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13 femmes en lice pour le Prix Artémisia

Par Thierry Lemaire le 16 décembre 2009                      Lien  
Le monde encore très majoritairement masculin de la bande dessinée voit depuis quelques années les femmes prendre une place grandissante. Le Prix Artémisia, créé en 2007 à l'initiative de Chantal Montellier, participe à cette évolution en récompensant chaque année une auteure de BD. La semaine dernière, les jurés ont dévoilé les sélectionnées en lice pour l'édition 2010.

Après Johanna Schipper pour Nos âmes sauvages et Tanxxx & Lisa Mandel pour Esthétique et Filatures, les jurés du prix Artémisia ont levé le voile sur les nominées de l’édition 2010.

Une sélection où Delcourt et Futuropolis se taillent la part du lion. Des têtes d’affiche comme Claire Bretécher, Camille Jourdy (déjà récompensée cette année par le prix RTL), Aude Picault, Chloé Cruchaudet, Aurelia Aurita, et des dessinatrices moins connues composent une liste plus étoffée que les précédentes années.

Rendez-vous le 9 janvier, jour anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir, pour la révélation de la lauréate.

13 femmes en lice pour le Prix Artémisia
La brochette des jurés, avec de gauche à droite : Martine Huet (docteur en psychologie), Thierry Groensteen (éditeur, essayiste), Chantal Montellier, Lily Sztajn (écrivain traductrice), Valérie de Saint-Do (journaliste), Yves Frémion (critique de BD), Carole Schilling (directrice artistique), Miles Hyman (dessinateur). Manquait à l’appel Marguerite Abouet.
(c) Thierry Lemaire

La liste complète :
* L’île au poulailler de Laureline Mattiussi (Treize Etrange)
* Transat de Aude Picault (Delcourt)
* La ballade de Hambone de Leila Marzocchi et Igort (Futuropolis)
* La jeune fille et le nègre 2 de Judith Vanistendael (Actes sud)
* Agrippine de Claire Bretécher (Dargaud)
* Ida de Chloé Cruchaudet (Delcourt)
* Tout peut arriver d’Anna Sommer (Buchet-Chastel)
* Rosalie Blum de Camille Jourdy (Actes Sud)
* A l’ombre des murs de Arnaud Le Roux et Marion Laurent (Futuropolis)
* Moi vivant, vous n’aurez jamais de pause... de Leslie Plée (Gawsewitch éditeur)
* Buzz-moi de Aurélia Aurita (Les Impressions nouvelles)
* Amato de Aude Samama et Denis Lapière (Futuropolis)
* Vacance de Cati Baur (Delcourt)

Jean-Pierre Dionnet (les bras croisés) et Michel-Edouard Leclerc (chemise bleue) étaient présents. L’un comme ami et ancien éditeur de Chantal Montellier, l’autre comme mécène fidèle de la manifestation.
(c) Thierry Lemaire

Cette manifestation nous a permis également de converser avec Chantal Montellier, partagée entre son agacement sur l’évolution de la BD féminine actuelle et son envie de relancer, 30 ans après, le journal de ses rêves :

Pour vous, quelle serait l’ambition de ce Prix Artemisia ?

Un regard de femmes sur la production BD. Se donner les moyens de voir ce qui se passe, d’en parler, d’en juger. Et aussi de valoriser et éclairer certains albums faits par des femmes. Pour ce qui me concerne, j’ai démarré dans le dessin narratif vers 1973 et j’ai pu constater que souvent les jurys étaient et sont toujours constitués essentiellement de représentants du sexe masculin qui se cooptent. Notamment les pré-jurys. Avec ce Prix, on veut à la fois sortir de cette logique et se donner à soi-même la reconnaissance qu’on nous refuse. Je crois que ça rencontre pas mal de sympathie.

En présentant la sélection, vous avez parlé d’un recul par rapport aux années du féminisme. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Chantal Montellier
(c) Thierry Lemaire


J’ai constaté, depuis la création du Prix Artemisia, à travers les albums que les éditeurs nous envoient et ceux que nous nous procurons nous mêmes, qu’il y a beaucoup d’histoires à la première personne, ceci de manière quasi exclusive. « Moi je, moi je, moi je ». Je pense que cette présence du « moi je » a été moins forte à certaines autres époques. Le « moi je » est important, sinon il ne se passe rien, mais qu’il y ait une espèce de resserrement là-dessus n’est pas nécessairement très bon signe il me semble.
Dans les journaux que j’ai connus et pour lesquels j’ai produit à une certaine époque, comme le défunt Ah ! Nana [1] , je me souviens, par exemple, des récits de Nicole Claveloux qui revisitaient les contes de fée sur un mode ironique, grinçant et ludique à la fois. Trina Robbins, une Américaine, racontait les aventures d’une ouvrière d’usine. Personnellement j’allais “gratter” du côté des bavures policières...

