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Angoulême 2020 : Jean Frisano, tout ça c’était lui !

Par Florian Rubis le 5 février 2020                      Lien  
En 1987, Lug, dans une annonce reléguée dans le courrier des lecteurs informe ceux-ci du décès de Jean Frisano. Toute une génération marquée par les « couvertures françaises » peintes de super-héros de Fantask, Strange, Spécial Strange,Titans ou nombreux petits formats découvrit avec retard qui en était l'auteur. Les fans de comics des années 1970-1980 pouvaient enfin mettre un nom sur ce discret dessinateur, cover artist et illustrateur...

Un cartel placé dès l’entrée de cette belle exposition consacrée à Jean Frisano le spécifiait bien dans les étages du Vaisseau Moebius à Angoulême. Tous « les originaux présentés dans cette exposition ont été soigneusement choisis avec l’accord de la famille Frisano. »

La vie d’artiste et le rôle de passeur culturel « du mythique dessinateur des couvertures Lug » fait des nostalgiques aujourd’hui . Ils ont conservé la mémoire de ses créations. Elle fut célébrée de façon bienvenue par un ouvrage de ses proches, illustré, aux éditions marseillaises Neofelis (2016), qui avait initié sa « redécouverte ». Elle a été amplifiée par cette exposition.

Angoulême 2020 : Jean Frisano, tout ça c'était lui !
Le Tarzan d’Edgar Rice Burroughs adapté par Hal Foster, dont Frisano fut un continuateur français, devait l’influencer durablement. Son incarnation cinématographique Johnny Weissmuller en portrait à droite.

Ce dessinateur d’origine italienne avait débuté professionnellement en 1948, employé par Ettore Carozzo et la SAGE (Société anonyme générale d’édition), à dessiner des couvertures. Puis, il reprit des comic strips américains tels Tarzan, Mandrake le Magicien, Le Fantôme du Bengale ou des séries d’Alex Raymond.

Ses portraits de stars hollywoodiennes attestent particulièrement de ses capacités en matière de représentation réaliste...
...qui rejaillissent dans ses couvertures pour les petits formats.

Il collabora ensuite avec les périodiques d’autres éditeurs ou avec le monde du cinéma. Ses travaux d’affichiste, ou plus personnels, célébraient une certaine Amérique et ses icônes, dans la représentation desquelles s’épanouissait son réalisme pictural photographique. Il était manifeste dans ses portraits très ressemblants de vedettes hollywoodiennes. Tout ceci se retrouva dans la réalisation de couvertures de nombreux petits formats.

Confronté à l’exubérance graphique de Jack Kirby, il en donnait de probantes réinterprétations, dans un style très différent toutefois et empreint de retenue. Mais il prisait la production de John Buscema et sa version du Silver Surfer.

À partir de 1969, pour les éditions Lug et son directeur Marcel Navarro, il dut produire à un rythme soutenu des « couvertures françaises » de récits de super-héros qui devaient passionner beaucoup de jeunes lecteurs des années 1970-1980. Las, telles celles de Floyd Gottfredson pour Mickey ou Carl Barks pour les canards de Walt Disney, ses réalisations demeurèrent trop longtemps anonymes.

Une couverture en noir et blanc de "Fantask" et d’autres de "Strange", quand le mensuel publiait Daredevil revu par Frank Miller.

Jean Frisano finit par opter, afin de favoriser sa rapidité d’exécution, pour le recours à des gouaches colorisées, conservant un modelé réaliste. Il subissait la pression éditoriale ou la censure due à la loi sur les publications destinées à la jeunesse.

Mais pour faire bouillir la marmite coûte que coûte, il élaborait ses couvertures, élément primordial de l’acte d’achat du magazine, en y dessinant des personnages ou d’après du matériel de dessinateurs américains « qui ne l’intéressaient pas vraiment » parfois. Alors que lui-même était sans doute doté d’un tempérament trop artistique pour cette tâche.

Il ne se sentait pas très concerné par certains protagonistes qu’il jugeait très froids comme le Machine Man de Jack Kirby ou le cyborg Rom, de Bill Mantlo et Sal Buscema, le frère cadet de John Buscema, qu’il appréciait pourtant.

