Angoulême 2016 : Romain Renard et "Melvile" en album, en musique, sur scène, en appli et en jeu vidéo !

C’est l’histoire d’un pari fou, ce genre de délire artistique qui tient autant du génie que d’une passion dévorante, mais dont on se dit que les chances de réussites sont si minces que le projet ne pourra jamais aboutir ! En tout cas, pas dans sa version originelle ! Et pourtant..

Le premier one-shot de l’univers de "Melvile"

Peut-être n’avez-vous pas encore découvert le premier tome de Melvile, un roman graphique de Romain Renard paru au Lombard et récompensé par plusieurs prix, dont celui du Prix Diagonale du meilleur album ? Prenons alors le temps de vous affranchir avant d’aborder l’actualité de cet univers captivant.

Melvile est une ville américaine fictive de 478 habitants. Après avoir longtemps vécu sur la richesse de ses forêts et de ses scieries détenues par la même famille pendant des générations (les pères donnaient aux fils les clés de l’entreprise en même temps que celles de la mairie), l’économie du bois s’est délitée, entraînant une exode des jeunes en dehors de la ville, cause du long déclin de Melvile.

C’est dans le cadre ce formidable projet que Romain Renard a dévoilé en 2013 un premier récit, L’Histoire de Samuel Beauclair, fils d’écrivain reconnu et écrivain lui-même, qui revient à Melvile dans l’espoir de trouver l’inspiration pour terminer son second livre. Poursuivi par les dettes, il est contraint d’accepter un travail de peintre, mais ses commanditaires vont éveiller en lui des sentiments qu’il croyait enfouis.

Le second tome qui vient de paraître, suit Saul Miller, la cinquantaine, revenu s’installer à Melvile, la ville de son enfance. Ses concitoyens se réjouissent de constater que ce brillant astrophysicien a su rester proche des gens. Entre ses balades en forêt et ses heures passées à observer les étoiles, le jeune retraité trouve en effet le temps de donner des cours particuliers à la petite Mia, 11 ans, ou de soutenir moralement ses voisins, un jeune couple qui ne parvient pas à avoir un enfant. Mais l’irruption de deux chasseurs souhaitant traverser sa propriété révèle une part plus sombre de sa personnalité. Étrangement buté et virulent sur le sujet, Saul refuse absolument de laisser qui que ce soit emprunter son jardin, décidément bien mystérieux.

Avec la longue et lente introduction de ce second tome, Romain Renard impose la « musique » de son récit : on sent qu’il en a étudié chaque scène, analysé chaque tempo, travaillé les images qui distillent les émotions qu’il veut procurer au lecteur. Et rapidement, on tombe dans le piège (ou l’on se pique au jeu...), et l’on s’abandonne pour vivre plusieurs semaines en compagnie de ces quelques personnages, au cœur d’un été étouffant.

Le voyage en vaut vraiment la peine, car ce second tome est encore plus réussi que le premier ! L’auteur a su travailler ses images pour trouver un terrain vierge entre réalité et fiction, mais il a surtout pu donner une épaisseur suffisante aux personnages pour que l’on puisse vibrer à l’unisson des événements qu’ils traversent. Son intrigue est mieux ciselée que dans le premier tome (pourtant déjà très réussi) : on navigue en permanence entre rêve et réalité, ne sachant plus distinguer l’un de l’autre, en écho aux propres troubles du héros Saul Miller, dont on suit la destinée. Dans la forme comme dans le fond, Melvile mérite vraiment bien l’appellation de roman graphique et, comme les tomes peuvent se lire indépendamment, rien ne vous empêche d’attaquer avec le second avant de prolonger votre découverte avec le premier.

Un concert-spectacle envoûtant

Le monde de la bande dessinée est presque trop exigu pour Romain Renard. Aussi l’artiste (comme mieux le définir ?) compose et chante des chansons qui accompagnent ses chroniques de Melvile. Il avait déjà proposé un premier spectacle après le premier tome, voilà donc une seconde performance qui est proposée au public.

Un univers envoûtant

Photo : Charles-Louis Detournay

Romain Renard, fatigué après sa prestation, mais heureux, donne encore un peu d’énergie à son public pour une séance de dédicaces après le spectacle

Photo : Charles-Louis Detournay

La Première a eu lieu samedi dernier à Bruxelles, à deux pas du domicile de l’auteur. Et le résultat dépassa largement nos attentes ! Chronique de Melvile se compose d’une alternance de chansons en anglais et de petites histoires en français, le tout sur des images et des films en noir et blanc, qui évoquent différentes époques de l’Amérique profonde.

