Depuis quelques temps, on assiste à un retour en force de la bande dessinée érotique sur les rayonnages des librairies. Pourquoi à votre avis ?
La réponse est dans la question : il n’était pas naturel que la bande dessinée érotique soit absente des rayonnages des librairies. C’était du notamment à l’action de ligues de vertu dans les années 1990, à l’origine par exemple de la mise à l’index de titres comme Les Passagers du vent, ou bien du retrait d’exposition des titres de la collection Selen chez Glénat. Et puis, peut-être, au fait que certains auteurs ne s’y sont plus intéressés. Par exemple, la génération dite de la "nouvelle BD", ne s’est pas emparée des choses du sexe. Les gens de l’Association sont resté très prudes à cet égard, si l’on considère leur ambition première qui était de tout chambouler. Il n’y a pas de Robert Crumb à l’Association. Il est vrai qu’ils se sont constitués en réaction avec la BD des années 1980, symbolisée par un magazine comme L’Écho des Savanes, qui publiait du porno. Dupuy et Berberian, notamment, ont longtemps conchié Henri Filippini, éditeur de BD porno chez Glénat, pour cela.
Pourquoi avoir lancé la collection Erotix ?
Parce que nous en avions envie, avec Guy Delcourt. Guy se souvenait par exemple de ses lectures de petit format des éditions Elvifrance, tandis qu’il était adolescent. Il venait de publier Lost Girl, de Melinda Gebbie et Alan Moore, qui est tout de même une bande dessinée pornographique de haute tenue. De mon côté, j’ai toujours été un lecteur de BD porno, notamment les productions de Jean Carton, l’éditeur de BD Adult. J’ai une passion particulière pour l’œuvre de G. Lévis, que je considère comme un grand maître français et que nous allons rééditer, avec notamment une édition intégrale de son chef d’œuvre élégant Liz et Beth.
Quelle différence faîtes vous entre BD pornographique et érotique ? Où se situe EROTIX ?
C’est un vieux débat. On entend souvent dire que le porno de l’un est l’érotisme de l’autre. C’est une question de point de vue. Une scène d’amour physique peut-être considérée comme porno ou érotique d’une personne à l’autre. La notion de vulgarité est essentielle. Et en bande dessinée, la vulgarité est un dessin moche ou un scénario nul. Au cinéma, est considéré comme érotique un film où le coït, le sexe en érection, ne sont pas représentés, ou alors c’est du porno. Mais cette définition est très floue, et varie selon les cultures. Au japon par exemple, vous pouvez représenter des enfants pratiquer la scatologie, mais il ne faut pas montrer les poils...
Après les trois premiers titres de cet automne, quels seront les prochains titres publiés ?
Nous allons entreprendre, avec Guy Delcourt et l’aide de Bernard Joubert pour la documentation, une exhumation de certains titres phares des pockets pornos publiés par Elvifrance dans les années 1970 avec notamment Sam Bot de Raoul Buzzelli et Casino de Leone Frollo. Sam Bot est une œuvre extraordinaire, excellemment traduite par Georges Bielec, et beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, avec un univers unique et des personnages incroyables. L’expression d’un artiste maudit dans toute sa splendeur puisque Raoul Buzzelli, l’âme damnée du grand Guido Buzzelli son frère, était à l’image de son héros Sam Bot, un genre de vagabond céleste que l’on retrouva mort dans les rues de Rome en 1982. Elvifrance publia 72 épisodes de Sam Bot de 1973 à 1979 et certains volumes se vendirent jusqu’à 80 000 exemplaires. On sait que les éditions Elvifrance furent victimes de censures, essuyant plus de 700 interdictions. Nos éditions seront non-censurées. Par exemple, Casino sera publié pour la première fois en France dans une version intégrale. Casino est l’œuvre de l’immense Leone Frollo, un grand dessinateur italien un peu méconnu, mais qui mérite autant la reconnaissance que Manara ou Crepax. Casino raconte la vie d’un bordel en France à la fin du XIXe siècle. Fin 2010, nous publierons une édition définitive du grand œuvre de Frollo : Mona Street.
N’y aura-t-il que des rééditions et des imports ?
Non. Nous allons publier par exemple la prochaine bande dessinée de Riverstone, la première BD porno en 3D, en septembre 2010 ! Et aussi une création de Roberto Baldazzini élaborée par Bernard Joubert à partir de l’histoire vraie d’un magicien chinois, Chung Ling Soo, au début du XXe siècle. Une vraie BD historique en costume et tout et tout… avec un petit quelque chose en plus !
Sur quels critères faites-vous vos choix ?
Les mêmes critères que les autres bandes dessinées : la qualité du dessin et du scénario. Il faut même être très vigilant, car la pornographie goûte mal la vulgarité. C’est pourquoi nous avons réédité des valeurs sûres. Crepax et Magnus savaient comment faire du porno chic. G. Lévis et Leone Frollo aussi.
Les albums de la collection seront-ils vendus avec un sticker "pour adultes" ?
Il n’y a pas de raison particulière de différencier physiquement la bande dessinée pornographique des autres bandes dessinées. Par exemple, les volumes de la Pleïade chez Gallimard consacrés au marquis de Sade ne portent pas de macaron et l’Histoire d’O de Pauline Reage (dont nous allons publier l’adaptation en bande dessinée par Guido Crepax en octobre 2010) n’est pas vendue sous blister. C’est au libraire d’opérer des séparations dans ses rayonnages. Longtemps, la bande dessinée était uniquement destinée aux enfants mais ça fait bien longtemps que ce n’est plus le cas.
(par Laurent Boileau)
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