Dans l’insouciance de leur jeunesse, Joseph et Michel, deux frangins, foncent en mobylette dans les rues de Liévin. C’est le lendemain de Noël, il fait froid, et « Jojo » savoure une trêve bienvenue qui lui fait oublier durant quelques jours le quotidien d’un mineur : le danger, la crasse, le bruit, la chaleur de la mine. Michel, lui, a opté pour la mécanique. Mais son frère le pousse pour que, lui aussi, descende au fond. Premières pourvoyeuses d’emplois, les Houillères sont incontournables et limitent singulièrement l’horizon de la jeunesse du coin.
27 décembre : reprise du travail. À 6h19, de la fosse 3-3 bis, surgit une énorme explosion. 42 mineurs sont tués. C’est la plus grande catastrophe minière de l’après-guerre, en France. Affolées, les familles se rendent sur les lieux du drame, terrifiées à l’idée de reconnaître un corps, ou d’entendre leur nom sur la liste des tués. Quelques jours après le drame, Joseph, touché à la tête, succombe à son tour. Michel est dévasté. Lors des commémorations, les ministres et les hauts-fonctionnaires passent une heure ou deux, puis repartent à Paris ; Jacques Chirac, le premier Ministre, assure son soutien total aux familles endeuillées et promet un avenir radieux aux charbonnages de France. Tu parles ! Des années après, la mine lui aura tout pris : ses rêves, sa famille, ses amis : silicosés, épuisés, envolés. Dans sa lettre d’adieu, son père lui confie une mission : venger les 42 morts et, à travers eux, tous ceux que la mine a détruits. La vengeance aura une cible : Dravelle, le contremaître, le porion, le petit chef, le salaud. Celui qui aurait dû sécuriser les galeries et ne l’a pas fait, sur l’autel du profit.
Voici un album d’une grande puissance, que l’on doit à Sorj Chalandon qui a écrit le roman publié en 2017 dont cette histoire est l’adaptation. Œuvre de fiction, elle s’inscrit dans la violence de la vie des mineurs, à 700 mètres de profondeur. Romain Dutter reprend les traits saillants du récit : l’irrémédiable déclin de l’exploitation minière, la fermeture progressive des puits, la misère sociale, la dignité – quoiqu’en partie médiatiquement construite pour mieux faire passer les souffrances – des mineurs, les luttes syndicales, les ambivalences de la gauche politique. Avec une abondante voix-off reprenant le texte de Chalandon, à travers le regard de Michel, un monde disparu revient des tréfonds.
En plusieurs chapitres séparés par de superbes illustrations en noir et blanc, le scénario est tragique, et ne manque pas de rebondissements. Le trait semi-réaliste de Simon Géliot restitue la noirceur des paysages et de la colère qui les habitent. Quelques dominantes permettent de distinguer différentes époques ou différents contextes. Un dossier documentaire consistant en fin d’ouvrage permet d’en savoir davantage sur l’histoire des mineurs, et plus particulièrement de cette catastrophe, dont on commémorera les 50 ans en cette fin d’année.
(par Damien Boone)
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