme est exagéré. Elle est en tous cas prête à tout pour conserver ses allocations malgré la sévérité croissante de l’administration.

Quant à Wereworlf Jones, il brise toutes les frontières de la « trashitude ». Du chem-sex à l’héroïne, rien ne l’arrête. Sa survie tient du miracle et le fait qu’il doivent s’occuper de ses enfants de temps à autre lui permet à peine de conserver une once de lucidité. Nous le découvrons pourtant dans Winter Trauma sous un nouveau jour... Que nous laisserons au lecteur le soin de découvrir. Sa présence, quoi qu’il en soit, est un catalyseur du pourrissement de l’ambiance dans la colocation et agit comme un révélateur. Megg commence à s’apercevoir, même si elle ne le formule pas encore, que la situation n’est plus tenable.

Winter Trauma est le volume le moins comique de la série. Quelques passages font sourire, mais c’est la désespérance qui domine. Pourtant, ce que Megg, Mogg & Owl perd en drôlerie, elle le gagne en maturité. Les personnages évoluent insensiblement, se posent davantage de questions et se rendent compte qu’ils devront bien, à un moment ou un autre, affronter le monde extérieur. Nous en apprenons aussi davantage sur leur passé et leur famille, que ce soit pour Mogg, considéré comme le fils à papa de la bande, ou pour Megg, dont la relation avec sa mère éclaire bien des choses.

Winter Trauma © Simon Hanselmann / Misma éditions 2019

Winter Trauma marque un tournant, dont des prodromes étaient posés dès Megg, Mogg & Owl à Amsterdam (2016). Alors que dans les précédents tomes l’insouciance, réelle ou feinte, dominait encore, le malaise y devient à la fois intérieur, formé d’angoisse et de névrose, et social, face à un monde triste et crade. Il apparaît de plus en plus clairement que la fuite dans les paradis artificiels n’est qu’un maigre palliatif, de moins en moins efficace, que les bitures et les trips ne suffisent pas à entretenir une amitié et encore moins à consolider un couple, et que le manque d’argent risque à terme de mettre fin à la fête, aussi triste soit-elle.

Le problème n’est donc pas soluble dans la drogue, mais le monde extérieur ne paraît pas non plus pouvoir l’arranger. La maison de Megg et Mogg est un dépotoir infâme, cloaque où les vestiges de leurs turpitudes forment un paysage déprimant. Les rues n’ont cependant rien à lui envier dans ce genre. La banlieue pavillonnaire impersonnelle comme le centre-ville sinistré ne donnent certainement pas envie de se promener... L’image représentant le centre des allocations, l’une des rares dans un format plus grand que celui des cases carrées de l’implacable « gaufrier » employé par Simon Hanselmann, témoigne parfaitement de l’état dans lequel se trouve la société. Malmenée par l’ultra-libéralisme en vogue dans les pays occidentaux, elle est cabossée et, un comble, culpabilisée par une administration inconsciente de son rôle idéologique.

Winter Trauma © Simon Hanselmann / Misma éditions 2019

Ce cheminement des personnages vers une forme de maturité est aussi celui de l’auteur. Les éléments autobiographiques, certes difficiles à déceler, se font plus prégnants. L’apparition de la mère de Megg, dans un long retour en arrière, nous en apprend beaucoup sur la sorcière à la peau verte, mais aussi sur le dessinateur à la jeunesse chaotique. Simon Hanselmann a sans doute souvent en tête ses années australiennes lorsqu’il dessine Megg, Mogg & Owl. Il s’est en outre adjoint l’assistance d’un artiste australien, HTML Flowers, pour la réalisation de l’un des épisodes de Winter Trauma [1]... Une autre façon de signifier qu’il ne tourne pas définitivement le dos à une période difficile de sa vie.

Il ne faudrait donc pas s’arrêter à une lecture superficielle de Winter Trauma, et plus globalement de toute la série Megg, Mogg & Owl, et y voir seulement un succession de délires trash. Cette dimension, bien sûr présente, permet finalement d’occulter - et donc, par un mouvement contradictoire qui caractérise souvent les œuvres importantes, de révéler - les qualités d’évocation psychologique, sociale et biographique de cette bande dessinée.

Winter Trauma © Simon Hanselmann / Misma éditions 2019

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782916254739

Winter Traum - Megg, Mogg & Owl vol. 5 - Par Simon Hanselmann - Misma éditions - édition originale : Bad Gateway, Fantagraphics Books, 2019 (traduit de l’anglais par Guillaume & Damien Filliatre Borja) - 20 x 26,5 cm - 176 pages couleurs - couverture souple avec jaquette plastique, broché - parution le 14 juin 2019.

Lire les premières pages de l’ouvrage.

Consulter le site de l’auteur & son tumblr.

Lire également des entretiens avec Simon Hanselmann sur les sites Libération.fr (par Marius Chapuis, 2017) & du9.org (par Xavier Guilbert, 2017).

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[1Épisode intitulé 28 jours plus tard.

 
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