Voici la lettre ouverte que l’on peut lire sur le site autricesauteursenaction.org, en réaction aux choix opérés par les acteurs en place durant cette crise du livre :
Couplé à la crise du papier et du carton, la demande croissante en bande dessinée en librairie a été cause d’un bond d’activité imprévisible chez les libraires bien sûr, mais aussi chez les distributeurs, entreprises puissantes et méconnues de la chaîne du livre, dont l’activité principale est de stocker et de livrer les ouvrages aux libraires dans de grands camions parcourant nos belles autoroutes.
Chez la majorité des distributeurs, cette crise de croissance s’est déroulée avec quelques soubresauts mais sans difficultés majeures. Mais pas chez MDS.
MDS est une société de distribution sise à Dourdan (Essonne), mais aussi au Benelux, filiale du groupe Média-Participations, l’un des quatre principaux groupes d’édition de bande dessinée en France. MDS distribue aussi des livres pour de nombreux petits éditeurs indépendants. Au total, ce sont plus de 120 éditeurs de toutes tailles qui sont dépendants de MDS.
Pour faire face à la crise du papier, ainsi qu’à la demande du lectorat, on aurait pu penser que Bruno Delrue, président du Conseil d’Administration, venant du monde de l’industrie pharmaceutique, mais président aujourd’hui de MDS comme de Dilicom, aurait eu la compétence et l’envie de prioriser la vision à long terme au bénéfice du monde culturel. Au lieu de cela, MDS semble avoir eu pour priorité les gains à très courts termes, embauchant des intérimaires sous-payés, leur imposant des conditions très difficiles, au point que celleux-ci ont préféré dans de nombreux cas travailler au dépôt Amazon de Dourdan, malgré la piètre réputation des conditions de travail proposées par la plateforme américaine.
Dans ces conditions, la situation ne pouvait que se dégrader. Les retards de livraison se sont accumulés, au point que le 23 novembre, l’entreprise a informé les libraires, brutalement et par courrier, de son incapacité à honorer les commandes de moins de trois exemplaires d’un même livre. Condamnant par là même les petites librairies possédant beaucoup de références d’ouvrages en un seul exemplaire, interdisant les commandes de clients ou les ventes de livres en médiathèques à l’unité.
Le Syndicat de la Librairie française (SLF) a naturellement répliqué que ces conditions étaient scandaleuses. Considérant que les libraires ne pouvaient s’engager sur des livres distribués par MDS au moins jusqu’aux fêtes, le SLF leur envoya même une affichette présentant les logos des éditeurs concernés, et invitant les clients des librairies à se réorienter vers d’autres éditeurs.
S’il y a évidemment un fort risque que certains clients se dirigent plutôt vers une plateforme en ligne déjà citée, gageons que les libraires sauront se tirer de ce mauvais pas, conseillant à leurs clients d’autres ouvrages pour les livres les moins vendus, commandant trois exemplaires des ventes plus conséquentes. Les petits éditeurs distribués par MDS risquent, en revanche, d’en subir les conséquences.
Mais derrière eux, déjà fragiles et n’ayant aucun moyen d’action, otages complets de la situation, les autrices et les auteurs dont la présence en librairie est rarement supérieure à deux ouvrages, vont à coup sûr payer le prix fort de ce pugilat entre Librairie, Édition et Distribution.
Conscients qu’il est probablement vain de se diriger vers les pouvoirs publics, qui préfèrent s’en aller visiter les mers de Chine que résoudre les problèmes pour lesquels ils sont mandatés, nous, représentantes et représentants des Autrices Auteurs en Action, décidons tout de même d’interpeller Madame la Ministre de la Culture et tous les acteurs et actrices de la chaîne du livre, afin qu’ils trouvent rapidement une porte de sortie à cette situation scélérate, mettant en danger les plus fragiles des maillons de cette chaîne suite à l’incurie et l’imprévoyance d’un de ses composants les plus florissants.
Nous, autrices et auteurs, exhortons les responsables de cette situation de blocage, à savoir la société MDS et le SLF, à trouver rapidement une sortie de crise la moins impactante possible pour les auteurices qui, faut-il le rappeler, étaient déjà avant 2020 dans une situation de tension maximum. Nous refusons d’être des victimes collatérales et notre détermination n’a pas faibli. Nous ne sommes ni une matière première corvéable, ni une variable d’ajustement. Nous sommes des travailleurs et des travailleuses qui avons l’exigence a minima de vivre dignement de notre labeur.
Sans autrices, sans auteurs, pas de livre, pas d’édition, pas de distribution, pas de diffusion, pas de librairie, pas de lectrice, pas de lecteur.
Constatera-t-on un sursaut des principaux concernés, alors qu’à l’approche des fêtes, la situation s’enlise dangereusement ? Le milieu des libraires n’est pas optimiste...
Sous la pression du SLF, Média Diffusion traite désormais les commandes à l’unité, mais pour les commandes clients seulement, du 1 au 3 décembre. Le but étant de servir les commandes clients qui ont été passées depuis le 10 novembre et non honorées. Et encore, il ne faut pas que le nombre de commandes client passées dépassent les 63 000 lignes (à l’échelle nationale), ce qui correspondrait aux nombre de commande qu’ils n’ont pu honorer... une compensation bien maigre alors que des best-sellers de la fin d’année, comme Le Monde sans fin de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici (Dargaud), sont demandés sans cesse par les lecteurs sans avoir été livrés dans certains points de vente.
(par Auxence DELION)
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