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François Rivière : "Black Out en finit avec les personnages de Francis Albany et Olivia Sturgess"

Par Morgan Di Salvia le 18 septembre 2009                      Lien  
{Black Out} boucle la boucle des albums de Floc’h & Rivière consacrés aux personnages {Francis Albany} et {Olivia Sturgess}. À cette occasion, François Rivière évoque pour nous les racines de cette série fondatrice de la Ligne Claire et de sa passion pour les sujets de Sa Majesté Elizabeth II.

Avec la publication de Black Out, vous posez la dernière pièce d’un puzzle commencé en 1976…

Effectivement. C’est le troisième et dernier épisode de la « série » Blitz. Dans les années à venir, les trois albums deviendront un seul tome cohérent sur le modèle de notre Trilogie anglaise. Par ailleurs, ce dernier album nous permet de compléter l’histoire d’Albany et Sturgess. Ils sont présents dans tous mes ouvrages communs avec Floc’h, y compris le recueil des Chroniques d’Oliver Alban paru chez Robert Laffont. En finir avec des personnages aussi importants pour nous procure un sentiment particulier. On termine véritablement quelque chose. Ce cycle est complet avec ces deux trilogies, et au milieu, l’album biographie Olivia Sturgess 1914-2004.

François Rivière : "Black Out en finit avec les personnages de Francis Albany et Olivia Sturgess"
Une Trilogie anglaise
© Floc’h - Rivière - Dargaud

C’est une tristesse ou un soulagement ?

Ni l’un, ni l’autre. Comme cette série s’est échelonnée sur trente ans, on ne peut pas dire qu’elle nous ait épuisé ! Puis, nous avons d’autres projets ensemble. On met simplement un point final à un pan important de notre travail. Je parlerai plutôt de délivrance, et je pense que Floc’h sera d’accord avec moi. Nous sommes tombés d’accord qu’il ne servait plus à rien d’ajouter des couches et des couches supplémentaires à l’histoire d’Albany et Sturgess qui est un récit à tiroirs déjà très dense. Maintenant, peut être qu’il arrivera un jour où nous aurons envie d’extrapoler un point particulier de leur vie. Dans ce cas, je pense que nous le ferons sous une autre forme qu’en bande dessinée. Black Out nous permet en tout cas de terminer cette période.

Et par la même occasion d’en finir avec tous les titres qui avaient pu être annoncé en quatrième de couverture…

Une mise an abyme typique du style de Floc’h et Rivière
© Floc’h - Rivière - Dargaud

Oui, nous nous étions engagés étourdiment en annonçant comme des titres d’albums ce qui n’était en fait que trois nouvelles d’Olivia Sturgess. On évoquait déjà ces nouvelles dans la biographie d’Olivia, on peut désormais les lire dans Black Out. Elles ont un sens dans le déroulement de notre histoire. La plus longue, Eden, en finit avec les personnages de Blitz, ceux de la pièce de théâtre écrite par Olivia et Francis. C’est un peu compliqué, mais finalement tout se termine, à l’intérieur d’un récit qui lui-même se termine. Floc’h et moi sommes très impatients de voir l’ensemble réédité sous la forme d’une trilogie. Nous en profiterons pour améliorer les couleurs d’Underground, qui n’étaient pas complètement satisfaisantes. Nous avions dû remonter Blitz, qui était à l’origine parue sous forme carrée dans Le Matin de Paris, et les couleurs en avaient un peu souffert. Cette nouvelle édition nous permettra de corriger tout cela.

Votre grand jeu a toujours été de mystifier le lecteur, de mêler des personnages de fiction et des personnalités réelles, de multiplier les formats, ici on est dans une bande dessinée dans la bande dessinée, dans les précédents il y avait le cinéma, un documentaire, une pièce de théâtre,… L’impression que vous donnez c’est d’avoir un pied dans la bande dessinée, et un pied en dehors.

Mais tant Floc’h que moi avons un pied en dehors ! À vrai dire, notre envie commune au départ était, c’était très prétentieux d’ailleurs, de rompre avec la tradition de nos deux auteurs fétiches Hergé et Jacobs, et d’amener dans la forme et dans le ton une rupture que l’on aimait trouver dans la littérature ou le cinéma. Ce que l’on appelait à l’époque la post-modernité. Nous avons mis en place un jeu de références plus littéraires pour aller vers cela. Le Rendez-vous de Sevenoaks était une manière de détourner ce que l’on avait adoré dans La Marque jaune par exemple. Nous voulions donner l’impression que nous nous étions insinués au milieu d’une planche de Jacobs, celle où Mortimer découvre le livre du Professeur Septimus The Mega Wave, pour entrer dans un univers induit par ces images et cette ambiance londonienne. Ce premier album était une entreprise qui n’était pas destinée à avoir de suite, vu que l’on tuait le héros à la fin de l’album. Tuer le personnage principal faisait partie de notre idée de la rupture avec les anciens. D’ailleurs, lorsque Sevenoaks est paru dans Pilote, j’avais écrit un texte de prologue (qui a heureusement disparu des albums), où nous annoncions la couleur sur le mode : « certes, on aime Hergé et Jacobs, mais ici vous allez voir ce que vous allez voir ! ». C’était un peu naïf. Nous avions tout à prouver.

