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Faut-il s’affliger de l’excellente santé de la bande dessinée ?

Par Oussama KARFA Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 février 2023                      Lien  
C'est devenu d'une banalité ! Chaque année, la BD pousse son cocorico triomphant en constatant que, pour l'année écoulée, une fois encore, elle bat des records. Le livre le plus vendu de l'année ? Une BD, "Le Monde sans fin" de Jancovici et Blain (Ed. Dargaud) ! Dans une année "sans Astérix", c'est à dire sans le best-seller-téflon de l'édition française. Sa potion magique, au 9e art? Le manga, mais pas seulement : le roman graphique, la non-fiction, les comics à petit prix, la BD jeunesse. Une crise sanitaire survient : allez hop!, +10% de nouveautés en plus et 25 nouveaux éditeurs. C'est quoi ce truc?

À la faveur du Festival d’Angoulême, le groupe GfK publie son rapport sur le marché de la bande dessinée en 2022. Et les nouvelles semblent plutôt bonnes. Car oui, 2022 est la deuxième meilleure année de vente pour le neuvième art depuis 20 ans : 85 millions d’exemplaires ont été vendus en France, pour un chiffre d’affaire de l’ordre de 921 millions d’euros.

Faut-il s'affliger de l'excellente santé de la bande dessinée ?
Le manga, toujours en tête, toujours à la fête.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

La BD, c’est incroyable, reste toujours deuxième derrière la littérature générale : pendant que, par rapport à 2021, elle acquiert 631 000 nouveaux acheteurs, la littérature, elle, en a perdu 140 000 !

On peut comprendre : dans notre société de l’image, on va plutôt lire le dernier album de Jancovici et Blain que le dernier rapport du GIEC. Il vaudrait mieux !, vocifèrent certains opposants au VRP de l’écologie qui lui reprochent notamment ses positions sur le nucléaire.

Le fait est que la "non-fiction" triomphe. Derrière Le Monde sans fin, c’est le 6e et dernier tome de L’Arabe du futur qui pointe sa frimousse. Presque 300 000 exemplaires vendus ! Un petit coup d’oeil sur le top des ventes montre que le dernier Grand Prix d’Angoulême a en plus vendu plusieurs centaines de milliers d’exemplaires des titres précédents. Sattouf a droit à son triomphe.

Le manga continue sa croissance encore cette année.
© GfK

Mais aussi les mangas. Plus de 50% du marché, 6 titres sur 10 dans le top des ventes (sans compter le fonds qui tourne à plein rendement), les mangas sont essentiellement consommés par des jeunes et offrent de confortables marges à leurs éditeurs. Alors qu’au Japon, le marché recule en faveur du numérique, la France représente un relais de croissance, on l’a encore vu avec la forte présence des mangakas à Angoulême cette année, au Magic de Monaco ce dernier week-end, tandis que Japan Expo prévoit une affiche exceptionnelle pour début Juillet. Bon, les Japonais peuvent voir venir : leur CA à eux est de 677 milliards de yens, soit 4,7 milliards d’euros (en cumulant les mangas papier, numériques et les magazines). Soit cinq fois le nôtre...

Les best-sellers de l’année 2022 (en milliers d’exemplaires). Des chiffres qui font rêver et qui placent la BD en 2e place sur le marché du livre, derrière la littérature.
© GfK

Voici les 10 meilleures ventes d’albums, en 2022 en France :

1) Le Monde sans fin, de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, édition Dargaud – 525 000 exemplaires vendus

2) L’Arabe du futur, T. 6, de Riad Sattouf, édition Allary – 296 000 exemplaires vendus

3) One Piece, T. 1 : « À l’aube d’une grande aventure », de Eiichiro Oda, édition Glénat – 253 000 exemplaires vendus

4) Blake et Mortimer, « Huit heures à Berlin », de José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Antoine Aubin, édition Blake & Mortimer – 244 000 exemplaires vendus

5) Spy Family, T. 1, de Tatsuya Endo, édition Kurokawa – 235 000 exemplaires vendus

6) Naruto, T. 1, de Masashi Kishimoto, édition Kana – 231 000 exemplaires vendus

7) Mortelle Adèle, T. 19 : « Face de beurk », de Diane Le Feyer & Mr Tan, édition Bayard jeunesse – 223 000 exemplaires vendus

8) One Piece, T. 2 : « Luffy versus la bande à Baggy », de Eiichiro Oda, édition Glénat – 204 000 exemplaires vendus

9) Spy Family, T. 7, de Tatsuya Endo, édition Kurokawa – 204 000 exemplaires vendus

10) Naruto, T. 2, de Masashi Kishimoto, édition Kana – 196 000 exemplaires vendus

En dépit de la hausse du papier, l’inflation dans la BD est restée limitée.
© GfK

L’inflation, qui galope depuis l’invasion de l’Ukraine, a causé une hausse du coût du papier... et par la même occasion, une montée des prix de la BD (cette année, les BD hors manga ont vu leurs prix augmenter de 5 %, tandis que le coût des mangas a augmenté de 4 %), qui n’a pas eu d’incidence notable sur la consommation. Au contraire, 2022 a été plutôt fructueux pour le 9e art... et pas seulement sur les albums à petits prix, dont les ventes ne représentaient qu’une BD hors manga sur dix.

