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Memento Mori, l’art de ne pas mourir

Par François RISSEL le 18 mars 2021                      Lien  
En janvier dernier, l’autrice finlandaise Tiitu Takalo remportait le grand prix Artémisia avec un album intitulé « Moi, Mikko et Aniki », récit d’une lutte sociale pour sauver un quartier historique de la ville de Tampere dont est originaire la dessinatrice. Elle revient aujourd’hui avec un nouvel album beaucoup plus personnel : "Memento Mori". Une chronique hospitalière et post-traumatique où l’autrice évoque l’hémorragie cérébrale dont elle a été victime et les lourdes conséquences derrière cet évènement.
Memento Mori, l'art de ne pas mourir
Moi, Mikko et Annikki
Album lauréat du Grand Prix Artémisia 2021

« Memento mori », une locution latine qui signifie « Souviens-toi que tu vas mourir », comme un rappel à l’ordre, un coup de bâton qui vous sort d’une vie oisive et sans gravité.

Le 4 décembre 2015 était une journée sans histoire pour Tiitu, une belle soirée, un projet d’exposition, une pinte de bière… Quand la dessinatrice s’endort tranquillement ce soir-là, elle ne se doute pas qu’une hémorragie cérébrale va altérer sa vie de manière définitive à seulement 37 ans. Après un long séjour à l’hôpital, les difficultés ne font que commencer. Tiitu a survécu, mais elle doit désormais réapprendre à vivre, petit à petit, et accepter cette réalité qu’elle n’a pas choisie.

La première partie de l’ouvrage décrit le séjour à l’hôpital de la dessinatrice. On y découvre le système de santé finlandais, un fonctionnement véritablement kafkaïen pour de nombreuses raisons. Takalo réalise une chronique hospitalière où elle raconte son quotidien, ses doutes, ses rencontres avec de nombreux praticiens dont les compétences et l’empathie semblent très variables. Si, à la suite de son accident elle était paralysée, elle retrouve sa mobilité, mais c’est une absence totale d’intimité, tout au long de son séjour qui lui pèse profondément. C’est l’histoire d’une convalescence morne et maussade. L’autrice a d’ailleurs fait le choix de n’utiliser que des nuances de gris pour raconter l’hôpital.

Après ce calvaire, Tiitu retrouve son foyer et sa vie domestique. Elle est bientôt confrontée au traumatisme post-opératoire. Elle tombe dans une dépression narquoise ponctuée de nombreuses angoisses et d’un sentiment de culpabilité très fort. Elle se pose des questions vaines et sans réponses : « Pourquoi je suis encore en vie ? », « La plupart des victimes d’hémorragie cérébrale meurent l’année suivante, donc, il ne me reste plus qu’un an à vivre ? » De plus, elle semble profondément lassée à l’idée de devoir reprendre le travail. Elle a perdu l’envie. Bref, c’est une véritable crise existentielle. Pour nous faire comprendre l’ampleur de cette dépression, la dessinatrice nous raconte son histoire et ses antécédents de santé.

À la manière de Pozla avec son « Carnet de santé foireuse », la dessinatrice retranscrit ses sensations et sa douleur avec une nervosité impressionnante. Tiitu Takalo raconte sa convalescence et décrypte sa dépression avec une rigueur effrayante. Dans une économie de tons et un dessin précis, elle décrit son monde et son mal-être, tout en dénonçant un système de santé déshumanisant où le patient perd pied avec la réalité. Memento Mori offre également une belle réflexion sur le travail créatif et la fonction de l’individu dans la société. Un récit puissant sur la force vitale, l’espoir et la résilience qui affecte le lecteur et le pousse à remettre en question sa réalité en le ramenant à sa propre condition.

(par François RISSEL)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782377316151

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