Le monde qui nous entoure, la société, les luttes de sexe et de classe, tout ça me semble passer un peu au second plan au profit, par exemple, des rapports mère-fille ou du cercle familial... C’est un peu comme si un esprit malin avait repoussé les femmes vers l’intime. Pourquoi pas, si l’intime reste un peu inquiet de ce qui se passe autour. Je crois que c’est important de confronter l’intime au monde. Pour moi, c’est incontournable pour développer un propos intéressant.

L’intime a vite fait de tomber dans le nombrilisme.

Voilà. Les imaginaires, notamment ceux des femmes, me paraissent trop limités par cette espèce de « ceinture de contrition » qu’est l’intime. Je crois que c’est un miroir très réducteur, même si l’intime peut parfois ouvrir sur des choses passionnantes. À dire vrai, j’ai l’impression qu’une majorité des auteures publiées ont un peu le nez dans leurs chaussures. En se demandant « quelles chaussures mettre ? », plutôt que « quelle ville on va voir et dans quelle ville on va marcher avec ces chaussures ? ».

Et par rapport à il y a 30 ans ?

Il me semble que le niveau de conscience n’était pas tout à fait le même. On problématisait peut–être un peu plus les choses. On avait un regard plus politisé, osons le mot. On mêlait peut-être plus l’intime au politique. Politique au sens large.

Finalement, est-ce que ce prix ne peut pas devenir une sorte d’observatoire de la BD féminine ?

C’est un des buts. La bande dessinée féminine est peu commentée en tant que telle, peu analysée bien qu’elle soit à la fois un miroir de la société actuelle et un... symptôme. Il y a tout de même quelques travaux de recherche, de réflexion... des choses qui s’écrivent. Dernièrement une étudiante toulousaine, Florie Boy, m’a sollicitée pour son master « Cultures de l’écrit et de l’image » ; elle y compare l’itinéraire de trois auteures de bandes dessinées, Claire Bretécher, Marjane Satrapi et moi-même. Je viens de lire son texte, c’est très intéressant et elle m’a appris pas mal de choses. Mais ce genre de démarche est hélas trop rare. Si on crée un groupe de réflexion, un “observatoire” comme vous dites, ce sont des choses dont on peut s’emparer, mettre en discussion.

Et vous n’avez pas le projet de créer une revue pour porter cette réflexion ?

Mon rêve serait de donner une autre chance à ce journal pour lequel je me suis battue : Ah ! Nana. Sous une autre forme. Peut-être une forme mixte avec un espace de création et un espace de réflexion. Je suis persuadée qu’il y a quelque chose à repenser et à recréer. Mais l’époque est difficile et les moyens manquent.

(par Thierry Lemaire)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Visiter le site de Chantal Montellier

[1Revue publiée entre 1976 et 1978 par les Humanoïdes Associés, réalisée par des femmes, pour un public féminin. Après neuf numéros sur des thèmes comme « la mode démodée », « l’homme », « le sexe et les petites filles » ou « l’inceste », la revue est censurée pour pornographie et doit s’arrêter.

 
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3 Messages :
  • Comment se fait il que Thierry Groensteen soit à la fois membre du jury et partie prenante des albums sélectionnés avec "La jeune fille et le nègre" chez Acte-Sud/L’an 2 dont il est l’éditeur ?

    Répondre à ce message

  • « Moi je, moi je, moi je »

    Je suis d’accord avec Chantal sur quasiment toute son analyse sauf sur un point : ce mode en "moi je" concerne aussi et autant les jeunes auteurs mâles. Je crois que ce n’est pas une question de sexe, mais plutôt une question d’époque. On est encore dans une période où l’autobiographie, l’auto-fiction, la "BD vérité", le constat triomphent.
    Se contenter du constat, c’est s’embourgeoiser.
    La fiction, c’est donner le pouvoir à l’imagination, le droit à l’utopie... On en a besoin pour ré-inventer le monde.
    Nous re-basculerons nécessairement vers la fiction.

    Il y a des tas de bons livres que je regrettais ne pas voir apparaître dans les nominations angoumoisines...
    Donc, rien que ça, ça justifie l’existence de ce prix !
    Merci !

    Répondre à ce message

    • Répondu le 4 mai 2014 à  14:26 :

      Ce n’est pas faux : le "moi je" est une mode chez les auteurs hommes comme les auteurs femmes... Il n’empêche que Chantal Montellier (une grande artiste qui mériterait d’être reconnue à sa juste valeur) n’a pas tort de dire que cette tendance nombriliste est nettement plus répandue chez les femmes que chez les hommes.

      La dessinatrice Alexe ("Paradis perdu", "Lancelot" et bientôt "La geste des chevaliers dragons") déplore la mysoginie du milieu de la BD mais aussi l’ostracisme dont elle est victime de la part de nombre de ses collègues femmes : celles qui pratiquent la BD à la mode et qui méprisent la BD d’aventure qu’Alexe est (avec Claire Wendling ou Annabel Blusseau) l’une des très rares femmes à pratiquer.

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