Romans Graphiques

Happiness dans ta gueule ou la satire mordante de l’auto-développement

Par Jorge Sanchez le 26 octobre 2022                      Lien  
Pascal Valty et sa bande sont un gang déjà connu pour leur humour sagace et son éloquence pour caricaturer les bobos parisiens dans leurs délires postmodernes. Après le succès de « L’extension du domaine de la loose », ils reviennent à la charge avec une pépite concoctée par Emmanuelle Uzan et Pascal Valty, qui fera en rire plus d'un...

Nathalie Leboeuf est une femme nullipare, autrement dit, une femme qui ne va jamais s’angoisser avec l’achat des fournitures scolaires. Arrivée à la quarantaine, cette adolescente cryogénisée cherche à redonner sens à sa vie après s’être fait virer de son boulot. Et voilà qu’une simple boutade en soirée va se transformer en stratégie de survie qui va changer son destin et celui de la France.

Dotée d’un esprit aigu qui ne mâche pas ses mots, elle trouve chez un arnaqueur mal barré l’opportunité de devenir une star, une influenceuse adulée promouvant son prochain livre, destinée à changer le monde, même si elle n’a pas encore écrit une ligne. Son twist ? Elle réaffirme à tout un chacun qu’il n’y a qu’une seule personne qui vaut dans le monde : soi-même. Les insultes gratuites, les doublures dans les files d’attente, le volume jusqu’à réveiller tout l’immeuble, etc. Tout est permis dans la recherche de la réalisation personnelle selon cette nouvelle philosophie, celle du Non.

Happiness dans ta gueule ou la satire mordante de l'auto-développement

C’est ainsi que de petits cercles de voisins, à salles polyvalentes de villages puis grands stades remplis de fervents adeptes, que notre héroïne insuffle à la société française une nouvelle vigueur. Dans les villes, les injures pleuvent sans relâche et les rues deviennent ingouvernables, personne n’accepte d’être délaissée par ses proches et la vie politique est complètement ingérable.

À mi-chemin entre l’anarchie punk et la culture bullshiteuse des States, le pays est livré au chaos, si bien que Nathalie semble régner en promouvant la grande révolution de son bouquin dont elle n’a toujours pas écrit une page et son coach, personnage d’une extravagance « exquise », lorgne son succès rampant…

Happiness dans ta gueule nous fait rire de bout en bout grâce aux oneliners saugrenus et décalés qu’échangent ses personnages, mais aussi (et peut-être surtout) de par l’absurdité de toute sa trame, qui emprunte quelques astuces de la formule narrative de South Park, faisant de ce qui au début n’est qu’une ruse pour contourner un balourd en soirée, fini par grandir à tel point que l’héroïne même se perd dans les fils de son arnaque demi-avouée.

Sa révolution du Non, est en partie l’avènement fantasmé (et débridé) de la culture de l’auto-développement dans tout ce qu’elle peut avoir de toxique, sectaire et égoïste, bien que son objectif avoué soit le contraire de tout cela.

C’est cette alliance fortunée de paradoxes qui en fait de Happiness… un objet singulier. Sans perdre une once d’humour satirique, l’album alterne avec subtilité entre distance critique avec l’objet de sa critique, satire du narcissisme des bobos citadins, et sincérité avec l’intention disruptive du projet « révolutionnaire » de l’héroïne.

Arnaqueuse arnaquée, certes, mais surtout une victime « tragique » de son irrévérence. Nathalie Leboeuf s’engage peu à peu dans une tentative inavouée de transformation de sa vie, puis celle-ci se transforme en farce.

Cette oscillation permanente, entre influenceuse bidon et véritable créatrice d’une sorte de philosophie de vie, la fait voyager très loin dans son escroquerie, nous révélant au passage une aspiration commune, celle de se retrouver dans un projet, une « utopie » comme on l’appelé avant, à travers laquelle justifier pleinement son existence…

Aidé par le dessin plein d’humour et de vivacité de Valty, l’histoire de Nathalie (quasi alter ego de la scénariste Emmanuelle Uzan), nous propose entre scénettes loufoques et phrases détournées, une réflexion perspicace sur le besoin d’aspirations « métaphysiques » (sans trop se la péter non plus), en proposant une posture conciliant l’irrévérence postmoderne avec la recherche de sincérité.

Et pour ceux à qui cela pourrait tenter d’y regarder plus loin, il ne vous restera donc qu’à lire l’album et quelques essais de métamodernisme

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782491652050

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