Daredevil, comme Spider-Man, est représenté de préférence dans une posture cinétique. Sinon, on voit le cyborg Rom et au-dessous une galerie d’œuvres d’inspiration western.
Un mur d’exemplaires de "Strange", "Spécial Strange" et "Titans" dont les couvertures ont été produites par Jean Frisano.

Rom, le Chevalier de l’Espace, avait été conçu pour faire vendre une gamme de jouets. Jean Frisano l’ignorait cependant, tout en réprouvant la dérive horrifique contradictoire du scénariste de la série. Il faut dire que, la plupart du temps, très peu de documentation lui était fournie par le commanditaire pour réaliser ses images et il s’inspirait de ce qu’il voyait dans les comic books américains.

Quoi qu’il en soit, dans les limites qui lui étaient imparties, il parvint à laisser s’exprimer sa propre technique picturale d’une manière dont on se souvient. Tandis qu’un grand décalage existait entre ses couvertures et les styles respectifs des dessinateurs illustrant les épisodes publiés à l’intérieur des magazines de Lug.

Un héros de pulps américains comme Doc Savage inspirait plus Frisano qu’Iron Fist, avatar néanmoins réussi de Bruce Lee. Ce dernier fut d’abord dessiné par Gil Kane, adepte lui aussi des postures véloces, et ensuite par John Byrne. Le même créa l’équipe super-héroïque canadienne Alpha Flight, en bas à gauche. Au-dessus, Rom à nouveau.
Ici, une couverture de "Spécial Strange", d’après la mythique saga du Phénix Noir, de Chris Claremont et John Byrne.

Ces couvertures devaient néanmoins se figer sur les rétines et dans la mémoire d’au moins toute une génération de leur lectorat. Le seul artiste notable qui devait frapper les esprits en dehors de lui dans l’art des « couvertures françaises » fut... italien. Il s’agit de Ciro (« Cyrus ») Tota. Mais sa continuation ne dura pas, même s’il créa par ailleurs, notamment, Photonik.

Thomas Frisano (né en 1963, "Les 12 Travaux d’Art Cool", avec J.-P. Dionnet) en vint très jeune à aider dans son travail aux cadences soutenues son père Jean Frisano (1927-1987), en outre frère du dessinateur Pierre Frisano (1934-2013).
Jean Frisano fut également sollicité pour des couvertures liés à des licences célèbres de science-fiction, comme "Star Wars" ou "La Planète des Singes".

Il serait donc souhaitable de rendre à nouveau disponible l’ouvrage de Neofelis, épuisé, déjà difficile et cher à se procurer. Espérons en outre que l’exposition puisse continuer à être visible.

Sinon le caractère éphémère de cet événement angoumoisin et le prix onéreux aussi du coffret (99 €) d’une sélection de reproductions d’œuvres qui l’accompagnait ne suffiront pas à faire sortir complètement l’artiste de son anonymat persistant. Et il serait dommage dorénavant qu’il ne demeurât culte que pour ses fans de toujours.

(par Florian Rubis)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : Spider-Man représenté par Jean Frisano, sur la couverture de « Strange » n°41. Il appréciait le personnage pour sa vélocité.

Pour toutes les illustrations : © Jean Frisano, Thomas Frisano et ayants droit. Pour tous les personnages représentés : © Les auteurs & Marvel, et/ou les licences concernées, ainsi que les auteurs et leurs éditeurs respectifs pour les petits formats.
Les photos : © 2020 Florian Rubis.

"Jean Frisano, une vie d’artiste" – Par Philippe Fadde, Thomas et Sylvia Frisano, illustrations de Jean Frisano - Éditions Néofélis
https://www.neofelis-editions.com/catalogue/jean-frisano/

"Jean Frisano, de Tarzan à Marvel, l’Amérique fantasmée"

https://www.bdangouleme.com/jean-frisano-tarzan-marvel-amerique-fantasmee

Le coffret présenté sous forme de portfolio proposait 80 reproductions des fabuleuses couvertures du magazine "Strange", réalisées à la gouache par Jean Frisano :
https://www.bdangouleme.shop/les-catalogues-d-exposition/31-jean-frisano-de-tarzan-a-marvel-l-amerique-fantasmee-coffret.html

 
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7 Messages :
  • Angoulême 2020 : Jean Frisano, tout ça c’était lui !
    5 février 2020 19:52, par Henri Khanan

