Au cœur d’un été indéterminé, dans un camping engourdi par la chaleur et la routine des vacanciers, deux enfants se croisent, s’observent, se rencontrent et s’apprivoisent. L’une, Lucy, la plus jeune et la plus frêle d’apparence, ne fait que passer quelques jours. L’autre, Roman, un peu plus âgé, est un habitué des lieux. Tous deux sont de grands timides, des êtres farouches mais sensibles et généreux.
Lucy est arrivée une nuit, avec une adulte qui pourrait être sa grande sœur. Elles ont monté leur tente à la lueur d’une lampe de poche, à quelques pas de la moto qu’elles reprendront rapidement. Curieuse et joueuse mais un peu seule, Lucy fait prestement le tour du camping. Elle ne parle que l’anglais, ce qui ne facilite pas les rencontres avec les autres jeunes des parages. Elle cache, sans en avoir l’air, un secret : le personnage est plus complexe qu’il en a l’air.
Roman est un garçon dur, impulsif, orgueilleux, mais lui aussi assez seul, même s’il parvient à se lier avec un voisin du camping, jeune Néerlandais en villégiature avec ses parents. Roman vit avec sa mère, presque invisible, dans une caravane qui semble arrêtée là pour l’été entier. Il masque son désarroi derrière une violence parfois outrancière et incompréhensible.
Malgré leurs différences marquées, Lucy et Roman ont quelques traits de personnalité en commun. Esseulés, ils conservent néanmoins une grande curiosité pour le monde qui les entoure. En recherche inavouée d’affection ou au moins d’attention, ils errent dans le camping, échouant parfois dans leurs tentatives de communication. Ils devaient donc finir par se croiser, ce qui est promptement fait, elle traînant son chien Memet - fabriqué d’une bouteille en plastique remplie de quelques cailloux - et lui arborant une épée en bois pour jouer au chevalier.
Isabella Cieli au scénario et Noémie Marsily au dessin s’associent pour réaliser Memet chez L’employé du Moi, jolie bande dessinée accessible à tous. Les enfants y verront l’aventure d’une rencontre et aborderont la complexité des sentiments. Les adultes y goûteront une madeleine de Proust, évoquant un temps effacé à jamais. Tous pourront s’enchanter de la justesse du ton et de la grâce des dessins.
Si d’évidence les personnages et le récit renvoient à l’enfance, le graphisme y contribue également pour une bonne part. Noémie Marsily a en effet choisi le crayon de couleur pour dessiner Memet, outil privilégié par les enfants, avec le feutre, pour tracer leurs premiers dessins. Ses lignes, tantôt douces, tantôt brisées, savent s’estomper comme des souvenirs. Ses couleurs, fraîches et franches, font briller la lumière estivale tout en faisant miroiter les tons habituellement associés à l’enfance.
Le récit comme le dessin sont finalement composés de la même manière. Par petites touches, nous découvrons Lucy et Roman comme eux-mêmes s’adoptent. Les grands drames deviennent de petits faits et les minuscules incidents sont bouleversants. Le rythme assez lent permet de ménager quelques surprises tout en donnant l’impression d’être installé dans le camping. Et nous suivons les enfants à leur hauteur, sans prétention déplacée ni moralisme pesant.
Récit touchant, économe de mots mais pas de sensations, Memet illustre avec simplicité et subtilité ce qui fait le cœur de l’enfance : l’apprentissage de l’autre et la construction de la personnalité.
(par Frédéric HOJLO)
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Memet - Par Isabella Cieli (scénario) & Noémie Marsily (dessin) - L’employé du Moi - 17 x 21 cm - 104 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 18 octobre 2019.