Un adolescent rageur veut fuire son quotidien et provoque un dramatique accident. Un électricien proche de la retraite gère comme il peut ses relations plus que maussades avec son épouse et sa fille. Un jeune homme trompé par son amie ne parvient pas à se dépêtrer de sa situation. Tels sont quelques-uns des personnages et des motifs de L’Ombre de la nuit, recueil de Jordan Crane récemment paru chez L’employé du Moi.
Quel lien rassemble ces trois personnages, et bien d’autres ? Aucun en apparence, si ce n’est celui de faire partie du même livre. Car les neuf histoires composant L’Ombre de la nuit sont d’une étonnante diversité qu’aucun fil conducteur ne vient unifier. C’est d’ailleurs cette diversité qui fait le charme de l’ouvrage.
Il existe malgré tout quelques points communs entre ces personnages et leurs aventures, qui sont très souvent des mésaventures. Une ambiance assez sombre les rassemble. Leur destin plutôt banal semble près de basculer dans le drame ou la violence en quelques instants. Et une certaine solitude pèse sur leurs épaules.
Chacun des neuf récits aborde un genre différent - de la comédie psychologique à la science-fiction en passant par l’horreur et le roman noir - et est dessiné dans un style particulier. L’employé du Moi a en effet choisi de présenter une sélection de courtes histoires, à la longueur d’ailleurs elle aussi variable, tirées du comic Uptight de Jordan Crane, édité par Fantagraphics et qui valut à son auteur de recevoir deux Ignatz Awards en 2009.
La grande diversité des récits rassemblés dans L’Ombre de la nuit donne un aperçu du talent de Jordan Crane. Très à l’aise avec le noir et blanc, il est capable aussi d’innover dans l’utilisation de la couleur. Son écriture, surtout, fait la force de ses bandes dessinées. Les variations de rythme permettent d’accrocher le lecteur et de le surprendre. Les personnages sont finement caractérisés, avec beaucoup de réalisme. Les récits oniriques ou empruntant au fantastique se jouent des codes de genre, les employant sans tomber dans le cliché.
Tout ceci donne envie d’en lire plus. Si L’Ombre de la nuit se lit comme un recueil de nouvelles, le lecteur curieux désirera découvrir ce que peut offrir Jordan Crane dans un récit long. Ce sera bientôt le cas : L’employé du Moi et les Éditions çà et là co-éditeront Keeping Two, un récit de plus de 300 pages que nous ne manquerons pas d’évoquer.
(par Frédéric HOJLO)
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L’Ombre de la Nuit - Par Jordan Crane - L’employé du Moi - traduit de l’anglais (États-Unis) et relu par Vincent Degrez, Thomas Keukens & Hélène Ruelle - 17 x 26 cm - 128 pages noir & blanc et couleurs - couverture cartonnée, dos toilé - parution le 21 novembre 2018.
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