Venue de nulle part, Judith Forest a surpris son monde.
« 1h25 », son premier livre, a unanimement impressionné par sa maîtrise, même si on pouvait être agacé par certains tics d’étudiant en école d’art.
Mais à bien y réfléchir, tout était trop beau dans ce premier livre. Les ingrédients du succès s’enchaînaient : une fille torturée et volage, séduisant des « célébrités » du monde éditorial, une confession qui mettait le lecteur dans la position du voyeur…
Ce livre impudique, brossant le lecteur dans le sens du poil, détonnait dans le catalogue plutôt expérimental de la Cinquième Couche, éditeur alternatif bruxellois. Pourtant, en découvrant l’ouvrage à la fin de l’année 2009, nous avions écrit ici même : « bien plus qu’un simple livre sincère, c’est une première œuvre brillante ». La critique était d’ailleurs dithyrambique, comme en témoigne une revue de presse sur le site de l’éditeur.
Courant 2010, les bruits de couloirs commencent. On s’interroge sur l’existence de Judith Forest. Des auteurs mis en scène discutent entre eux, essaient de se souvenir de cette fille timide, maladivement en doute, comme elle le raconte tout au long de sa première œuvre. Depuis quelques années, on est abreuvé de travaux autobiographiques en bande dessinée, mais rarement les auteurs sont allés aussi loin que Judith Forest.
Cela mérite un entretien, pour connaître les motivations de la jeune femme. Par l’intermédiaire de l’éditeur, un rendez-vous est fixé pour janvier 2011.
Entretemps, nous apprenons que l’auteure est intégrée à l’exposition Génération Spontanée, consacrée à la nouvelle bande dessinée belge. Si le Festival International d’Angoulême l’adoube, il est peu probable que l’on puisse mettre en doute son existence… En avant-première, l’éditeur nous fait parvenir un exemplaire de Momon. Plus que jamais, il y est question du rapport entre un auteur et son oeuvre.
La question nous brûle les lèvres, nous la lui posons : « Vous considérez-vous comme une véritable auteure, de chair et de sang ? ». Réponse : « Aujourd’hui, je me sens plutôt bien. J’ai l’impression de n’exister que par mes livres. Véritablement. ». Tout est dit : Judith Forest est donc une œuvre. Elle existe, mais il n’est pas possible de la rencontrer physiquement. Une interrogation demeure : si Judith Forest est Emile Ajar, qui est Romain Gary ?
Quoi qu’il en soit, La Cinquième Couche vient de réaliser un coup éditorial hors du commun, et une œuvre d’art en bande dessinée sans équivalent.
(par Morgan Di Salvia)
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"Momon, apostille à « 1h25 » ", paraîtra le 1er avril 2011.
A propos de Judith Forest, sur ActuaBD :
> 1h25
> « L’authenticité n’existe pas, et ça n’a pas d’importance, puisqu’une émotion n’est jamais fausse. »
(entretien en janvier 2011)
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