Si vous avez suivi un peu l’actualité Manga de 2022, le nom de Tatsuki Fujimoto ne vous est pas inconnu : auteur des séries à succès Fire Punch et Chainsaw-man, l’auteur avait reçu plusieurs coups de projecteur l’an passé, à commencer par une gigantesque exposition au Festival International de la BD. Dans la foulée, l’éditeur Kazé (maintenant Crunchyroll) avait publié un premier récit complet, Look Back et plusieurs compilations de nouvelles inédites en France, 17-21 et 22-26. Enfin, en avril dernier était publié sur Manga plus, la plateforme en ligne de l’éditeur Shueisha, ce nouveau one-shot Adieu Eri (Sayonara Eri en version originale).
Adieu Eri commence par un film, celui que Yûta a réalisé pour la fête de son lycée. Ce film est un peu particulier : on y voit les derniers mois de la vie de sa mère, malade et qui se sait condamnée. C’est elle qui a insisté pour que son fils filme chaque instant de leur vie afin de garder de beaux souvenirs une fois celle-ci partie. Ajoutant sa propre "pincée de fantaisie" à ce documentaire pour le moins étrange, le film de Yûta va recevoir un accueil critique plus que déplorable de la part de ses camarades.
Devenant la risée de son école, le jeune garçon envisage de mettre fin à ses jours en sautant du sommet de l’hôpital où sa mère est décédée. C’est là qu’il rencontre Eri.
Eri est une jeune passionnée de cinéma, elle s’est aménagée une petite salle de projection dans un bâtiment abandonnée et passe ses journées à visionner des films. Et surtout, Eri a adoré le court-métrage de Yûta ! Tellement qu’elle décide de miser sur le réalisateur en herbe et décide de lui partager ses connaissances cinématographiques. Débute une amitié qui va se construire au fil des pellicules, les fesses posées sur le vieux canapé d’un bâtiment désaffecté.
Une histoire se compose généralement d’une situation initiale, d’un élément perturbateur et d’une résolution. Notre situation initiale la voilà, mais dès qu’il s’agit de venir perturber un récit, Tatsuki Fujimoto n’a pas son pareil. Adieu Eri se compose d’une suite de retournements de situation très inattendus qui ne laissent aucun répit au lecteur. Quand nous pensons avoir saisi l’histoire, un nouvel élément apparait et chamboule notre perception du manga. C’est une œuvre polymorphe qui se réinvente plusieurs fois durant le récit et à ce titre, il ne nous est pas permis de rentrer plus dans le détail du scénario ; nous ne voudrions pas vous gâcher le plaisir de pénétrer vous-même, couche après couche, les différentes strates de ce mille-feuille scénaristique savamment préparé. Adieu Eri est une histoire aux mille facettes dans laquelle chacun pourra trouver son compte.
Tous ceux qui ont déjà lu Fujimoto connaissent son amour du cinéma, il n’est pas une seule de ses œuvres qui n’ait pas de scènes se passant devant un écran large. Ici, sa passion sert de toile fond pour aborder une multitude de sujets comme la création, le deuil, la mémoire ou l’amitié avec beaucoup de subtilités. Outre le cinéma, la marque de fabrique de ce mangaka est son découpage fin et efficace. Proposant du dynamisme dans les scènes d’actions de Chainsaw-man ou à l’inverse posant un rythme presque cinématographique dans Look Back, Tatsuki Fujimoto n’a de cesse de nous proposer des planches époustouflantes. Avec Adieu Eri, il s’est surpassé.
Le manga est essentiellement composé de cases horizontales les unes au-dessus des autres. Ces rectangles évoque le téléphone avec lequel Yûta filme sa vie et par lequel nous allons observer toute l’action. C’est la manière qu’a Fujimoto de nous faire ressentir l’écran que met Yûta entre lui et sa réalité. L’enchainement de séquences filmées par le protagoniste donne l’impression que nous ne sommes pas en train de lire un livre mais bel et bien de voir se dérouler la bobine d’un film. Fujimoto floute intelligemment la limite entre les vidéos de Yûta et sa réalité à tel point que l’on ne sait plus où commence et où s’arrête la fiction. Gardant le lecteur toujours en alerte, Fujimoto propose un récit tranche-de-vie qui confine au bizarre tout en sachant rester touchant et surprenant.
Ultime vertu de ce récit, il fait une excellente porte d’entrée dans la bibliographie de l’auteur. Nous avons mis en exergue à quel point cette œuvre était représentative de ce qui fait le sel de ce grand mangaka et de son œuvre, néanmoins contrairement à Look Back qui comportait beaucoup de composants autobiographiques et qui nécessitait de connaitre un peu plus l’auteur pour être pleinement apprécié, Adieu Eri, lui, plaira à tout amateur de seinen, de tranche-de-vie et de manga indé atypique (sans oublier les cinéphiles).
Nous vous invitons donc à prendre place non pas dans les sièges d’une salle obscure, mais dans un fauteuil profitant d’un bon éclairage pour pleinement profiter de la lecture de ce somptueux ouvrage !
(par Sacha PUAUX)
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