La couverture de Black Out
© Floc’h - Rivière - Dargaud

Justement, que pensez vous des reprises actuelles de Blake et Mortimer ? Est-ce que ça vous aurait plu d’en écrire un ? Peut-être le ferez-vous un jour ?

On ne me l’a jamais demandé. Mais lorsqu’on a posé la question à Floc’h, il a fait une planche, mais a immédiatement décliné l’idée. Ce n’était pas un travail qui l’intéressait.
En ce qui concerne les reprises, je trouve cela plutôt audacieux. Ces nouveaux albums ont permis de faire continuer à vivre des personnages qui n’étaient pas des classiques aussi évidents que Tintin par exemple. Pour moi, Jean Van Hamme est vraiment la clé de ce succès. Ses scénarios ont de l’ampleur, mais ils se tiennent, alors que les autres équipes ont tendance à partir dans tous les sens. Toutefois, d’une manière générale, la chose que je pourrais reprocher, c’est qu’on s’est appesanti sur ce qui est le plus « démodable » dans le style Jacobs, à savoir le fantastique et la science-fiction. Dans les années 1950, E.P. Jacobs traitait le fantastique à la manière de son écrivain fétiche H.G. Wells. Dès les origines, sa science-fiction avait une touche rétro : c’est toute la difficulté de l’exploiter maintenant. A priori c’était mission impossible. Pourtant le succès est là, ça fait perdurer un mythe de la BD, je trouve ça réjouissant.

D’où vient votre amour pour la culture anglo-saxonne, la littérature anglaise et les intellectuels américains que l’on retrouve dans vos albums ?

Si Floc’h était à mes côtés, il vous répondrait qu’il déteste la littérature américaine ! Je suis un peu plus nuancé, car il y a plein d’auteurs américains que j’adore. Mon intérêt vient au départ de lecture d’enfance comme Le club des cinq, Sherlock Holmes ou Agatha Christie, et ensuite, des auteurs plus littéraires comme Virginia Woolf. J’ai aussi passé pas mal de vacances studieuses dans le Kent, notamment à Orpington, à côté de Sevenoaks. Ce nom m’a toujours fait rêver, c’est pour cela que j’y suis revenu au moment d’écrire ma première histoire avec Floc’h. Chemin faisant, je me suis spécialisé dans la culture anglo-saxonne, en tant que biographe, essayiste et puis comme scénariste. Albany et Sturgess sont nés de notre envie de développer des personnalités d’intellectuels anglo-saxons. Le fait qu’Albany soit un Américain anglophile, était un moyen de créer une symétrie avec Floc’h et moi, Français anglophiles.

François Rivière à Bruxelles
en septembre 2009

Black Out peut être un peu surprenant pour ceux qui sont habitué à lire des albums Floc’h-Rivière, car vous utilisez des ficelles de la BD plus classique : course-poursuite, rebondissement en fin de planche,… C’ était un jeu ?

Où Albany reçoit sa dessinatrice
© Floc’h - Rivière - Dargaud

Oui. Floc’h voulait vraiment montrer qu’il était capable de faire de la bande dessinée d’aventure basique, au premier degré. Comme le prétexte était de faire une fausse petite bande dessinée d’un comic book anglais de cette époque, ce style est venu naturellement. Tout cela en utilisant les personnages qui étaient déjà dans Blitz, puisque c’est Albany qui écrit ce scénario de BD. On voulait également s’arrêter sur la littérature de guerre. C’était une époque où les gens avaient une envie de lire particulièrement intense. Saviez-vous qu’il n’y a jamais eu autant d’auteurs publiés en Belgique que pendant la dernière guerre ? Après le conflit, certains de ces auteurs sont venus à la BD : Maurice Tillieux, qui avait écrit un roman policier intitulé Le Navire qui tue ses capitaines, ou André-Paul Duchateau. C’est un phénomène intéressant.

C’est peut-être dans cet album qu’il y a le plus de références à Jacobs et à Hergé. D’ailleurs, les spécialistes remarqueront que la planche 6 est carrément un hommage à la structure du Canyon mystérieux, un récit que Hergé et Jacobs avaient lancé pour Cuvelier [1]

Oui. Si je peux me faire le porte-parole de Floc’h, c’est vrai que ça n’est pas un plagiat, ni vraiment un hommage. C’est une sorte de copie conforme. C’est un emprunt, qui ne doit pas être considéré comme une copie. C’est plutôt une manière de remettre en lumière une planche qui était tombée dans l’oubli et qui aurait pu devenir une série cosignée Hergé - Jacobs.

