L’enfance de Pénélope Bagieu est un univers où tout est possible et où l’insouciance règne. Avoir un chat ? C’est OK ! Être trop forte en ski ? C’est OK ! Dormir chez une copine avec un garçon dans la chambre ? C’est, heu, presque OK.
Son adolescence est véritablement le creuset de l’esprit féministe de l’artiste et la prise de conscience écrasante de la réalité sexiste. Le moment où les seins d’une femme deviennent des attributs sexuels qui activent le radar des hommes, qui amènent à subir des abus dont on parle avec hantise. Bagieu aborde d’autres réflexions qui sont autant de leçons de chose, comme de se rendre compte qu’une médaille en sport ne vous rend pas invincible. Ou l’expérience de la mort de son chat qui vous confronte pour la première fois au deuil. Et puis, la contraception, c’est quoi ? Ainsi s’égrènent ces moments de l’existence qui font écho à la vie de tant de femmes.
L’objet au format carnet moleskine de l’ouvrage et le trait au crayon de papier, par leur côté quasiment intime, accompagnent bien ce récit autobiographique. Le tempo croquis, au trait libre, est à l’unisson des dialogues, truffés d’humour, expressifs et spontanés. Les planches au crayon à l’estompe qui décrivent la foule oppressante qui entoure le personnage engoncé dans le malaise, ou encore l’apparition d’un frère imaginaire qui s’efface avec déception d’un coup de gomme, sont autant de séquences marquantes.
On s’attache très vite à ce personnage, véritable boule d’émotion, révélant ses qualités comme ses défauts au fil des pages sensibles, entre rire et tristesse. Tout est centré sur les personnages. Les décors sont réduits aux seuls objets qui servent à la narration.
La libération de la parole des femmes explique la franchise très neuve de ce livre. Il parle aux femmes, aux adolescentes, pour leur dire qu’elles ne sont pas les seules à vivre ces changements parfois brutaux. Il montre que le sexisme et les inégalités démarrent plus tôt qu’on ne le pense, car s’exprimer en tant qu’adulte n’est déjà pas une chose facile, encore moins quand on est une adolescente…
Voici un album d’une grande sensibilité, intime et libérateur, qui témoigne des différentes étapes marquantes des débuts d’une jeune femme dans la vie sociale. Une expérience qui constitue un témoignage unique en même temps qu’un bel outil de transmission pour les générations futures.
(par Aurélie MONTEIX)
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Les Strates. Par Pénélope Bagieu (scénario et dessin). Gallimard BD. Sortie le 10/11/2021. 17 x 24 cm. 144 pages couleur. 22 €.
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