Un cartel placé dès l’entrée de cette belle exposition consacrée à Jean Frisano le spécifiait bien dans les étages du Vaisseau Moebius à Angoulême. Tous « les originaux présentés dans cette exposition ont été soigneusement choisis avec l’accord de la famille Frisano. »
La vie d’artiste et le rôle de passeur culturel « du mythique dessinateur des couvertures Lug » fait des nostalgiques aujourd’hui . Ils ont conservé la mémoire de ses créations. Elle fut célébrée de façon bienvenue par un ouvrage de ses proches, illustré, aux éditions marseillaises Neofelis (2016), qui avait initié sa « redécouverte ». Elle a été amplifiée par cette exposition.
Ce dessinateur d’origine italienne avait débuté professionnellement en 1948, employé par Ettore Carozzo et la SAGE (Société anonyme générale d’édition), à dessiner des couvertures. Puis, il reprit des comic strips américains tels Tarzan, Mandrake le Magicien, Le Fantôme du Bengale ou des séries d’Alex Raymond.
Il collabora ensuite avec les périodiques d’autres éditeurs ou avec le monde du cinéma. Ses travaux d’affichiste, ou plus personnels, célébraient une certaine Amérique et ses icônes, dans la représentation desquelles s’épanouissait son réalisme pictural photographique. Il était manifeste dans ses portraits très ressemblants de vedettes hollywoodiennes. Tout ceci se retrouva dans la réalisation de couvertures de nombreux petits formats.
À partir de 1969, pour les éditions Lug et son directeur Marcel Navarro, il dut produire à un rythme soutenu des « couvertures françaises » de récits de super-héros qui devaient passionner beaucoup de jeunes lecteurs des années 1970-1980. Las, telles celles de Floyd Gottfredson pour Mickey ou Carl Barks pour les canards de Walt Disney, ses réalisations demeurèrent trop longtemps anonymes.
Jean Frisano finit par opter, afin de favoriser sa rapidité d’exécution, pour le recours à des gouaches colorisées, conservant un modelé réaliste. Il subissait la pression éditoriale ou la censure due à la loi sur les publications destinées à la jeunesse.
Mais pour faire bouillir la marmite coûte que coûte, il élaborait ses couvertures, élément primordial de l’acte d’achat du magazine, en y dessinant des personnages ou d’après du matériel de dessinateurs américains « qui ne l’intéressaient pas vraiment » parfois. Alors que lui-même était sans doute doté d’un tempérament trop artistique pour cette tâche.
Il ne se sentait pas très concerné par certains protagonistes qu’il jugeait très froids comme le Machine Man de Jack Kirby ou le cyborg Rom, de Bill Mantlo et Sal Buscema, le frère cadet de John Buscema, qu’il appréciait pourtant.
Rom, le Chevalier de l’Espace, avait été conçu pour faire vendre une gamme de jouets. Jean Frisano l’ignorait cependant, tout en réprouvant la dérive horrifique contradictoire du scénariste de la série. Il faut dire que, la plupart du temps, très peu de documentation lui était fournie par le commanditaire pour réaliser ses images et il s’inspirait de ce qu’il voyait dans les comic books américains.
Quoi qu’il en soit, dans les limites qui lui étaient imparties, il parvint à laisser s’exprimer sa propre technique picturale d’une manière dont on se souvient. Tandis qu’un grand décalage existait entre ses couvertures et les styles respectifs des dessinateurs illustrant les épisodes publiés à l’intérieur des magazines de Lug.
Ces couvertures devaient néanmoins se figer sur les rétines et dans la mémoire d’au moins toute une génération de leur lectorat. Le seul artiste notable qui devait frapper les esprits en dehors de lui dans l’art des « couvertures françaises » fut... italien. Il s’agit de Ciro (« Cyrus ») Tota. Mais sa continuation ne dura pas, même s’il créa par ailleurs, notamment, Photonik.
Il serait donc souhaitable de rendre à nouveau disponible l’ouvrage de Neofelis, épuisé, déjà difficile et cher à se procurer. Espérons en outre que l’exposition puisse continuer à être visible.
Sinon le caractère éphémère de cet événement angoumoisin et le prix onéreux aussi du coffret (99 €) d’une sélection de reproductions d’œuvres qui l’accompagnait ne suffiront pas à faire sortir complètement l’artiste de son anonymat persistant. Et il serait dommage dorénavant qu’il ne demeurât culte que pour ses fans de toujours.
(par Florian Rubis)
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En médaillon : Spider-Man représenté par Jean Frisano, sur la couverture de « Strange » n°41. Il appréciait le personnage pour sa vélocité.
Pour toutes les illustrations : © Jean Frisano, Thomas Frisano et ayants droit. Pour tous les personnages représentés : © Les auteurs & Marvel, et/ou les licences concernées, ainsi que les auteurs et leurs éditeurs respectifs pour les petits formats.
Les photos : © 2020 Florian Rubis.
"Jean Frisano, une vie d’artiste" – Par Philippe Fadde, Thomas et Sylvia Frisano, illustrations de Jean Frisano - Éditions Néofélis
https://www.neofelis-editions.com/catalogue/jean-frisano/
"Jean Frisano, de Tarzan à Marvel, l’Amérique fantasmée"
https://www.bdangouleme.com/jean-frisano-tarzan-marvel-amerique-fantasmee
Le coffret présenté sous forme de portfolio proposait 80 reproductions des fabuleuses couvertures du magazine "Strange", réalisées à la gouache par Jean Frisano :
https://www.bdangouleme.shop/les-catalogues-d-exposition/31-jean-frisano-de-tarzan-a-marvel-l-amerique-fantasmee-coffret.html
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