Eh non, il n’a pas neigé à Angoulême comme nous l’avions annoncé, alors que Paris s’habillait de blanc. C’est le paradoxe charentais qui a offert incontestablement cette année, en dépit du crachin, un contexte de douceur et de concorde dans une France qui gelait, harcelée par les Gilets jaunes. Il faut croire que la BD a créé une sorte de microclimat favorable sur le plateau angoumoisin.
Pour le FIBD, c’est incontestablement une année de consolidation. Les nombreux articles, parfois dithyrambiques, que nous avons publiés sur la programmation (et ce n’est pas fini…) en témoignent amplement. La manifestation a ouvert de nouveaux espaces avec un Manga City de 2500m² et en doublant le Marché International des Droits où de nombreux éditeurs internationaux étaient présents, notamment dans des stands collectifs. Les responsables des droits étrangers des éditeurs en ont ressenti immédiatement l’effet : « Nous avons autant de rendez-vous qu’à Francfort, jusqu’à 25 par jour ! » nous a dit l’un d’eux.
Du côté de l’espace asiatique en revanche, alors que le FIBD annonce un succès d’affluence (+57% de fréquentation, selon le communiqué), quelques voix y ont vu un espace « quelquefois clairsemé » et dénoncent un lieu trop éloigné du reste du festival, « dans un endroit où les expositions sont peu attractives. » le Festival a cependant bien l’intention de persévérer dans cette direction, le lieu choisi étant, nous dit-on, provisoire…
Il y a les Prix et les prix…
Le FIBD, toujours dans le même communiqué, déclare avoir connu une forte hausse du public scolaire : + 60%, « sans doute emmenée, entre autres, par l’exposition consacrée à Bernadette Després, autrice de Tom Tom & Nana ». Cette affluence était bien visible le vendredi. Les nombreuses animations du week-end (Astérix, Boule & Bill, Zombillenium, Le Cirque des Spectaculaires, Ernest et Rebecca…) confortèrent cette présence dans sa dimension familiale.
Seul bémol : le prix, ressenti comme trop important par les festivaliers venus en famille : « 25 euros le samedi et 19 euros les autres jours, c’est se moquer des gens qui aiment le monde de la BD » vocifère un visiteur sur la page Facebook du FIBD. « Quand on est une famille de 4 personnes = 100 euros ! c’est énorme ! les organisateurs ne se rendent pas compte, ils sont dans leur "bulle" et c’est bien dommage » déplore un autre. On suppose que les Grands Prix coûtent cher, surtout quand ils viennent des USA et du Japon…
« Le mieux, c’est quand même les personnes qui ont acheté en prévente et qui ont dû faire la queue pour le bracelet… », note un troisième festivalier. Les files, notamment, à cause des consignes de sécurité, raccourcissent les temps de visite, et quand une exposition a du succès (comme Batman, par exemple), c’est quasiment l’émeute.
Une dimension internationale flatteuse mais contestée
Le FIBD est fier de sa dimension internationale. Il est vrai que ni les USA et encore moins le Japon ont cette ouverture dans le palmarès. Une japonaise Grand Prix et une Américaine Fauve d’or, avec en accessit un Belge néerlandophone, un Suisse, des Libanais ou un Danois, aucun autre festival au monde ne peut aligner une telle diversité, qui se reflète encore dans la programmation cette année d’expos majeures consacrées aux écoles de BD japonaise, américaine et italienne…
Là encore, le FIBD prête le flanc à la critique : entre une sélection qui favorise la bande dessinée alternative et une programmation qui fait la part belle à l’étranger, le FIBD peut-il prétendre à être la vitrine de la création francophone, y compris dans sa dimension commerciale ? De plus en plus de professionnels, auteurs comme éditeurs constatent que non et ne cachent plus leur colère.
Le défilé des ministres
Naguère, le FIBD avait reçu la visite du Président François Mitterrand, prélude à la création du Musée de la BD. La venue du Ministre de la culture, M. Frank Riester, présent le soir de la cérémonie des Fauves et annonçant une « année 2020 de la BD » (nous vous en reparlerons), et celui du Ministre de l’éducation M. Jean-Michel Blanquer, ainsi que le Secrétaire d’État à la Jeunesse, M. Gabriel Attal, présent à la cérémonie des Fauves découvertes en l’absence de son ministre, montre l’importance qu’a le Festival pour l’État qui l’avait un peu délaissé ces dernières années. Cela se concrétise par une convention triennale pour les années 2019-2020-2021, passée avec le ministère de la Culture et le Centre National du Livre, les collectivités locales et la CCI de Charente. D’aucuns cependant se méfient de ces moulinets politiques surtout quand de nouvelles élections (les Européennes) ne sont pas loin...
Palmarès et Grand Prix
Nous ne reviendrons pas sur le palmarès déjà largement commenté hier. Si l’on considère le Grand Prix (Rumiko Takahashi) et le Fauve d’or du meilleur album (Emil Ferris), les femmes sont à l’honneur cette année. Pour le palmarès, nous avions une autrice comme Dominique Goblet à la présidence du jury. L’élection de la mangaka a été une surprise. Mais là encore, la mobilisation des autrices dans la campagne électorale en faveur de sa réélection a montré qu’elle pouvait faire la différence. La soi-disant minorité féminine a fait la démonstration qu’elle pouvait être agissante… Jusqu’à devenir une succursale du Prix Artemisia ?
En revanche, les dents grincent du côté des auteurs. « Je me trompe où cela fait deux ans de suite que cette prétendue élection aboutit à un trio composé à chaque fois d’un Français, d’un Américain et d’un Japonais. Cela a l’air un peu trop calculé... » nous dit l’un d’eux... Pas faux… Le FIBD nous affirme que les votes sont contrôlés par huissier, mais il ne brille pas par sa transparence. « Il faudrait que l’on ait au moins la connaissance d’un Top Ten d’une année à l’autre » en conclut un des auteurs rencontrés lors du Festival. Pas faux... Dans toute élection, on a des résultats complets. Pourquoi ne pas les publier ici ?
Comme on le voit, il ne neige pas mais les critiques pleuvent. Toujours est-il que l’édition 2020, une année labellisée par le ministre Riester « Année de la bande dessinée », gardera sa tonalité internationale puisqu’à côté de Pierre Christin et de Rumiko Takahashi, tous deux primés c’est cette fois Yoshiharu Tsuge, qui partagera l’affiche. Il est publié par Cornélius et Atrabile, cela va encore faire jaser...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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