Angoulême 2023 : Barbara Canepa et Clotilde Vu passent de Soleil (Groupe Delcourt) à Oxymore

Barbara, vous avez travaillé plus vingt ans avec Soleil, tout d’abord comme autrice, puis comme éditrice. Donc vous connaissez bien Mourad Boudjellal ?

Barbara : Oui, Mourad a été mon premier éditeur en France, car je collabore comme autrice avec les Éditions Soleil depuis 1999, l’année où j’ai signé mon premier contrat d’édition pour Sky Doll. Par la suite, les collections Métamorphose et Venusdea ont respectivement vu le jour en 2008 et 2009, encore grâce à lui, sachant qu’il y a quinze ans, je ne parlais presque pas le français. Donc, chapeau bas, monsieur, pour la confiance !

Je portais donc cette double casquette d’autrice et d’éditrice depuis quasiment deux décennies aux Éditions Soleil. Ce qui ne m’a pas empêchée, au cours de ces années, de signer des contrats d’édition en tant qu’autrice avec d’autres maisons d’édition comme Dargaud, Casterman ou Le Lombard. Je suis néanmoins toujours restée fidèle à Soleil.

Comment avez-vous rencontré Clotilde ?

Barbara : J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire de Guillaume Bianco, lorsque je réfléchissais à propos des collections Métamorphose et Venusdea. Il a tout de suite été évident qu’elle deviendrait cocréatrice de ces deux collections, vu que nous partagions de nombreux goûts en commun ainsi que les mêmes implication et vision dans le travail. Clotilde et moi sommes complémentaires, et nous ne pourrions désormais plus créer l’une sans l’autre. En 2009, Clotilde a donné de son côté naissance en solo à la belle collection Noctambule.

Vous renouez donc maintenant avec Mourad Boudjellal dans la nouvelle structure qu’il vient de fonder pour Madrigall...

Barbara : Je crois à la destinée, et ce n’est sans doute pas un hasard si Mourad, Clotilde et moi concrétisons cette nouvelle aventure ensemble. Nous avons une même passion qui nous anime tous les trois : celle du livre. Il s’agit d’un véritable amour pour cet objet si magique. Par ailleurs, Mourad est une personne qui aime les défis, tout comme nous. Au niveau éditorial, Clotilde et moi avons toujours eu une grande confiance en lui et beaucoup de reconnaissance pour ce qu’il nous a permis de créer.

Concernant notre départ du Groupe Delcourt, la vie est ainsi faite... Il existe parfois des facteurs qui viennent compliquer et abîmer les collaborations, révélant des éthiques et des points de vue différents. Et dans ce cas-là, un choix devait être fait. Me voici donc, à cinquante-quatre ans (récemment fêtés) prête à recommencer une nouvelle aventure. Mais pourquoi pas ?! Carpe diem…

En tant qu’éditrice externe, je dispose d’un contrat de créatrice de collection renouvelable tous les deux ans, que j’ai donc pris la décision de résilier. Cette décision n’a pas été facile à prendre. Nous en avons longuement discuté avec Clotilde, pesé les « pour » et les « contre », mais notre relation avec Guy Delcourt s’était beaucoup abîmée...

Clotilde : De mon côté, je disposais d’un contrat de salariée depuis vingt ans, et d’un contrat de créatrice de collection également renouvelable tous les deux ans depuis quinze ans. Quand Barbara et moi avons pris cette décision difficile de quitter le Groupe Delcourt/les Éditions Soleil auxquels nous étions attachées, j’ai donc également résilié ce contrat de créatrice de collection, qui a pris fin le 31 décembre 2022. Jusqu’à cette date, nous avons tenu nos engagements en continuant à assurer le suivi éditorial des ouvrages des collections, non sans rencontrer certaines difficultés comme des annulations de parutions, ou le fait d’avoir été licenciée de mon poste de salariée peu après l’envoi de nos lettres de résiliation et la communication de notre départ, en tant que créatrices de collection, aux auteurs avec lesquels nous avons collaboré...

Votre départ de Soleil surprend, vous aviez tout de même la possibilité de lancer sur le marché des ouvrages innovants, tant dans la forme que le fond.

Barbara : La situation actuelle est complexe pour pouvoir vous répondre en détails, mais l’important à savoir, c’est que Clotilde, Jean-Luc [Istin] et moi-même, mais aussi tout le reste de l’équipe éditoriale d’Oxymore, nous ferons de notre mieux pour vous offrir de très beaux livres, univers et histoires.

Clotilde : Ce qu’on peut en tout cas vous dire, c’est que Guy Delcourt - bien que déconcerté au début par certains de nos partis pris éditoriaux comme Les Carnets de Cerise, une série d’albums jeunesse à forte pagination et au prix affiné en conséquence (ce qui n’était pas usuel dans la bande dessinée) - s’est rendu à l’évidence de la raison de nos choix, au vu du succès rencontré. La scission que nous avons vécue, ainsi que ses conséquences, viennent surtout du fait, comme l’a dit Barbara, d’une dégradation de la qualité de notre collaboration...

Les Carnets de Cerise

Parlons alors de votre futur… que vous ne pouviez envisager qu’en prolongeant votre collaboration entre vous deux ?

