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YAL SADAT : En souvenir de Louis le Hir...

Par le 7 février 2021                      Lien  
Louis Le Hir nous a quittés en décembre dernier, alors qu'il venait d'avoir 34 ans. Après discussion avec ses proches (et notamment avec son père Jean-Louis, lui-même auteur de BD), le journaliste Yal Sadat a souhaité "saluer aussi bien la mémoire de la personne que celle de l’œuvre, hélas trop courte, mais forte."

YAL SADAT : En souvenir de Louis le Hir...Au bout d’une année en forme de tunnel, Louis a disparu. Une année harassante, épaisse comme un brouillard. Ses personnages fendaient le même genre de brume, comme s’ils roulaient leur bosse au rythme abrutissant d’une grosse machine qui avance dans la boue - comme Clown et sa roulotte.

Parmi les deniers morceaux qu’on s’est échangés avec Louis, avant son départ (combien d’heures de musique a-t-il écoutées en dessinant ses planches ? Des dizaines, des centaines de milliers ?), il y avait deux thèmes issus du cinéma : celui du Cheval de Turin et celui de The Irishman (la mafia était une autre de ses passions, il était incollable, c’est comme s’il connaissait le script de ce film avant de l’avoir vu). Deux mélodies très différentes, mais portées par le même genre de ronron sinistre et sublime. Rien de mieux pour traverser l’année 2020, et pour exprimer la progression, lente et pénible, à travers le champ de ruines auquel le monde ressemblait alors. La calèche de Clown parait rouler au son d’un air comme ceux-là. Peut-être que les personnages de Bouche de cuir, l’album sur lequel il travaillait, avancent eux aussi sur cette cadence.

Clown tome 2 - par Louis Le Hir - Mosquito

La différence avec Clown, c’est la lumière. Pas seulement celle qu’on devine au bout du tunnel, mais celle qui sort de lui : un mélange de constance, de maîtrise et de pudeur face à l’adversité, définissant l’héroïsme du personnage. Plus qu’un alter ego, c’est un bon gros ogre coriace, qui n’a pas que le crâne rasé et la clope au bec en commun avec Louis. L’auteur de Clown avançait tête baissée, lui aussi, avec droiture en obstination, quels que soient l’état du monde et les conditions météo. En général, au fil de ses récits, les obstacles ne manquaient pas. Dans ce qui ressemble à un film de Tod Brwoning croisé avec les films d’horreur dont il s’abreuvait, les forains vicieux tendent un piège à Clown et à sa protégée. L’ogre résiste avec solidité, jusqu’à la vengeance, jusqu’à la violence. Comme dans les films avec Charles Bronson, qu’il vénérait et qu’il m’avait fait découvrir, le sang coule pour que soient défendus la veuve et l’orphelin. Clown surmonte sa peine, imperturbable, sans broncher. C’est un univers très mutique, à l’image de Louis, qui avait la grande politesse des taiseux : l’intensité du trait vaut mieux qu’un long discours.

Dans les amas de sang et de crasse foulés par Clown, il y avait donc de la lumière. Avec ou sans crayons, Louis conservait courage et optimisme. Bien sûr, il se désolait parfois du sort du monde. Il tirait souvent quelques sonnettes d’alarme face aux fléaux du moment, en vrac : grande numérisation planétaire (l’informatique, jamais été son truc), déréalisation des rapports humains, brutalité journalière, barbarie en résurgence. Mais c’était au nom d’un idéal : tout le monde devrait pouvoir purger sa violence dans l’art, pour peut-être trouver la paix. Si Louis l’a certainement trouvée aujourd’hui, c’est parce que depuis toujours, il avait l’art. Le sien d’abord : que ce soit ses premiers croquis, ses albums aboutis, ou même les riffs de blues viril pondus au fond de son garage (entre deux disques de Motorhead, Slayer ou AC/DC). Et puis il y avait le rire (on riait avec lui, comme un bossu), la fête, le son trop fort, les grands coups donnés sur le bar, le plaisir de gueuler pour s’entendre - ou de gueuler tout court.

Clown tome 1 - par Louis Le Hir - Mosquito

Et puis il y avait ces flots d’empathie, d’humanité qui débordaient. C’était un moraliste. Tout jeune, il semblait déjà avoir observé en silence, pendant des siècles, le manège des héros et des salauds. Il en tirait des convictions, des principes, qu’il gardait souvent pour lui. Peut-être que les grands romans qu’il avait lus, dès l’âge où d’autres savent à peine lacer leurs chaussures (Ellroy, Soljenitsyne ou Céline, dont le Voyage l’a sûrement inspiré pour American Clown), l’ont aidé à acquérir cette sagesse discrète. Stallone ou Van Damme, qu’il savait prendre au sérieux (« Il ne faut pas écouter les bruits du monde ! ») l’ont sûrement éclairé aussi. Toujours est-il que ce savoir encyclopédique, cette vie intérieure qui grouillait en lui et dans ses dessins, auront éclairé à leur tour ses lecteurs et ses amis de cette lumière reconnaissable entre un milliard.

On n’oubliera jamais cette lumière : elle nous servira de boussole pour avancer à sa manière, sans ciller, le long des routes cahoteuses, à ses côtés et à ceux de Clown.

Le Petit Poucet - Par Louis et Jean-Louis Le Hir - Mosquito

Texte : Yal Sadat.

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire également : Louis Le Hir : la mort d’un jeune dessinateur plein de promesses.

Photo de Louis Le Hir : Jean-Louis Le Hir.

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2 Messages :
  • YAL SADAT : En souvenir de Louis le Hir...
    8 février 2021 17:47, par Miniac

    Tout en délicatesse, votre hommage à ce jeune auteur dont je ne connaissais que le père, et naturellement les extraits de son travail, me donnent la furieuse envie de le lire ; merci à vous, M. Sadat.

    JFM.

    Répondre à ce message

    • Répondu par jonas demm le 14 février 2021 à  11:28 :

      Merci Yal pour ce texte qui témoigne bien de l’homme qu’était Louis.

      Répondre à ce message

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