L’événement n’aura pas eu beaucoup de retentissement. Les médias sont pourtant friands de nécrologies. Quelques lignes dans la presse de sa région et sur quelques sites spécialisés, mais guère plus. Il faut dire que Pierre Guitton, décédé le 20 juillet dernier, était un homme discret dont l’œuvre, dessinée ou peinte, est à l’écart des modes. Ce qui lui permet de résister au temps.
Né en 1944 à Loches, où il a également passé la fin de sa vie et où il exposait régulièrement, Pierre Guitton « fait » les Beaux-Arts à Tours avant de se rendre à Paris, dans la première moitié des années 1960. Son style très personnel et l’élan d’expression né de 1968 lui permettent de trouver sa place. Il est ainsi publié dans Charlie Mensuel dès 1969, revue à laquelle il participe, ainsi qu’à Hara-Kiri, Actuel, (À suivre) et Zéro, jusqu’en 1987.
Il devient surtout l’un des principaux artisans de la bande dessinée « underground » française grâce à Zinc, périodique qu’il cofonde avec Gilles Nicoulaud au printemps 1971. Avec l’aide de quelques autres - Nicole Bley, Philippe Bertrand, Claude Besnainou, Poussin... - et une belle réputation, sans compter l’intervention d’André Balland pour l’édition à partir de 1973, ils parviennent à faire tenir la revue jusqu’en 1974. Certaines signatures appelées à devenir célèbres y font leur apparition, comme celles de Jackie Berroyer, Francis Masse et Philippe Petit-Roulet.
Il y a bien un recueil de dessins édité par Balland en 1978, Tout doit disparaître, où Pierre Guitton est associé à Philippe Bertrand. Mais, en 1987, de retour dans sa région d’origine, il cesse tout travail pour la presse et choisit la peinture. Il développe alors une patte naïve - au sens artistique du terme - et colorée, très reconnaissable, qui lui a permis d’être exposé non seulement chez lui, mais aussi à Tours, Paris et jusqu’en Allemagne et au Luxembourg.
Les années passant, son souvenir de dessinateur s’estompe. Mais il ne disparaît pas. Xavier Dole et sa maison d’édition, Le Chant des Muses, qui aiment autant les strips du début du XXe siècle que l’underground des années 1970, ne l’oublient pas. Deux ouvrages, indispensables autant qu’inclassables - mais c’est une banalité de l’écrire - et une collaboration régulière à la revue Zinozorrus, sont nés de cette redécouverte - de ces retrouvailles plutôt.
Et c’est pas fini ! fait figure de somme patrimoniale. L’ouvrage, édité fin 2011, a d’ailleurs été sélectionné à Angoulême en 2012 pour le Prix du patrimoine, qu’il n’a pas eu, Carl Barks ayant été cette année-là préféré à Pierre Guitton et Francis Masse notamment. Cette rétrospective, qui est autant un hommage à l’auteur qu’une invitation à la rêverie, permet de s’immerger dans le travail de Pierre Guitton.
Graphiquement, c’est unique : la plupart des dessins sont composés d’une multitude - une infinité pourrait-on écrire, si la chose était possible - de petits points, réalisés à la plume et à l’encre de chine, résultat improbable d’un mélange entre Robert Crumb et Georges Pichard. Un travail de bénédictin influencé par le surréalisme, le symbolisme et la libération des mœurs de son époque, et qui n’est pas sans lien avec l’underground américain des années 1960. C’est l’œuvre du « Seurat des fanzines », selon l’expression de Jackie Berroyer.
Les Contes de Lapin Jaune, édité en 2018, est la première publication en album d’un récit paru dans (À suivre) entre 1985 et 1988. On y retrouve les milliers de points formant les constellations et nuages des dessins de Pierre Guitton, son onirisme poétique troublant parfois à la limite du psychédélisme, ses personnages loufoques, charnels, jamais vulgaires. Des traits également saillants dans ses pages parues dans Zinozorrus, la revue du Chant des Muses, à laquelle il a fidèlement participé du premier numéro jusqu’à il y a quelques semaines, à travers des récits courts en grande partie improvisés, comme Ted Dabruti originellement paru dans Zinc.
Nos pensées vont à ses proches : famille, amis, éditeurs. Et l’on espère, malgré tout, le lire dans Zinozorrus ou ailleurs, car il reste sûrement des pages à éditer.
(par Frédéric HOJLO)
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En médaillon : autoportrait de Pierre Guitton, 2015 (merci à son éditeur Xavier Dole).
Et c’est pas fini ! - Le Chant des Muses - préface de Willem - n° 2 de la collection La Bande à Zorro - 21,5 x 30 cm - 144 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - parution le 19 janvier 2011.
Les Contes de Lapin Jaune - Le Chant des Muses - n° 13 de la collection La Bande à Zorro - 20,5 x 28 cm - 100 pages en noir & blanc - couverture cartonnée - parution le 8 décembre 2018.
Consulter le site du Chant des Muses.
Lire :
Xavier Dole, "Pierre Guitton - Le Seurat de la bande dessinée", Papiers Nickelés, n° 30.
Yves Frémion, "Le retour de Guitton", Zoo, n° 34.
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