À ActuaBD, nous ne faisons pas comme dans certaines rédactions prévoyantes, de la « viande froide », ces articles nécrologiques écrits à l’avance quand une personnalité atteint un âge avancé. Pour nous, Albert Uderzo était vivant, trop vivant. Nous avions sans doute confondus -il ne le faut pas- l’homme et l’œuvre. Comme dirait l’autre, quel roman que sa vie !
Avec plus de 380 millions d’albums vendus en 117 langues, son personnage Astérix est incontestablement une figure iconique de la nation française, au point que le Général De Gaulle le préférait au Belge Tintin. Il faut dire que l’humour de son scénariste René Goscinny (1926-1977) s’appuyait solidement sur le parfait dessin d’Albert Uderzo qui constitue l’une des gloires du 9e art européen.
Un émule de Walt Disney
C’était un dessinateur de son temps, influencé, comme son maître Edmond-François Calvo, par le « phare » graphique de l’époque, Walt Disney, mais capable aussi de s’illustrer aussi bien dans un registre réaliste d’une précision parfaite que dans le dessin humoristique où il atteignait des sommets.
Ses débuts à la Société Parisienne d’Edition, la maison d’édition des frères Offenstadt, juste avant leur aryanisation par les nazis, furent modestes mais formateurs : lettrage, calibrage de textes, retouches d’images. Il publie dans la foulée ses premières BD en 1941 mais doit aller se planquer en Bretagne pour échapper au Service de Travail Obligatoire imposé par l’occupant.
À la Libération, il s’essaye au dessin animé, publie ses premières illustrations et ses premières BD, dont Arys Buck puis Belloy. Après son service militaire, il publie nombre de travaux graphiques, notamment pour France Dimanche ou pour une agence pour qui il dessine Capitaine Marvel Jr paru dans l’hebdomadaire belge Bravo.
En route vers la gloire
Sa rencontre avec René Goscinny à la World Press de Georges Troisfontaines, grâce à Jean-Michel Charlier, en 1951 a été déterminante dans sa carrière. Goscinny va réaliser avec lui un bon nombre de créations qui annoncent Astérix : Jehan Pistolet (1951) et Luc Junior (1954) pour La Libre Belgique, puis Oumpah Pah pour l’hebdomadaire Tintin (1958).
Le moment déterminant a été le lancement de l’hebdomadaire Pilote en octobre 1959 où Albert Uderzo, avec René Goscinny, Jean-Michel Charlier, Raymond Joly, François Clauteaux et Jean Hébrard, cherchent à lancer un « Paris-Match pour jeunes ». Repris en main par les seuls auteurs de BD, Goscinny et Charlier devenant rédacteurs en chef et Uderzo directeur artistique, Pilote ne tarda pas à devenir un magazine d’humour qui fait passer la bande dessinée à l’âge adulte : « Nous voulions changer ce qui paraissait devoir l’être dans la presse pour les jeunes, témoignait Goscinny, et d’abord étendre la tranche d’âge des lecteurs. Ne plus faire un journal qui s’adresse seulement aux enfants, ni même aux adolescents, mais aussi aux adultes. Après tout, il n’y a pas d’âge pour rire. » Le niveau de "double-lecture" d’Astérix en est la démonstration.
Lorsqu’Uderzo débute chez Pilote, en plus des séries Astérix et Tanguy & Laverdure, s’ajoutent des planches d’Oumpah-Pah pour le Journal Tintin et quelques autres menus travaux : pas loin de vingt planches par mois, alors qu’un dessinateur contemporain normalement constitué essaie d’en produire un minimum de huit dans la même période. Le talent d’Uderzo est dans la droite ligne de l’école franco-belge. Sous l’influence d’André Franquin notamment, son dessin se fait plus réaliste au fur et à mesure qu’il abandonne ses autres séries, Oumpah-Pah et Tanguy & Laverdure, cette dernière étant laissée à d’autres dessinateurs. Astérix devient rapidement le phénomène mondial que l’on connaît.
Un travailleur acharné
Si Albert Uderzo et René Goscinny ont pu recueillir à ce point les lauriers de la gloire, à la faveur de ce que Pascal Ory qualifie de « suffrage universel de la culture », c’est surtout parce qu’ils appliquèrent en leur temps une recette inédite où l’intuition s’accordait parfaitement à la compétence, la détermination à la chance.
L’axiome qui postule que la chance est un dividende du travail s’applique sans conteste à Goscinny et à Uderzo. L’un et l’autre sont issus d’une génération qui a une revanche à prendre. Enfants d’immigrés (le premier est issu d’une famille de juifs polonais et russes fuyant les pogroms, le second d’ouvriers italiens), ils œuvrent dans un milieu innovant, la bande dessinée, qui rêve de cinéma. Tout au long de leur vie, l’un et l’autre auront à cœur de voir leurs personnages animés à l’écran et feront d’immenses sacrifices pour y parvenir.
Au décès de René Goscinny en 1977, Uderzo décide d’assurer les scénarios lui-même et crée, avec Gilberte Goscinny, sa propre maison d’édition, Albert-René. Dans la foulée, il inaugure un Parc Astérix. La suite d’adaptation live d’Astérix au cinéma en fait le dessinateur français le plus adapté à l’écran.
En 2013, revendant son entreprise au Groupe Hachette, il passe la main sur Astérix, désormais dessiné par Didier Conrad, scénarisé par Jean-Yves Ferri, sous le contrôle vigilant d’Anne Goscinny et d’Albert Uderzo lui-même.
La qualité essentielle d’Uderzo ? Une virtuosité graphique alliée à la clarté. C’est la parfaite synthèse entre Disney et Hergé. « J’aime bien Uderzo, disait Goscinny : c’est un copain, et il est capable de dessiner clairement et avec talent n’importe quoi, jusqu’à, et y compris, un combat de pieuvres dans de la gelée de groseilles… »
Sa modestie, le génie de Goscinny et l’immense succès d’Astérix ont longtemps occulté la munificence de son talent. Il était l’égal de Franquin ou d’Hergé qui le reconnaissaient volontiers. C’est pourquoi sa disparition laisse un vide immense.
Voir en ligne : LIRE AUSSI : L’HOMMAGE DES DESSINATEURS À ALBERT UDERZO
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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