Mais un chêne ça fait de l’ombre, rafraîchissante, apaisante, attendue, bienvenue, oui ! Mais un immense chêne, véritable pilier, inspirant, (très) nourrissant, mètre étalon, maestro : ça filtre la lumière, ça accapare, du genre "le journal d’Astérix et Obélix ", ou les linéaires ! Une lumière qui éblouit mais qui, pour d’autres, peut venir à manquer. Impardonnable. Nourrissant ou pas, il y en a toujours pour avoir la mémoire courte, le contraire de la reconnaissance du ventre, surtout dès qu’il cesse de gargouiller. Mais il paraît que ça revient.
Albert Uderzo, on l’a accusé de tout, et de son contraire : une pompe à fric, un égoïste, un vendu, un usurpateur, un exécutant, un parvenu, un fossoyeur de première classe, un ringard... Pire : vulgaire avec ses albums 44 CC...!
Hé ho les gars, c’était un artiste, et quel artiste ! Vous l’avez vu tenir un crayon, un pinceau ? Depuis toujours des pinceaux anglais, Windsor et Newton, très chers, il avait les moyens, ça n’avait pas toujours été le cas. Loin de là. À un moment pour vivre, modestement, en HLM, avec vue sur le cimetière, il a travaillé comme une brute. Couché à minuit, levé à cinq heures, sans dimanche, pour produire jusqu’à cinq planches par semaine, plus diverses illustrations, d’une qualité irréprochable. Et même plus que ça, souvent géniales, très techniques, virtuoses, de vraies morceaux de bravoure. Elles resteront. Artiste génial et vrai pro, consciencieux.
Une virtuosité à cadence infernale qu’Uderzo, le dabe, le king, le boss, MONSIEUR Albert, a payé très cher, dans sa chair. Avec une main de plus en plus récalcitrante, douloureuse : le mal très invalidant des travailleurs manuels, à geste répétitif et contrôlé, et lui il contrôlait. Y’a pas grand chose à faire de vraiment efficace avec ça, sinon avancer en serrant les dents. Il l’a fait lui, artiste génial qui se disait, trop modeste, simple artisan. Quand d’effroyables bricoleurs, dont beaucoup l’ont regardé de haut, se disent artistes, de la BD. Quand on est boîteux, le souffle court, il est toujours plus simple de dire qu’on réinvente, pour exister, pour attirer le regard. Il y aura toujours d’autres boîteux pour le croire. Identification, imprégnation.
Peu importe : Albert Uderzo a trouvé une manière acceptable de tenir son crayon, un porte-mine tout ce qu’il y a de plus basique, avec lequel il a continué à faire des merveilles, laissant le pinceau devenu incommode, l’encrage, à des assistants. Un lion. Un lion qui s’est relevé de multiples fois.
Ce dessinateur d’exception, en comique comme en réaliste ce qui déjà le classe à part, qui semblait né pour dessiner, excellent très rapidement pour sans cesse progresser à toujours su nourrir son dessin, en constante évolution. Ainsi la caricature de son style comique a bien alimenté son style réaliste, inclassable, à cheval sur plein de choses, bien à lui. Je retiendrais ses yeux, ses regards, inimitables, et quelle souplesse, quel dynamisme, pour une narration toujours impeccable. Un maître, malgré tout reconnu en tant que tel, mais un maître sans école, sans vrais héritiers. Peut-être à cause de cet entre-deux.
Ainsi, quand il a abandonné le style réaliste devenu trop contraignant, avec sa main douloureuse, son réalisme a peu à peu inséminé sa caricature, de plus en plus élancée. Pour revenir à quelque chose de plus ramassé sur le tard. Toujours aussi efficace.
Albert Uderzo c’est la BD complexe, parce que décomplexée. Il y a le dessinateur et l’encreur, bien-sûr, la composition limpide et recherchée, l’air de rien, la narration fluide et dynamique, plus théâtre que cinéma, la verve du caricaturiste, etc.
Mais il y a surtout le lettreur si inventif, calligraphe, ses très peu culturellement correct traits de mouvement, ses gouttes et traits d’exclamation, du pur code BD ! Ses onomatopées... Oui, ses onomatopées : CRAC, BOUM, HUE... PROUT !
Tant pis pour la légitimation de la BD, c’est pas avec ça qu’on se la pète dans les salons pouët-pouët, surtout en Charente. Là où on n’a su lui donner que le « Prix spécial du millénaire ». Ronflant mais ridicule. Rappelons que nourrissant surtout, Albert Uderzo qui à, chaque sortie tonitruante d’un nouvel Astérix, rappelle à tout le monde que la BD franco-belge existe, aussi. Parce que plus que de ministres, la BD a besoin de lecteurs !
Il est bon de se rappeler aussi que, grâce à Uderzo -et son fric pour s’offrir des conseillers juridiques efficients- et le tout aussi regretté André Chéret qui ont ferraillé pour la cause commune, le statut de dessinateur de BD a enfin été reconnu en tant que cocréateur.
Oui on savait qu’il était là, mais il est parti. Les dernières apparitions, émouvantes, inquiétaient un peu. Le cœur est gros, on l’aimait tant, pleins d’admiration, mais l’a-t-il su ? Rendu méfiant et isolé par une adversité poisseuse et entêtée. Surtout sa reprise des scénarios après René Goscinny n’était pas si mauvaise, loin de là, il avait su garder le cap. Pas si facile, les repreneurs sont en train de s’en rendre compte.
Le vénérable chêne vient de tomber, il ne se relèvera pas. La potion magique ne l’est pas à ce point-là
Un chêne est tombé, c’est Idéfix qui va avoir de la peine.
(par Pascal AGGABI)
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