La grande force de Padovaland, c’est de nous immerger dans la vie de ce petit groupe sans qu’une intrigue précise n’accompagne le récit. Nous sommes simplement les spectateurs d’une tranche de vie dans une période particulière de l’existence, qui hésite encore entre poursuite des études ou entrée dans le monde professionnel, l’indépendance ou le domicile familial. Les personnages connaissent des vies différentes et tracent leur propre route mais continuent de se fréquenter bien que leurs choix et leur quotidien diffèrent.
Miguel Vila dresse en premier lieu une galerie de portraits : en couverture de l’ouvrage, Giulia, l’étudiante, Irène, qui oscille entre son groupe de potes et son environnement professionnel de caissière, sont vite rejointes par Fabio, étudiant et frère d’Irène, Nicolas, Catia, etc. Tous ont leur propre personnalité, leur propre origine, leur propre histoire mais tous s’observent, se comparent et essaient finalement d’exister au regard des autres. Même Luisa, qu’on devine plus qu’on ne la voit, occupe une place à part entière.
C’est tout le paradoxe de Padovaland, rassurant par la garantie d’appartenir à un groupe, alors même qu’il enferme ses membres à leur place et limite les opportunités de découvrir autre chose, de changer de personnalité.
Car tout n’est pas rose dans le monde de Miguel Vila. Une forme d’ennui, d’inutilité, d’absence de but et de sens rappelle l’ambiance des aventures de Megg, Mogg & Owl racontées par Simon Hanselmann. Les comportements des personnages sont certes bien moins extrêmes et l’ensemble se révèle moins trash, mais le propos est cru, sans détours, tout comme le dessin.
La couverture donne le ton par la banalité de filles ne répondant pas aux critères canoniques de la beauté, mais fortes de traits marqués (le gros nez de Giulia, le surpoids d’Irène), loin d’un monde aussi idéalisé qu’aseptisé. Le tout est porté par un souci du détail jusque dans le dessin des veines qui zèbrent l’imposante poitrine d’Irène.
Le récit est rythmé par une composition dynamique jouant sur la taille de vignettes rectangulaires, de mini-scènes composées par une matrice de petites vignettes carrées, ponctuées par des vignettes rondes.
La coexistence des différents personnages s’apparente finalement à une errance sans but bien identifié au gré de la vie étudiante, des “on dit” où le principal repère reste l’image renvoyée par les autres. Chacun porte ses propres contradictions : Giulia veut s’assurer qu’elle compte pour les autres en même temps qu’elle s’isole dans son travail universitaire, Catia attire toutes les attentions mais n’a d’autre aspiration que celle de quitter Padoue, Fabio voudrait être l’objet de plus de reconnaissance mais n’a de cesse de dénigrer ses amis, Chiara conseille Luisa pour qu’elle se libère de l’emprise de son partenaire mais opprime son propre compagnon. Frustrations, jalousies, déceptions, mesquineries sont autant de réalités auxquelles se heurtent les relations qui unissent ce groupe d’amis.
À travers une apparente banalité, Miguel Vila livre un témoignage fort d’une jeunesse qui se cherche. Pour une première, c’est une réussite et on ne peut que féliciter les éditions Presque Lune de nous proposer une version française de cette BD sortie en 2020 en Italie. Padoue n’attend que vous !
(par Hugues FRANCOIS)
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Padovaland - Par Miguel Vila - Presque Lune - Collection Lune froide - traduction de l’anglais par Laurent Lombard - 17 cm x 24 cm - 156 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 12 mars 2022 - 22 €