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Diego Aranega : "Je trouve que le rythme de six images pour un gag, c’est l’idéal."

Par Laurent Boileau le 1er mars 2008                      Lien  
Ses illustrations sont publiées dans {Libération, Télérama, Je bouquine} et bien d'autres. Diego Aranaga est aussi le créateur de {Victor Lalouz}, une série truculente de la collection Poisson Pilote. Rencontre.

Comment vient-on à la bande dessinée lorsque l’on fait surtout des illustrations pour la presse ?

Un peu par hasard ! Il y a 6-7 ans, je pigeais beaucoup pour un magazine dans lequel je dessinais un personnage récurrent qui revenait au gré des colonnes et des rubriques. Au départ, ce personnage évoluait sous la forme d’un gag d’une image puis j’ai décliné sur deux ou trois cases voir même sur une planche. Je me suis donc retrouvé à apprendre les codes de la bande dessinée. D’autres magazines m’ont ensuite contacté et cela a fait un effet boule de neige.

Qu’est-ce que la bande dessinée apporte de plus ?

C’est un moyen de développer des idées de façon plus aboutie. Je suis dans le registre humoristique, mais le gag pour le gag ce n’est pas une fin en soi. J’aime bien servir une cause ou un propos. Par exemple dans Victor Lalouz, la succession de saynètes compose une grande histoire. Ma mécanique, c’est six cases. Je pense à un contexte dans lequel je peux mettre mon héros à contre-emploi et j’essaie de trouver une solution (la case 6) tout en faisant en sorte que le lecteur ne sache pas, en case 5, où sera l’arrivée.

Diego Aranega : "Je trouve que le rythme de six images pour un gag, c'est l'idéal."
La Rançon du succès, opus n°3 des aventures de Victor Lalouz
© Aranega/Dargaud

Comment se structurent les albums de Victor Lalouz ?

L’album n’est absolument pas une compilation de gags. Avant de démarrer, je connais le point de départ et le point d’arrivée. A chaque fois, il y a une thématique. Dans le tome 1, l’objectif de Victor, c’est de devenir célèbre. Dans le tome 2, je raconte la gestion de cette notoriété et dans le tome 3 j’aborde les problèmes inhérents à cette notoriété trop précoce. Victor a flambé comme un malade, il a un découvert à la banque et donc il se retrouve, dans la première case de l’album, convoqué chez sa conseillère financière. On va comprendre qu’il aura tout l’album pour "se refaire". C’est un cadre que je me donne pour ensuite définir des situations dans lesquelles Victor va évoluer. Que va faire un gars comme Victor pour trouver de la thune ou réduire son budget ? Voilà mon fil rouge.

Pourquoi la psychanalyse traverse-t-elle la série ?

La psychanalyse croise la progression du récit car celui-ci va vers le futur et donc la psychanalyse me permet de remonter le temps. C’est une façon de permettre à Victor d’exprimer des choses et pas forcément avec des paroles. Les silences sur le divan sont évocateurs. L’idée était aussi de faire comprendre que Victor a vécu des trucs spécialement pas évidents. Il faut lire un peu entre les lignes et comprendre que mon héros a des circonstances atténuantes. Cela permet au lecteur d’avoir un peu d’empathie pour lui et éviter qu’on le prenne pour un simple con. "Être con", c’est connoté négatif alors que Victor est positif. "Victor Lalouz" c’est un oxymore pour qu’en deux mots, on puisse comprendre sa psychologie : "victoire" et "défaite".

Victor face à son psy
© Aranega/Dargaud

Victor est-il inconscient ?

C’est un personnage complexe que j’essaie de rendre attachant. J’évite qu’il devienne odieux, imbu de lui-même. C’est parfois l’image qu’il peut donner lorsqu’on s’arrête à un seul gag et que l’on ne lit pas un album en entier. En fait, c’est un personnage un peu couillon qui ne se rend pas compte de la portée de ce qu’il fait ou de ses aspirations. Victor n’a pas conscience d’avoir une vie que les autres perçoivent au second degré. Lui, il est en permanence au premier degré. Du coup, les gens ne savent pas si c’est du lard ou du cochon avec lui, tellement c’est énorme. J’essaie vraiment de faire en sorte que l’on ne se moque jamais de Victor. C’est lui-même qui se met dans des situations incroyables. Il est consternant car entre deux itinéraires, il choisit toujours celui qui le fait tomber dans un trou. Mais il n’a pas de complexe alors qu’il n’a pas grand-chose pour réussir. Il n’a pas une histoire mais un casier familial très lourd qu’il gère en se mettant des œillères. On sent qu’il a des gros passages à vide dans sa mémoire mais il essaie quand même d’avancer dans la vie et cela construit donc sa personnalité.

Un physique pas facile à porter...
© Aranega/Dargaud

Que représente le travail d’écriture sur cette série ?

Je mets plus de temps à écrire qu’à dessiner. Pour un dessinateur, une fois l’univers bien en main, il est facile de quantifier le temps nécessaire à faire une planche. Par contre, on ne peut jamais quantifier le temps d’écriture. Au départ, je m’enregistre comme le ferait un acteur. Je pars d’une petite phrase ou d’une situation et j’imagine oralement comment Victor pourrait rebondir pour s’en sortir, tout en faisant en sorte qu’il se prenne les pieds dans le tapis. Une fois ce travail à l’oral effectué, je pose mes idées sur le papier et je relis, retravaille… Et quand tout est écrit, je commence à dessiner. Pas avant.

Il y a aussi une recherche sur le titre de chaque gag…

Cela permet d’en remettre une couche. Toute la difficulté est de ne pas déflorer le gag avec le titre. J’aime bien conduire le lecteur vers une fausse piste ou jouer sur les mots. Je cherche ces titres à la fin, quand l’album est complètement dessiné. Cela me prend souvent une semaine car il y a 90 titres à trouver par album !

Un RDV au crédit paysan : point de départ du tome 3
© Aranega/Dargaud

Pourquoi rester systématiquement au format de 2 gags par planche ?

Je trouve que le rythme de six images pour un gag, c’est l’idéal. En une page, le gag serait dilué, il y aurait des cases inutiles. Je considère qu’en six cases, je peux raconter une bonne histoire humoristique. Et puis mon envie c’est de présenter 90 gags par album, pas 45. Donc deux fois de bonheur !

Quelle sera la thématique du prochain album ?

Systématiquement sur le 4ème de couverture de chaque album est indiqué le titre du tome suivant, avant même sa conception ! C’est un exercice de style assez périlleux auquel je me prête bien volontiers. Le tome 4 s’intitulera "Total Flash Back". J’ai envie de faire un album sur l’adolescence de Victor. Donc la première case sera chez son psy, puis ensuite retour en arrière et nous serons dans les années 80. Victor sera au collège et nous découvrirons de nouvelles facettes du personnage. Cela permettra de mieux comprendre ce qu’il est aujourd’hui.

(par Laurent Boileau)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photo © L. Boileau

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