Tout cela est raconté au fil de l’eau, ponctué quelquefois de croquis sans texte, moments de curiosité ou de sidération. Personnellement, j’adore les diaristes, de Victor Hugo à Paul Léautaud. Ces notes au fil des jours permettent des fulgurances, des observations, des réflexions qu’un roman ne peut pas rendre. On peut s’autoriser des gros mots (Joann Sfar n’y résiste pas), des réflexions contradictoires, des petits morceaux de philosophie sans conséquence…
On y apprend rapidement que l’auteur va avoir cinquante ans, qu’il est désormais contraint de porter des lunettes, qu’il n’a plus le physique svelte d’un jeune premier et… qu’il a des hémorroïdes ! Mais on découvre aussi son quotidien : sa dispute avec les restaurateurs syriens du voisinage en lutte contre les déjections canines, la pandémie du Covid et le port du masque, son engagement pour la réouverture des librairies, etc.
« Je n’écris pas pour dire mes secrets, explique-t-il, mais pour rendre compte d’une expérience universelle. Tout mon travail consiste à penser qu’il y a un endroit où nous sommes semblables. Parfois, c’est la vie, souvent c’est le livre… »
Sfar déverse ses souvenirs dans ce qui apparaît pour sa propre progéniture comme un « roman familial », de ses premiers flirts dans sa chambre en cachette de son père, ou de secrets parfois lourds à porter, pas forcément les siens.
Il y a quelque chose de très moderne dans cette approche : une réflexion sur la vérité du discours dans un processus qui relève toujours de la fabrication, compliquée par la responsabilité de ce que l’on raconte quand cela implique des proches qui ne vous ont pas demandé de subir cette exhibition. Mais il y a des moments très sincères, « sans filtre » comme on dit aujourd’hui, quelquefois débraillés dans l’expression mais souvent très justes, notamment dans les moments de tension.
Et puis il y a le judaïsme qui prend une place importante dans la vie, et surtout l’œuvre de l’auteur. Une identité plus qu’une religion, un viatique existentiel qui lui vaut des agressions antisémites sur les réseaux sociaux : « Un sacré comité d’accueil t’attend si tu refous les pieds à Nice, connard. » Des insultes plurimillénaires qui permettent à Sfar de constater qu’« il existe une rage que nos contemporains arrivent de moins en moins à traduire en langage. »
À la fin de l’ouvrage, quelques kilos perdus : au fur et à mesure que l’auteur maigrit, son carnet grossit. La cure ne touche pas le lecteur : le livre, tous les amateurs de BD le savent bien, cela a un certain poids… Pas seulement en termes physiques : certains restent gravés à jamais dans nos mémoires et dans nos consciences. Peut-être des morceaux de celui-ci, qui sait ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Comment maigrir – Par Joann Sfar – Gallimard BD
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