Albums

Hugo Pratt, toujours au top

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 avril 2022                      Lien  
Deux nouveautés sortent ces jours-ci en librairie : une jeunesse de la vie d’Hugo Pratt en BD, « La Ballade d’Hugo » de Bepi Vigna et Mauro De Luca (Glénat) et une nouvelle édition de son « Saint-Exupéry : le dernier vol et autres récits » qui rappellent à quel point Hugo Pratt est un auteur essentiel, éternel et unique qui vaut aussi bien pour son apport à la bande dessinée que par le témoignage incarné de son siècle. Fils d’un dignitaire fasciste italien, il avait vu s’enflammer les nationalismes les plus exaltés, les idéologies les plus radicales et les passions les plus criminelles. Il savait ce qu’était la guerre et ce que signifiait la paix derrière ses hypocrisies et ses renoncements. Il a vu de près, sur plusieurs continents, ces hommes et ces femmes mus par l’orgueil, le goût du lucre, ou simplement par romantisme ou par amour. Sans doute était-il un fétichiste de ces souvenirs furtifs, sinon pourquoi donnerait-il autant d’importance à l’uniforme, à ses écussons et ses attributions ? Pourquoi évoquerait-il l’Argentine, l’Éthiopie, la Palestine, de façon aussi documentée qu’allusive ? C’est qu’il savait, en artiste, que l’histoire comme la mémoire est faite de grands traits et de taches impressionnistes.

Le Dernier Vol de Saint-Exupéry est caractéristique de cette façon de faire. Nous sommes en 1994, dans le Pratt de la maturité qui a derrière lui Corto Maltese, Les Scorpions du désert, Sergent Kirk

Pratt sait ce qu’est la guerre. Nous la voyons d’un bloc : batailles et horreurs. Pratt sait que pour quelques minutes de combats, l’essentiel de la guerre est fait d’interminables moments d’attente, de conversations légères ou profondes sur Dieu ou sur les femmes, de technicité, d’absences qui s’égrènent au fil des jours, de frustration sexuelle, de deuils. Il sait que la guerre est un vertige.

Si vous ne connaissez pas bien Pratt, son Saint-Exupéry est un bon exemple de son savoir-faire. On le dit parfois : la bande dessinée est l’art du temps. Ici, il est très court. Nous sommes dans les quelques minutes qui précèdent la mort de Saint-Ex, le 31 juillet 1944, alors qu’il est à bord de son Lightning P38 n°223 au retour d’une mission de reconnaissance sur la région de Grenoble et d’Annecy.

Hugo Pratt, toujours au top

Il est seul dans son cockpit et son esprit vagabonde. Les nuages dans le ciel, ces "blancs moutons" dont parle Charles Trenet, convoquent Le Petit Prince. Puis l’Aéropostale... Nous sommes tantôt en Argentine, tantôt dans les Andes chiliennes, tantôt au Maroc espagnol, tantôt à Madrid pendant la Guerre d’Espagne, tantôt en Indochine, tantôt avec Consuelo Gomez Carrillo, l’amour de sa vie, tantôt avec les aviateurs mythiques Mermoz et Guillaumet

© Pratt / Casterman

Le dessin est à l’unisson : précis quand il faut dessiner un FW 190 allemand ou une exposition d’avant-garde Dada à New-York, mais le plus souvent abstrait jusqu’à la tache, en légères touches impressionnistes pour évoquer le caractère diffus et vaporeux des souvenirs.

« À la fin de l’histoire de Pratt, Saint-Exupéry tombe, écrit Umberto Eco dans la préface tout aussi impressionniste qu’il donne à cette histoire. Apparemment pas à la verticale, peut-être en diagonale, mais ça n’est pas clair. Les légendes mettent les imbéciles à l’épreuve. Et elles provoquent des crises chez les sages. »

De tels monuments inspirent, forcément. De la part de disciples, comme Bepi Vigna et Mauro De Luca qui nous content, sans beaucoup de recul, la jeunesse de Pratt à Venise, à Gênes puis en Argentine, comment naît sa vocation d’artiste, lui qui passe toutes ses premières années sous divers uniformes.

L’ouvrage est coédité par Glénat avec l’éditeur italien Lo Scarabeo. Il vaut autant pour cette BD que pour ses textes de témoignages de ses éditeurs et ses disciples de l’époque, et pour les remarquables photos qui les accompagnent.


L’œuvre de Pratt inspire aussi des créateurs plus contemporains, comme ce remarquable dessin de Street Art découvert il y a quelques jours à Paris, rue Ménilmontant.

Ainsi Pratt s’imprime dans nos mémoires, le mystérieux sourire de Corto Maltese -récurrent chez ses autres personnages- y devenant aussi ineffaçable que celui de la Joconde.

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782203223349

Casterman Glénat ✍ Bepi Vigna ✏️ Hugo Pratt ✏️ Mauro De Luca à partir de 10 ans Aventure Biopic Italie
 
Participez à la discussion
3 Messages :
  • Hugo Pratt, toujours au top
    13 avril 2022 08:13

    Les avions sont bien dessinés dans "Saint-Exupéry" parce qu’ils sont l’oeuvre d’un assistant, comme l’étaient les locomotives de "Corto en Sibérie". Quant à illustrer la vie de Pratt... L’homme était vraisemblablement quelque peu mythomane et s’est inventé une jeunesse bien plus aventureuse qu’elle ne le fut réellement. "La ballade d’Hugo" perpétue une sorte de mythe, et après tout pourquoi pas ?

    Répondre à ce message

    • Répondu le 13 avril 2022 à  10:26 :

      Les avions et les voitures étaient plutôt mieux dessinées dans les premiers Corto, quand Pratt les faisait lui-même.

      Répondre à ce message

      • Répondu le 13 avril 2022 à  14:52 :

        A propos de Pratt, on pourrait citer la phrase de Blaise Cendrars, (souvent reprise par Bernard Lavilliers) : "Qu’importe si j’ai pris ce train, puisque je l’ai fait prendre à des milliers de gens.".

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD