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Le jour d’avant – Par Romain Dutter et Simon Géliot (d’après Sorj Chalandon) – Steinkis

Par Damien Boone le 24 mai 2024                      Lien  
1974, Liévin, Pas-de-Calais : un coup de grisou enlève des dizaines d'hommes à leurs familles. Une catastrophe de plus. Fatalité ? Certainement pas, pour Michel Flavent, qui va passer sa vie à mettre en actes les derniers mots de son père : « venge-nous de la mine ».

Dans l’insouciance de leur jeunesse, Joseph et Michel, deux frangins, foncent en mobylette dans les rues de Liévin. C’est le lendemain de Noël, il fait froid, et « Jojo » savoure une trêve bienvenue qui lui fait oublier durant quelques jours le quotidien d’un mineur : le danger, la crasse, le bruit, la chaleur de la mine. Michel, lui, a opté pour la mécanique. Mais son frère le pousse pour que, lui aussi, descende au fond. Premières pourvoyeuses d’emplois, les Houillères sont incontournables et limitent singulièrement l’horizon de la jeunesse du coin.

27 décembre : reprise du travail. À 6h19, de la fosse 3-3 bis, surgit une énorme explosion. 42 mineurs sont tués. C’est la plus grande catastrophe minière de l’après-guerre, en France. Affolées, les familles se rendent sur les lieux du drame, terrifiées à l’idée de reconnaître un corps, ou d’entendre leur nom sur la liste des tués. Quelques jours après le drame, Joseph, touché à la tête, succombe à son tour. Michel est dévasté. Lors des commémorations, les ministres et les hauts-fonctionnaires passent une heure ou deux, puis repartent à Paris ; Jacques Chirac, le premier Ministre, assure son soutien total aux familles endeuillées et promet un avenir radieux aux charbonnages de France. Tu parles ! Des années après, la mine lui aura tout pris : ses rêves, sa famille, ses amis : silicosés, épuisés, envolés. Dans sa lettre d’adieu, son père lui confie une mission : venger les 42 morts et, à travers eux, tous ceux que la mine a détruits. La vengeance aura une cible : Dravelle, le contremaître, le porion, le petit chef, le salaud. Celui qui aurait dû sécuriser les galeries et ne l’a pas fait, sur l’autel du profit.

Voici un album d’une grande puissance, que l’on doit à Sorj Chalandon qui a écrit le roman publié en 2017 dont cette histoire est l’adaptation. Œuvre de fiction, elle s’inscrit dans la violence de la vie des mineurs, à 700 mètres de profondeur. Romain Dutter reprend les traits saillants du récit : l’irrémédiable déclin de l’exploitation minière, la fermeture progressive des puits, la misère sociale, la dignité – quoiqu’en partie médiatiquement construite pour mieux faire passer les souffrances – des mineurs, les luttes syndicales, les ambivalences de la gauche politique. Avec une abondante voix-off reprenant le texte de Chalandon, à travers le regard de Michel, un monde disparu revient des tréfonds.

En plusieurs chapitres séparés par de superbes illustrations en noir et blanc, le scénario est tragique, et ne manque pas de rebondissements. Le trait semi-réaliste de Simon Géliot restitue la noirceur des paysages et de la colère qui les habitent. Quelques dominantes permettent de distinguer différentes époques ou différents contextes. Un dossier documentaire consistant en fin d’ouvrage permet d’en savoir davantage sur l’histoire des mineurs, et plus particulièrement de cette catastrophe, dont on commémorera les 50 ans en cette fin d’année.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782368465332

Steinkis ✏️ Simon Géliot ✏️ Romain Dutter Adaptation littéraire
 
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3 Messages :
  • Avant toute chose, je précise que je n’ai pas lu la BD adaptée par Romain Dutter. Mais j’ai lu le roman de Sorj Chalandon, qui m’avait scotché ! Comme d’autres de ses livres (La promesse, Le quatrième mur). Et je me pose toujours la question de l’utilité d’adapter en BD un écrit qui est une oeuvre entière, complète. Dans Passerelles, le bulletin des éditions Steinkis, Dutter nous dit " Adapter un roman est une base pour aller chercher par moi-même ". Certes, pourquoi pas. Mais que va apporter la BD de plus, car à la lecture du texte de Chalandon, l’ambiance, les couleurs, le rythme, le suspense, vous avez tout déjà. Perso, je resterai sur le roman, que j’ai adoré (d’ailleurs je n’ai pas lu non plus les autres adaptations BD de Chalandon).
    Cela dit je jetterai bien un oeil sur la préface de l’écrivain.

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    • Répondu par GHI le 3 juin à  12:22 :

      Mais ceci ne signifie-t-il pas que toute mise en image (film, BD) d’un roman est vouée d’avance à l’échec ? Chaque roman ou récit évoque des images chez le lecteur. De mon point de vue, voir l’interprétation de ces images par un auteur, qu’il soit cinéaste ou auteur de BD, est un plus, un enrichissement. D’autant qu’en BD, souvent deux auteurs agissent de concert, le scénariste et le dessinateur (plus le coloriste éventuel et même un lettreur, comme il est d’usage courant dans les comics). Quant à vouloir réduire la lecture d’une BD à sa seule préface, comme vous semblez l’indiquer, n’est-ce pas un peu court ? Plusieurs romans de Chalandon ont été transposés en BD, avec l’accord de son auteur bien sûr ! Pensez-vous réellement que l’auteur donnerait encore son accord à une version en BD s’il n’était pas convaincu que c’est une façon intéressante de donner vie à ses romans ? Lisez au moins une de ses BDs pour vous faire une idée plus complète : les choix opérés pour garder la trame du récit à l’intérieur de la contrainte imposée par la BD et l’art de sa mise en image

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      • Répondu par YN Billy le 7 juin à  15:54 :

        Certes, votre argumentaire se tient, et je ne rejette pas en bloc les adaptations BD de romans. Le must, à mes yeux, reste celles de Tardi, Nestor Burma de Malet et Le Cri du peuple de Vautrin (il en est d’autres). Mais sans dénigrer le talent Romain Dutter et Simon Géliot, ce n’est pas le même calibre. Ce n’est que la 3e BD du scénariste. D’ailleurs si je veux découvrir Dutter, je le ferai avec ses deux premiers ouvrages, liés à ses expériences de vie. Après, il faut avouer que nombre d’adaptations, BD ou films, ne se révèlent pas indispensables, tout comme des novélisations de films. Pour prendre un exemple récent, des 5 adaptations du "1984" de Orwell, toutes étaient-elles fondées ? La question se pose pour cette version BD de "Le jour d’avant".

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