dBD n° : 159 « Ce n’est qu’un début... »

Longtemps réduit à C’était la guerre des tranchées (Casterman) (selon certains !), Jacques Tardi est aujourd’hui à l’origine d’une œuvre bien plus large, qui sans être militante a su se nourrir de positions résolument engagées. Sa rencontre avec la chanteuse Dominique Grange n’est évidemment pas pour rien dans cette exigence, ferme mais sincère. Son dernier album revient de manière brillante et argumentée sur ce cheminement né dans une époque post-68 souvent moquée ou caricaturée. Frédéric Bosser ne pouvait donc pas passer à côté de cet événement éditorial et... politique que constitue la publication d’Élise et les nouveaux partisans (Delcourt). Une interview croisée [1] des deux auteurs sur un livre important et un regard sur les années 60 et 70 !

Lutter pour sa liberté, c’est aussi ce qui traverse le nouvel album de Pascal Rabaté, nouveau venu chez Rue de Sèvres. Rébellion face à sa classe sociale d’origine, utopie libertaire et amours d’arrière-saison constituent la trame de cette chronique de fin de vacances aux résonances plus politiques que romantiques. Le livre de Rabaté a pour cadre l’avant-68, son parti pris anarchisant et provocateur annonce en creux le contexte évoqué par Tardi. Une chronique anarcho-sentimentale qui témoigne une fois encore du talent d’un auteur qui a toujours « des choses à dire » comme on pourra le constater dans l’entretien qu’il a accordé à Isabelle Delorme.

La résistance, l’émancipation passent-elles aussi par le savoir et l’instruction ? Et si lutter pour un monde meilleur, plus juste ou différent était d’abord une affaire de lecture et... de livre ? Dans leur dernier album publié chez Dargaud, Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau s’intéressent au rôle du livre non seulement dans l’apport de connaissance mais aussi comme chemin vers la liberté. Rapport au savoir, fragilité de cet instrument de la transmission mais aussi symbole involontaire de la destruction de pans de la connaissance, tels sont les thèmes développés dans cet objet éditorial de près de 300 pages, La Bibliomule de Cordoue. Les propos du scénariste recueillis par Cathia Engelbach apportent un précieux éclairage à ce nouveau livre.

Parfois méfiant, circonspect devant certains « prêts-à-penser » ou engagements jugés obsolètes ou démodés, la nouvelle génération a également des choses à dire, à revendiquer, quitte à prendre des formes différentes, avoir recours à d’autres choix esthétiques ou graphiques. Ugo Bienvenu ou Timothé Le Boucher font partie de ceux-là et leur présence dans ce numéro s’intègre parfaitement à la tonalité générale.

Comment la BD peut-elle lutter pour survivre et ne pas disparaître ? La question peut paraître saugrenue devant la santé du secteur au regard des chiffres. Philippe Peter poursuit son panorama exhaustif et argumenté en revenant avec pertinence sur les difficultés que cache parfois cette « santé insolente » qui réduirait la BD à une variable d’ajustement dans une situation générale de crise du livre.

Surproduction, précarité des auteurs, arrivée du numérique, fuite en avant des éditeurs... Ces thèmes sont au cœur des préoccupations du secteur. Ils ont d’ailleurs fait l’objet d’une intéressante table ronde animée par Patrick Gaumer lors du dernier BD Boum à Blois. Un état des lieux qui interroge les enjeux auxquels auteurs, éditeurs et lecteurs auront à faire face dans les années qui viennent.

Pas de doute, le combat continue !