Barbara : La question ne se pose pas, en effet ! Comme je vous l’ai confié, nous sommes comme un « couple » (rires). Mise à part, la confiance, totale et réciproque, que nous avons l’une pour l’autre, Clotilde est aujourd’hui - après mon compagnon et ma mère - la personne qui me connaît le mieux.

Clotilde : Ce que dit Barbara me touche au plus haut point… En effet, ce qu’on a traversé au fil de ces quinze ans - les succès, les insuccès, les joies, les peines, les obstacles - n’a pu que nous souder et fortifier notre relation humaine et professionnelle, qui est tout aussi importante et précieuse à mes yeux ainsi que dans ma vie. Il y a quelque chose de vrai dans cette notion de « couple » (rires).

Concernant le nom de vos collections Métamorphose et Noctambule créées chez Soleil, je comprends que vous partez avec celles-ci chez Oxymore ?

Barbara : En effet, nous sommes les cocréatrices de la collection Métamorphose, et nous en sommes les propriétaires.

Clotilde : De même, me concernant pour la collection Noctambule.

Allez-vous continuer à publier des albums avec Soleil ?

Barbara : De mon côté, je gère encore le suivi éditorial d’une série de Fantasy/fantastique en deux volumes, Carambolla, dans la collection générale des Éditions Soleil. Le premier tome est paru en octobre dernier, et le second paraîtra en 2024. Et en tant qu’autrice, je poursuis ma série principale, Sky Doll, même si elle est pour l’instant en « stand by » pour des raisons propres à mon co-auteur.

En tout cas, cette année, je suis très heureuse de vous annoncer que j’aurai deux nouveautés en tant qu’autrice chez Oxymore, et qu’à partir de 2024, ce sera le cas, tous les ans ! Incroyable mais vrai (rires) !

Clotilde : Pour ma part, je compte désormais mettre toute mon énergie, mon implication et mon travail de créativité au service des Éditions Oxymore.

Benjamin Lacombre

Outre vos rôles de responsables de ces collections, qu’allez-vous mettre en place au sein d’Oxymore ?

Barbara : Nous aiderons au développement, en ouvrant et en enrichissant certains axes éditoriaux et concernant notre catalogue, nous pensons à élargir les thématiques et à envisager de nouveau formats, de nouvelles idées.

Clotilde : Notre ambition est d’observer l’évolution du marché pour tenter d’adapter, au mieux, les créations/formats/thèmes qui seront proposés. Et puis, cette notion de renouvellement est gage de motivation pour tous les membres de l’équipe éditoriale.

Plus globalement, pouvez-vous déjà nous donner les noms des auteurs avec lesquels vous collaborez chez Oxymore ?

Barbara : Oxymore compte déjà plus d’une cinquantaine d’auteurs parmi lesquels de nouveaux visages, mais aussi des auteurs emblématiques de la collection Métamorphose comme Guillaume Bianco, Benjamin Lacombe ou Aurélie Neyret.

Clotilde : Et du côté de la collection Noctambule, je peux aussi citer, comme auteur emblématique, le très talentueux Riff Reb’s.

Quels sont les premiers albums qui pourraient sortir ? Et quand ?

Barbara : Les premiers albums paraîtront à la fin de l’été, en août. Et nous annoncerons bientôt les titres. L’année la plus importante sera 2024, car il s’agira d’une année complète de production !

Clotilde : Le lancement de notre programmation fin août comporte notamment l’un de nos enjeux importants pour la collection Métamorphose : il s’agit de la nouveauté de Benjamin Lacombe, dédiée à l’une des thématiques qu’il affectionne depuis toujours et dont nous avons hâte de partager avec vous les premiers visuels.

Eddy Mitchell et Mourad Boudjellal

Angoulême en janvier 2004. Photo : D. Pasamonik

Voulez-vous changer du tout au tout ? Ou allez-vous reprendre les bases de ce que vous faisiez avant chez Soleil, mais encore plus fort ?

Barbara : Nous sommes prêtes pour de nouveaux défis, mais aussi bien décidées à continuer à faire ce que nous avons été capables de réaliser jusqu’à aujourd’hui. Il n’y aura pas vraiment d’énormes surprises, car les livres conserveront l’identité de la collection Métamorphose.

Concernant le stand, on rêve que Mourad redonne vie à celui des années Soleil avant 2011. Donc, préparez-vous au grand écran, à de la musique et à faire la fête en janvier 2024 !

Pour terminer, faire partie d’un groupe aussi important que Madrigall nous motive et nous rend très fiers. Ils ont eu confiance en nous et nous ont accueillis à bras ouverts. À partir de mars, avec l’ouverture des bureaux à Paris, l’aventure deviendra de plus en plus concrète.

Clotilde : « Encore plus fort », oui, on le souhaite ! Cette impulsion, prodiguée à la fois par Mourad dont la vivacité d’esprit et l’envie de créativité sont un moteur, ainsi que par la confiance que porte Antoine & Charlotte Gallimard à cette création de société d’édition, nous incite à vouloir nous surpasser dans la sélection de nos choix éditoriaux ainsi que dans le développement.

Et sinon, c’est vrai… (rires) on rêve secrètement mais terriblement au retour d’un stand qui dénote pour instiller un esprit de joie et de fête dans les esprits « bédéphiliques » !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.