Mais notre scénario ne s’est pas créé à partir de cette page, c’était plutôt une contrainte. Cela faisait des années que Floc’h était fasciné par cette planche. Il avait besoin de la recréer, je pense.

La planche 6 est une citation d’Hergé et Jacobs
© Floc’h - Rivière - Dargaud

Quels sont vos prochains projets ?

Nous allons réaliser une biographie de Somerset Maughan sous la forme d’un graphic novel. Comme le dit fort justement Floc’h, si ce format avait été envisageable à nos débuts, c’est ce que nous aurions fait.

Ca veut dire que vous allez vous diriger vers quelque chose avec une plus grande pagination et un plus petit format ?

Exactement, en noir & blanc. Ce personnage me hante depuis pas mal d’années, nous avions d’ailleurs eu l’occasion de le mettre en scène de différentes manières. Nous sommes très excités à l’idée de passer vraiment à autre chose. Ce livre fera une centaine de pages, je pense que nous pourrions le publier en 2011.

(par Morgan Di Salvia)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos : © M. Di Salvia

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[1voir à ce sujet l’excellent blog consacré à Albany et Sturgess

 
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9 Messages :
  • Cette planche 6 n’a pas grand chose à voir avec celle d’Olav, si ce n’est la reproduction décalquée de personnages (ex le personnage qui reçoit une balle case 4 est celui qui est poignardé case 7 de la planche Hergé/Jacobs).
    Je me disais aussi : "pour une fois, les personnages de Floc’h ont l’air vivants"...

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  • Petit ruisseau deviendra grande rivière, mais François Rivière est resté le même depuis bientôt quarante ans. Erudit, cultivé, intelligent, plein de références, qui ne sombre jamais dans la vulgarité ou la facilité médiocre. Je vous félicite pour votre parcours exceptionnel !

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  • Une mise an abyme

    « Une mise en abyme » ...

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  • Blog pompé
    23 septembre 2009 18:08, par Antoine R.

    Morgan Da Silva site un blog le qualifiant d’excellent, Albany et Sturgess. Facile d’être excellent quand on pompe tout sur un autre blog bien plus complet qu’est L’homme dans la foule, consacré à Floc’h : http://lhommedanslafoule.blogspot.com/
    Le rédacteur d’Albany et Sturgess en fait un copier-coller honteux.

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    • Répondu le 23 septembre 2009 à  20:36 :

      Désolé de vous contredire, mais je trouve le site http://albany-et-sturgess.over-blog.com/ bien plus intéressant que l’autre, et il n’est pas question de pompage, il est logique quand on traite le même sujet qu’il y ait les mêmes informations et les même documents.

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      • Répondu par Antoine R. le 24 septembre 2009 à  23:25 :

        sauf quand les documents sont des photos ou des scans... même cadrages, même présentation, mêmes plis, c’est du pompage, désolé. Quand on a des sources on les cite, on ne se les approprie pas, c’est plus réglo.

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        • Répondu le 25 septembre 2009 à  14:06 :

          Mais ils citent les sources !!!
          Au hasard :
          Lundi 6 octobre 2008
          Black Out sur le blog "L’Homme dans la foule"
          Progrès technique oblige, c’est désormais sur internet que sortent en premier lieu les informations sur les parutions à venir. C’est ainsi le blog L’Homme dans la foule, consacré à l’oeuvre de Floc’h, qui nous annonce le 6 octobre 2008 la publication prochaine de Black Out, nouvel épisode de la série Blitz, et nous en présente la première case.

          Vendredi 27 juin 2008
          A cette déclaration de Cailleaux, Floc’h répond indirectement par l’intermédiaire de Basil Sedbuk, animateur du blog L’Homme dans la foule - Floc’h illustrateur :

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          • Répondu par Nicolas le 28 septembre 2009 à  07:33 :

            Je suis tout à fait d’accord avec Antoine, depuis le début je vais régulièrement sur le site l’Homme dans la Foule. J’ai découvert l’autre site il y a deux mois avec une étrange sensation de déjà vu. OK pas de problème lorsqu’il s’agit de données extérieures reportées par les deux sites mais quand je vois exactement les mêmes photos, les mêmes scans et les mêmes montages d’images qui sont faits par Basil Sedbuk... OK il y a deux citations de sources mais qu’en est il de toutes les fois il ne les cite pas ? Exemples : le Mystère de La Chambre claire, A propos de Francis (voir la marque sur la couverture, la mise en scène des composantes du tirage), pire que tout la retranscription de l’interview de Floc’h A propos d’Olivia (image et texte) qui n’est pas une mince affaire ! Le pire dans tout cela c’est que quand le gars fait ses scans ils sont mal faits, pas à plat....

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            • Répondu le 28 septembre 2009 à  22:13 :

              Les sources sont citées maintenant. Sinon, les deux blogs ne traitent pas exactement du même sujet : l’un est consacré à Floc’h (et pas forcément Rivière), l’autre à Albany et Sturgess et Blitz.

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