Un point noir : la Belgique dont le marché a reculé, tant en volume (5,2 M d’exemplaires vendus, -6%), qu’en chiffre d’affaires (60M€, -5%). Déprimés les Belges ? Il faut dire que l’inflation y a été supérieure qu’en France.

Et les comics dans tout ça ? Leur part de marché stagne : en volume, pour 48 millions de mangas, il se vend 17 millions de BD de genre, 16 millions de BD jeunesse et 3,7 millions de comics. En chiffre d’affaire en revanche, mangas (+6%) et Comics (+2%) font de meilleurs scores que la BD de genre (-4%) et la BD jeunesse (-8%). Mais si l’on se reporte à une période plus longue, tous les segments sont en croissance : les mangas en dix ans ont multiplié leurs ventes par 4, les Comics (merci Marvel, Netflix et Disney+) font +83%, la BD jeunesse +53% et la BD de genre +23%. Astérix et Blake et Mortimer ont encore à faire des efforts !

En dépit du succès des mangas, aucun des secteurs de la BD en France ne s’est écroulé.
© GfK

Donc, on ne va pas se plaindre. Comme le montre bien le graphe, tous les genres de BD progressent. Par rapport à il y a dix ans, il y a plus d’auteurs, plus d’éditeurs, plus d’offre de BD que jamais. Son segment majoritaire, le manga, rapporte de l’argent à ses éditeurs, ses libraires, ses imprimeurs, ses traducteurs, sans que les autres segments s’effondrent. Grand bien leur fasse ! Donc non, on ne s’afflige pas de la bonne santé de la BD. Au contraire, on s’en félicite !

(par Oussama KARFA)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Marché de la BD : Faits & chiffres
 
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16 Messages :
  • Faut-il s’affliger de l’excellente santé de la bande dessinée ?
    28 février 2023 12:58, par Philippe Ghielmetti

    Je ne comprends pas le premier schéma.
    c’est du volume ou du CA ? D’autant plus important que le Manga, c’est de l’achat de droit.

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  • Ouh ! Attention ! Commentaires à venir avec le mot "précarité" dedans .

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    • Répondu par JIPEA le 1er mars 2023 à  11:09 :

      Et oui Sergio ! il fallait le placer : )
      Ce qui serait intéressant c’est d’avoir en statistique le nombre d’album vendus par tranches.
      X entre 1000 et 2000 soit ...% des publications
      Y entre 2000 et 3000 soit ...% des publications
      etc.

      Parce que le chiffre d’affaire, c’est surtout du papier vendu, qui ne profite pas de la même façon à tous les acteurs.

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  • Oui soyons heureux de ces chiffres, malgré les crises majeures, on est parvenu à passer globalement à travers sans se taper 30 ans de récession comme les fois précédentes, on a de l’argent, le chômage baisse, on peut acheter des bd, que demandons nous de plus ? Plus d’argent pour acheter encore plus de bd ? Mieux vaudrait épargner pour louer plus grand pour en stocker encore plus ^^
    Je me demande ce que les éditeurs ont prévu pour le futur, avec la décroissance de la démographie et le vieillissement de la population, il y’a des segments qui vont s’amoindrir, d’autres qui vont grossir.
    Va t’on avoir plus d’aka Bersek que d’aka Naruto ? Plus de Black & Mortimer que d’Asterix ? Quelles seront ces futures franchises pop qui vont nous captiver ? Quand on aura 50-80 ans lirons nous encore ?

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    • Répondu le 28 février 2023 à  16:26 :

      Je vous confirme qu’on lit encore après 50 ans, la presbytie est bien soignée de nos jours. De plus, les 50-80 ans actuels ont un pouvoir d’achat dont les générations futures, dans leur grande majorité, ne feront que rêver.

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  • Comme déjà précisé, les comics et les mangas étant du rachat de droits étrangers ( pas cher donc ), seulement 39 pour cent sont franco-belge… et par forcément de nouvelles créations et encore beaucoup moins permettant réellement aux auteurs de vivre de leur art. Dans ces conditions, oui , on peut s’affliger de la fausse bonne santé de la bande dessinée.

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    • Répondu le 2 mars 2023 à  18:18 :

      Pour vivre de son art, il faut rencontrer un certain succès. La vie d’artiste n’a rien d’une rente. L’avantage de la bonne santé du secteur de la BD, c’est qu’il n’a jamais été aussi facile de signer un contrat pour tenter sa chance. Les éditeurs publient vraiment tout et n’importe quoi.

