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Au bord de l’apocalypse : bande dessinée et fins du monde.

Par Lise LAMARCHE le 29 avril 2019                      Lien  
Les 27 et 28 avril 2019 se tenait la huitième édition des Intergalactiques à Lyon. Pour la première fois, ce festival de science-fiction consacrait une table ronde à la BD, sur le thème « Bande dessinée et Post Apo » avec Jean-Pierre Dionnet, Jean-Christophe Chauzy et Vincent Perriot. Une discussion passionnante sur les dernières œuvres des artistes, sur Métal Hurlant et la presse BD et sur Moebius, fil rouge de cette discussion.

Depuis 2012, le festival des Intergalactiques s’est taillé une réputation dans le milieu de la science-fiction en organisant des événements inédits autour du cinéma, de la littérature et de la bande dessinée de ce genre. On y trouve des pointures du secteur, comme par exemple l’écrivain Alain Damasio, venu y lancer son dernier livre Les Furtifs.

Geeks purs et durs, amateurs et familles étaient au coude à coude dans cette "brocante inter-galactique", à la recherche d’objets neufs ou d’occasion issus de ce segment de la pop culture. Ce paradis des collectionneurs a lancé la discussion sur la fin du monde entre Jean-Pierre Dionnet (co-fondateur de Métal Hurlant, la revue-phare de BD-SF des années 1970-1980, et des Humanoïdes Associés), et Jean-Christophe Chauzy (Le Reste du monde) et Vincent Perriot (Negalyod).

Au bord de l'apocalypse : bande dessinée et fins du monde.
De g. à dr. : Jean-Pierre Dionnet, Vincent Perriot et Jean-Christophe Chauzydans une rencontre animée par Mathilde Démaret.

Selon Jean-Pierre Dionnet : « Dans cette brocante, les gens recherchent des reliques d’un temps encore optimiste, qui n’est pourtant pas si vieux. C’est bien le signe que l’apocalypse a commencé. Ce ne sera pas un grand spectacle, comme on le croyait dans les années 1970 : la fin du monde a lieu tous les jours... »

Ce constat fataliste donne le ton de la discussion. Tous trois s’entendaient sur le constat que la fin d’un monde était en train d’arriver, qu’il s’agisse du climat, de notre mode de vie ou... du métier d’auteur de BD. La passion est cependant toujours aussi forte chez eux.

Le mythique numéro 6 de Métal Hurlant avec le début du "Garage Hermétique"
Le Reste du monde T. 3, par J.-Chr. Chauzy (Casterman)

Enfant et adolescent, Jean-Christophe Chauzy dévorait Métal Hurlant, où il a découvert Crespin et surtout Moebius. Il s’est régalé de l’imaginaire débridé de ces auteurs, mais dans ses propres albums, ce qu’il raconte, c’est la catastrophe elle-même, décrite de manière réaliste : « Mon impression globale est qu’on est en train de détruire tout ce que j’ai aimé. Nous ne sommes plus adaptés au morceau de terre sur lequel nous vivons. J’avais envie de raconter cela, des choses prosaïques. Dans Le Reste du monde, nous sommes dans le microcosme d’une famille, la rentrée approche... Mais la catastrophe arrive. Comment survivre ? Je ne voulais surtout pas expliquer, mais rester à hauteur humaine. »

Il revient sur l’évolution dans son travail sur la place de la nature et des décors  :« Je viens de Futuropolis [le chef d’oeuvre de Pellos créé en 1937. NDLR.]. À l’époque, les décors n’étaient pas importants, seuls les personnages comptaient. Aujourd’hui c’est l’inverse. C’est le décor qui impulse l’histoire.
Paradoxalement, j’ai un immense plaisir de dessinateur à dessiner des décombres, même si c’est aussi très déprimant, car pour moi c’est le futur immédiat, c’est demain. Je dessine ce qui se passe à Haïti en ce moment même.
 »

Le Reste du monde T. 2, par J.-Chr. Chauzy (Casterman)
Negalyod - par Vincent Perriot (Casterman)

Comme Jean-Christophe Chauzy, Vincent Perriot a commencé par dessiner des polars, puis il s’est orienté vers la science-fiction. Pour Negalyod, il a d’abord dessiné les décors, un camion citerne et des chevaux, de grandes villes. Ensuite seulement une narration est venue relier les deux.

L’album a été très influencé par le travail de Jean Giraud (Moebius et Gir), qu’il a découvert en même temps qu’il dessinait : « En lisant Blueberry, j’ai reçu une puissance énorme en quelques mois, [Gir] a une telle manière de sculpter la matière ! Mon album s’est monté comme une improvisation graphique au fil de mes lectures. »

Moebius était décidément le fil rouge de la discussion. Jean-Christophe Chauzy le dévorait dans les pages de Métal Hurlant et a vu son dessin évoluer dans Le Garage hermétique, quant à Vincent Perriot, il l’a découvert tardivement, alors qu’il était lui-même en train de dessiner Negalyod.

"Negalyod", par Vincent Perriot (Casterman)

Jean-Pierre Dionnet raconte son travail avec Moebius, en particulier la création du Garage hermétique : « Moebius ne peut faire le Garage qu’une seule fois. Au début, il ne prend pas cela au sérieux, puis il se prend au jeu. Il doit faire deux pages par semaine, puis quatre. Parfois il en rend quatre, ou six, d’autre fois deux seulement mais dans un style complètement différent !...
Au bout de dix mois Moebius se rend compte que c’est son grand-œuvre. Il parle d’improvisation jazz, mais cela vient de la contrainte : faire tous les mois deux planches. Cela vient d’un monde disparu : le monde de la presse, où quelqu’un vous réclame des planches tous les mois. Maintenant c’est fini, on est dans le monde des livres. Avant, un auteur vivait de sa parution en presse et l’album était un bonus. Aujourd’hui, pour quelqu’un de très bon, qui fournit un travail exigeant mais pas grand public, c’est devenu très dur d’en vivre !
 »

L’incontournable "Garage hermétique" de Moebius.
© Les Humanoïdes Associés

La discussion s’est conclue par le constat douloureux de la précarisation du métier d’auteur ou autrice de BD, une situation encore aggravée par la dernière réforme des retraites [1] signalée par Jean-Christophe Chauzy.

Une conférence passionnante, qui a dû être écourtée faute de temps. Dommage et... à l’année prochaine !

(par Lise LAMARCHE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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