Par l’ensemble de ces petites touches (musicales, visuelles et narratives), Romain Renard nous entraîne dans une ambiance particulière, tantôt étrange, tantôt réelle, parfois glauque, mais au fort potentiel attractif. Certains spectateurs y verront un lien à Twin peaks, d’autres à la littérature américaine du XXe siècle, comme ces descriptions de petites villes que l’on trouve chez Stephen King. Le résultat est une synthèse de tout cela, avec l’apport de l’univers de l’auteur, et un esprit parfois rock qui fait écho à une violence qui semble enfouie sous les épines des résineux, mais qui ne demande qu’à resurgir pour happer imprudents qui passent ! Délicieusement envoûtant !

Il ne faut d’ailleurs pas avoir lu les albums pour profiter de l’exceptionnelle prestation de l’auteur-musicien-compositeur-chanteur. Certes, certains noms font écho à des personnages secondaires des albums, mais dans une si petite ville, il n’y a pas des centaines de familles. Cela n’empêche pas de se laisser happer cette atmosphère particulière. Les festivaliers d’Angoulême pourront d’ailleurs en faire l’expérience, car Romain Renard s’y produira ce jeudi 28 janvier à 17h30 à l’Espace Franquin. Une superbe occasion de se dépayser après une première journée bien chargée : à ne pas manquer !

Le magnétophone, à droite de l’artiste, sert de vecteur pour les saynètes qui sont racontées par une voix off

Photo : Charles-Louis Detournay

Appli et jeu vidéo

À la fin de son concert, Romain Renard rappelle que le site web de Melvile permet également de prolonger cette aventure (ainsi que l’application disponible gratuitement). L’artiste invite d’ailleurs toutes les personnes bercées par cet univers à imaginer de nouvelles chroniques et les poster sur le site. Cette envie d’enrichir Melvile à travers divers types de collaborations et de médias a également permis de réaliser un jeu, développé par Technocité.

Fondé il y a 25 ans, Technocité est un centre de formation dédié aux nouvelles technologies. Tout au long de l’année, les deux centres de Technocité basés en Wallonie, accueillent 7 000 candidats à des formations allant de l’initiation aux suites bureautiques à la maîtrise des médias numériques.

Technocité a mis très tôt l’accent sur la pratique en proposant à ses étudiants la réalisation de projets émanant de demandes d’entreprises ou d’indépendants. C’est dans le cadre des festivités de Mons 2015 qu’Amélie Kestermans, la responsable des formations « Industries Culturelles et Créatives » du siège montois de Technocité a découvert le bédéiste Romain Renard, à l’occasion d’une représentation de son spectacle Melvile :

« J’ai découvert Romain Renard en allant voir son spectacle au Manège, nous a-t-elle expliqué. J’ai lu sa BD et testé l’application qui avait été développée pour le premier tome de Melvile. J’ai été séduite par son projet et l’univers qu’il avait développé. J’en ai parlé à l’un de nos formateurs qui s’occupe aussi du suivi de production en nous amenant des personnes ou des entreprises, en lui demandant s’il n’avait pas un contact avec Romain Renard. La connexion s’est faite grâce à l’un de nos anciens étudiants qui le connaissait et nous avons pu mettre sur pied un projet de jeu vidéo que nos étudiants de la formation « Transmedia & Gaming » réaliseraient. »

Un visuel du jeu "Melvile - Le 13ème Automne"

Composé d’un groupe de cinq personnes, l’équipe Skillfox, qui a réalisé trois niveau jouables d’un jeu vidéo basé sur Melvile, a dû relever plusieurs défis afin de matérialiser leur projet, comme nous l’explique Gaël Mestriau , Project Manager et le développeur du jeu Melvile – Le 13e automne :

« La difficulté était surtout de respecter le style graphique car c’est une BD. Le visuel est vraiment la chose la plus importante. Nous avons opté pour un design proche de l’aquarelle avec des dessins crayonnés et un effet papier grâce à des logiciels numériques qui nous ont permis de proposer ce rendu. Au niveau de la programmation, nous n’avons pas eu de difficulté particulière car nous avions toutes les licences Android et iOS mises à notre disposition dans le cadre de cette formation. Enfin, il y a eu tout un travail à faire au niveau de la maniabilité. On ne joue pas de la même façon sur tablette et sur un ordinateur. »

Autour de Romain Renard, l’équipe Skillfox qui a développé le jeu

Photo : Skillfox

Melvile est donc la preuve qu’on peut développer un univers très personnel, tout en faisant écho aux ressentis des lecteurs et en multipliant les collaborations afin de donner de l’ampleur au projet. Une réussite de bande dessinée qui fertilise les autres médias : un comble pour un roman graphique qui parle de l’intime d’une petite ville, presque hors du temps !