    Pas encore de commentaires ? J’ouvre le feu, Florian Rubis !
    Cette expo rend un hommage (bien tardif) à un formidable illustrateur.
    Ceci dit, il y a une imprécision dans votre article.. Quand vous écrivez " Puis, il reprit des comic strips américains tels Tarzan, Mandrake le Magicien, Le Fantôme du Bengale ou des séries d’Alex Raymond", on peut penser qu’il prolongea les histoires. Or, ce n’est pas le cas. Il se contentait de fournir des couvertures inédites, tout simplement parce qu’il s’agissait de récits complets reprenant des strips publiés dans la presse US qui ne comportaient pas de couvertures !
    Sinon, je voudrais ajouter une remarque sur un détail qui m’a toujours étonné.Frisano a toujours dessiné Iron Man comme s’il portait un masque (latex, tissu ?). Or vous savez sans doute qu’il s’agit d’une partie de son armure. On le voit pourtant sourire ou souffrir(ou avoir l’air ennuyé, étonné...)

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    • Répondu par Florian Rubis le 9 février 2020 à  20:35 :

      Bonjour,
      bien vu et mauvaise formulation plutôt (retour d’Angoulême...), car en effet il est plutôt question là de couvertures, comme pour "Tim Tyler’s Luck" ("Raoul et Gaston"/"Richard le Téméraire") ou "King of the Royal Mounted" ("King - Roi de la Police montée"). Pour les séries, il dessine, par exemple, "Tinto", dont je me souviens avoir vu une belle demi-page à l’encre de Chine avec des Amérindiens dans l’exposition. On y découvrait également deux cases d’un admirable essai de western à la Tex Willer, etc.

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  • Angoulême 2020 : Jean Frisano, tout ça c’était lui !
    6 février 2020 09:45, par Fred Poullet

    Je ne comprends pas très bien ce que vous entendez dans l’expression "gouaches colorisées"... Est ce que vous voulez dire qu’il passe de la peinture à l’huile de ses premiers travaux à la gouache pour les couvertures LUG ? Mais "colorisées" ??? Merci à vous.

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    • Répondu par Florian Rubis le 9 février 2020 à  21:16 :

      Rebonjour,
      oui, Jean Frisano est passé de la peinture à l’huile à la gouache.
      J’ai ajouté la précision "colorisées" en pensant à distinguer du lavis, utilisé d’ailleurs parfois dans des bandes dessinées.
      Comme pour l’aquarelle, composée aussi de pigments et d’un liant (du type gomme arabique), on peut également en obtenir avec de la gouache, à partir d’un seul pigment, en diluant et en jouant sur sa plus grande opacité.
      Par contre, les couvertures colorées et en mouvement de Lug de Frisano, à la technique particulière, se signalaient par leur rendu à la texture épaisse et pleine de relief.
      Je dois avouer en conserver un vif souvenir, comme d’autres manifestement...

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  • Je me souviens de l’opération « Best of 20 ans Panini » en 2017, tous le gratin de la bd, Sfar, Trondhem, Bagieu, Vives, Tarquin etc, est invité à réaliser une couverture d’un titre Marvel.
    Pas une n’a été réalisé par Thomas Frisano ! Il aurait confectionné une illustration de bien meilleure facture !! Quel mépris avéré pour cet artiste de Lug… Le magazine STRANGE est incontournable dans l’implantation des personnages de Marvel en France !!

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    • Répondu par Henri Khanan le 6 février 2020 à  14:27 :

      Pas du mépris, sans doute simplement de l’ignorance. Quand on ressort des traductions de rédactionnel paru en Italie en françisant le nom du signataire, c’est qu’on a peu de compétence sur le territoire national.
      Avant vers 1980, on trouvait les fascicules bon marché de Lug (Strange, Titans, Nova, etc) dans tous les kiosques. Maintenant, c’est surtout dans les relais-H et les comics-shops des grandes villes !

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      • Répondu par CHRIS le 6 février 2020 à  20:04 :

        … De Neal Adams, Leinil F. Yu à Trondhem pour les X-men,
        et Punisher, de Buscema, Parlov à Sfar… c’est plutôt du foutage de gueule, non ?

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