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Angoulême 2019 : Emil Ferris domine la cage aux Fauves

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) Charles-Louis Detournay Laurent Melikian Vincent SAVI Frédéric HOJLO le 26 janvier 2019                      Lien  
Une fois encore, le palmarès du Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême récompense des œuvres peu connues du grand public, mais qui font la démonstration de l'infinie créativité des artistes actuels du 9e art. Un palmarès exigeant invitant à la découverte.

La cérémonie de remise de Fauves, prix du FIBD d’Angoulême, demeure le moment attendu, tant par la profession, attentive à la sensibilité du jury, que le grand public, désireux de comprendre comment les professionnels de la bande dessinée consacrent les albums remarqués de l’année.

Concernant la cérémonie en elle-même, elle fut une fois de plus présentée par Stéphane Beaujean, directeur artistique du festival, aussi brillant dans sa sobriété que touchant dans sa sincérité. Le tout également animé, comme l’année dernière, par David Prudhomme & François Olislaeger à l’écran, dans un décor en hommage à Stan Lee : on ne change pas une équipe qui gagne !

Angoulême 2019 : Emil Ferris domine la cage aux Fauves
François Olislaeger & David Prudhomme (de g. à d.), à la cérémonie des Fauves
Photo : F. Hojlo

Nous ne sommes pas étonnés qu’avec un jury présidé par Dominique Goblet, une autrice publiée chez Fremok et à L’Association, le Fauve d’or se porte sur une bande dessinée d’auteur - d’autrice en l’occurrence - d’une grande exigence artistique.

Emil Ferris, vue par David Prudhomme & François Olislaeger
Photo : F. Hojlo

En quelques mots-clés, Dominique Goblet, présidente du jury, a exprimé ses attentes : « Densité, complexité, impact, complètement hors norme et hors proportions. Je rêvais d’un livre qui renverse les barrières et les codes de la bande dessinée. »

Emil Ferris reçoit le Fauve d’Or des mains de Dominique Goblet, Présidente du jury.
Photo : Laurent Mélikian

Le palmarès couronne une dessinatrice qui engrange les lauriers depuis plusieurs mois, non seulement en France cette semaine encore avec le Prix de la Critique de l’ACBD, mais également en Amérique où elle avait été déjà largement célébrée (Prix Harvey, Eisner Awards, etc.). Nous l’avions nous-mêmes repérée avant même qu’elle soit éditée en France. On peut ainsi parler de phénomène puisque Moi, ce que j’aime c’est les monstres est publié par un éditeur récemment entré en bande dessinée.

« J’ai été un monstre toute ma vie, a expliqué Emil Ferris, Grâce à votre amour, et votre gentillesse, j’ai trouvé un sens à ma vie, et une communauté qui m’accueille. Merci à tous ! Initialement, j’espérais que ce livre puisse procurer un soulagement aux problèmes que les gens peuvent rencontrer dans leur vie. C’est sans doute un peu de magie que les auteurs de BD peuvent créer. Et ces cadeaux, ils sont construits grâce aux auteurs, ainsi que via les libraires et les journalistes. Merci à tous pour continuer à faire vivre cette magie ! »

© Laurent Mélikian

Prix René Goscinny pour Pierre Christin

Le Prix René Goscinny, couronnant un scénariste, annoncé en décembre dernier, a été remis lors de la cérémonie. « Nous sommes fiers d’honorer Pierre Christin, explique Stéphane Beaujean. À une époque où l’on était soit de gauche, soit de droite, il sillonnait ce monde fermé, d’Est en Ouest, avec un grand esprit d’ouverture. »

Et le public, en standing ovation, a applaudi de manière enthousiaste le scénariste montant sur scène :

« C’est la seconde fois que je reçois ce prix du scénario. La première fois, ce fut lors du deuxième festival d’Angoulême. À l’époque, on faisait peur, explique-t-il avec humour, tout le corps professoral nous haïssait, et les parents se méfiaient de la profession. Barbus et chevelus, les post-soixante-huitards que nous étions effrayaient même les commerçants angoumoisins qui baissaient leurs rideaux de fer à notre approche. La presse ne parlait pas de nous. Heureusement, il y avait les lecteurs ! »

© Laurent Mélikian

« Lors de ce premier prix, il devait y avoir dix personnes dans le public, des égarés. Puis, je ne pouvais pas ne pas avoir de prix : nous n’étions que quatre scénaristes ! Avant, personne ne savait ce qu’était un scénario de bande dessinée. Aujourd’hui, je me dis que je ne l’ai sans doute pas reçu en fonction de la qualité de mes scénarios, mais plutôt à la quantité », souligne avec humilité le scénariste de Valérian.

« Je n’ai pas fait que de la bande dessinée, continue-t-il avec sincérité et second degré. Mais lorsqu’on écrit des romans : on s’emmerde et on est seul. Tandis que grâce à la BD, on est ensemble, on travaille plus vite. Puis, il faut qu’un scénario s’écrive rapidement, afin de rester dans son sujet. Pourtant, un scénario de bande dessinée, ce n’est pas drôle à lire. Sans le dessinateur, notre immense génie risque de rester dans les cartables. C’est le dessinateur qui transforme ce chiffon de papier en une histoire. »

« La BD, c’était mieux il y a 50 ans, conclut-il en référence aux disparus dont les noms ont une fois de plus orné l’écran de la scène. Car il n’y avait pas d’annonce nécrologique : on était tous jeunes, personne ne mourait ! En un demi-siècle, je n’aurais pas cru que la bande dessinée puisse prendre une ampleur pareille, contribuer à générer deux générations d’artistes, tout en sauvant de son marasme le marché français du livre. »

Photo : F. Hojlo

Prix spécial du jury

Le jury en revanche n’a pas pris trop de risques en offrant un accessit - le Prix Spécial du Jury - à Brecht Evens pour Les Rigoles (Actes Sud BD), déambulation picturale nocturne, élaborée dans un style aux couleurs endiablées et qui s’attarde sur l’un des quartiers les plus pittoresques du XXe arrondissement de Paris.

Brecht Evens étreint Stéphane Beaujean. Un Directeur artistique au septième ciel.
Photo : Laurent Mélikian
© Laurent Mélikian
© Laurent Mélikian

Fauve Révélation : Émilie Gleason pour Ted, drôle de coco

Autre autrice, saluée cette fois par un Fauve Révélation : Émilie Gleason dont Ted, drôle de coco nous avait également touchés au point que nous en faisions, comme pour Emil Ferris, l’un de nos « coups de cœur » de la rentrée : « Rarement une bande dessinée ne nous aura autant rapproché d’un personnage pourtant si complexe, car éloigné de nos manières de penser et ressentir », écrivait à son sujet notre collaborateur Frédéric Hojlo.

« Un album qui nous a touché pour sa poésie, et l’énorme sensibilité qu’il transmet au lecteur. », expliquait le jury.

« Je suis très émue, et j’ai le cerveau en compote, prise dans ce tourbillon extraordinaire de la création et de la publication de cet album, explique la lauréate. « Ce récit ne retrace pourtant pas la moitié de ce que ma famille a vécu en vingt-cinq ans avec mon frère autiste. Mais si je peux faire bouger un peu les choses grâce à cette BD, si cela peut aider le public à prendre conscience de ce sujet aussi mal connu, alors ma vie prendrait tout son sens. »

Émilie Gleason, émotions
Photo : Laurent Mélikian
© Laurent Mélikian

Prix de la bande dessinée alternative

Cette année, le festival a décidé de récompenser le collectif Samandal pour la revue Expérimentation qu’elle a publiée fin 2018, dont cette fois le rédacteur en chef était le Suisse Alex Baladi, l’invité d’honneur du prochain BDFIL de Lausanne.

C’est d’ailleurs lui qui est venu recevoir le prix : « Ce collectif de Beyrouth m’a proposé d’être le rédacteur en chef d’un numéro expérimental. Je me suis fondé sur la contrainte des trois langues de la revue et j’ai fait ajouter les bandes muettes, tout en invitant des auteurs français, libanais et suisses à nous rejoindre. »

Alex Baladi
© Laurent Mélikian
Le collectif Samandal
© Laurent Mélikian

Fauve de la série

Le Fauve de la série, habituellement décerné à une bande dessinée davantage commerciale, est décerné cette année à un triptyque qui s’inscrit dans la tradition mémorielle du roman graphique. Avec Dansker, le Danois Halfdan Pisket a magnifiquement travaillé à redonner une identité à son père, réfugié kurdo-arménien entraîné jusqu’au cœur de Copenhague par une spirale de violence le poursuivant depuis l’Anatolie.

Évoquant cet album, notre collaborateur Frédéric Hojlo écrivait il y a quelques jours : « Déjà distinguée au Danemark, la trilogie d’Halfdan Pisket, qui a été aussi éditée en intégrale, est présente, grâce à son troisième volume, dans la sélection officielle du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2019. Elle figure en bonne place, du moins le croyons-nous, pour recevoir le prix de la série. L’ampleur du récit - historique, sociale, psychologique - et le parti-pris graphique le justifieraient amplement. »

"Aujourd’hui, c’est la première fois que je sors de chez moi depuis trois mois, explique Halfdan Pisket, très ému. Parce que mon père, le héros de cette trilogie, est en train de mourir. Mais c’est lui qui m’a convaincu de venir..."

Halfdan Pisket, en hommage à son père en fin de vie.

Fauve Patrimoine pour Gustave Doré

Remis par Jérôme Briot, le Fauve Patrimoine, met à l’honneur le XIXe siècle en récompensant une œuvre de littérature en estampes, Les Travaux d’Hercule par Gustave Doré magistralement offert à l’attention des lecteurs du XXIe siècle par les Éditions 2024.

Jérôme Briot, juré, librairie et journaliste
© Laurent Mélikian

Frédéric Hojlo, décidément à la fête cette année, écrivait à son sujet : « Avec cet ouvrage soigneusement édité d’après les exemplaires conservés à la Bibliothèque des Musées de Strasbourg, mais qui n’est pas pour autant un fac-similé, 2024 nous permet de redécouvrir l’œuvre d’un dessinateur connu davantage pour ses milliers d’illustrations que pour ses bandes dessinées »

Les éditions 2024 : un Fauve pas doré pour Gustave Doré
© Laurent Mélikian

En guise de conclusion, la traditionnelle ’"photo de famille", ainsi que quelques photos d’ambiance :

© Laurent Mélikian
© Laurent Mélikian

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par Charles-Louis Detournay)

(par Laurent Melikian)

(par Vincent SAVI)

(par Frédéric HOJLO)

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