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      • Répondu par duvet le 3 mars 2023 à  07:36 :

        Entiérement d’accord avec vous. Mais les éditeurs français ont tout de même refusės de payer un minima la création de planches aux auteurs au titre que cela mettrait en danger leur industrie. Donc des artistes travaillant vite et mal acceptent des « albums au forfait » ( 6000 euros pour des albums de plus de 100 pages !) qui bien évidemment ne trouvent pas assez de public.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 3 mars 2023 à  07:08 :

      On peut ne pas être d’accord avec votre analyse. Les chiffres montrent que le segment franco-belge a progressé, qu’en clair, les mangas n’ont pas mangé l’herbe de la BD franco-belge, mais au contraire recruté de nouveaux lecteurs : les filles, dont les FB ne s’occupaient guère, les jeunes à qui la BD FB parlait de moins en moins, si ce n’est avec des schémas narratifs dépassés et à des prix bien supérieurs aux mangas, les auteurs de qualité étant davantage intéressés à s’exprimer dans le secteur ado-adulte.

      En revanche, on peut constater que le nombre d’auteurs francophones s’est démultiplié, le nombre d’éditeurs aussi, sans parler des auteurs qui s’autoéditent comme vous. Donc plus de gens sur le segment des 39%. En face, on a des groupes structurés, à la communication puissante, avec des univers qui se déploient à 360° (films, séries TV, jeux vidéo, parcs d’attractions...) et qui ont déjà, avec les webtoons, commencé leur marche vers le tout numérique. En clair, c’est l’atelier du mécanicien contre les chaînes industrielles de montage.

      La question reste entière : la manne des mangas et l’achat de droits étrangers a permis à bon nombre d’éditeurs, y compris alternatifs (ex : Cornélius, Delirium, Ca & Là), à gagner de l’argent sans payer des frais de développement à des auteurs européens, mais aussi peut-être à financer leurs créations propres ; c’est vrai aussi pour les grands éditeurs. Faut-il s’en plaindre ?
      Peut-être que, sans les mangas, bon nombre seraient morts aujourd’hui.

      Donc la situation n’est pas si binaire que cela et c’est le sens de cet article. La répartition de la valeur est une question qui ne se pose pas dans cette situation du marché, sauf si l’on met en place une sorte de CSA qui taxerait la BD étrangère avec un impôt pour financer la création française. Mais est-ce la bonne solution ?

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      • Répondu le 3 mars 2023 à  08:00 :

        bonjour Didier, je n’ai jamais dit que le manga avait mangé la part franco-belge. mais qu’il y a une grosse différence entre rachat de droit et création ou même la ré-impression d’anciens titres. Je pense que les statistiques seraient plus parlantes si on faisait bien le distinguo entre éditeur qui font de la création (malheureusement sous payé dans 90 pour cent des contrats d’édition) et ré-éditeurs de BD/comic/manga étrangers qui ne font aucune création ( le terme devrait officialisé ). Le titre de votre article est d’ailleurs bien trouvé, car il induit bien la malaise de cette industrie . Au passage, je ne m’auto-édite pas : mes BD ne suivent pas le circuit de distribution des libraires, puisque j’ai choisi le circuit cours de l’auteur au lecteur. C’est plus de l’auto-parution. Donc je ne rentre pas dans les statistiques. Un choix éco-responsable. (désolé pour cette auto-promotion ;)

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        • Répondu par Auteur·ice le 3 mars 2023 à  11:47 :

          je ne m’auto-édite pas. C’est plus de l’auto-parution.

          C’est subtil. C’est quoi la différence ?

          Répondre à ce message

          • Répondu par duvet le 3 mars 2023 à  21:46 :

            Un auto-editeur va faire distribuer et vendre ses livres via le réseau classique diffuseur/ distributeur/ librairies avec l’obligation du système d’avoir et de surproduction. Avec l’auto-publication le livre va directement de l’auteur au lecteur sans intermédiaire. Gain de temps, production réduite, meilleur rentabilité et moins de pollution.

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            • Répondu le 4 mars 2023 à  08:21 :

              Rien publier, c’est encore plus écologique.

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              • Répondu par duvet le 4 mars 2023 à  11:52 :

                Ce n’est pas faux. 40% des livres publiés en france sont détruits , car esquintés ou ne trouvant public, la preuve que l’industrie du livre publie trop et mal. Il est peut-être temps de revoir la façon de distribuer et consommer ce « produit ». C’est le système pour lequel j’ai opté , avec zéro déchet , plus de gain pour l’auteur et des lecteurs satisfaits d’avoir des BD plus collector.

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                • Répondu par Michel Ferrandi le 5 mars 2023 à  21:26 :

                  Intéressant, mais combien d’albums vendez-vous par an avec votre système ? Parvenez-vous à en vivre ? Par ailleurs, l’envoi d’albums par la poste en colis individuel consomme davantage de carton que l’envoi groupé. C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que l’ont fait à Amazon.

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                  • Répondu par duvet le 9 mars 2023 à  05:44 :

                    avec un peu de recherche sur le net, vous verrez que je suis un professionnel depuis 1993, que je vis de mon métier . Je n’utilise que du carton recyclė et la publication de mes BD consomment 14 fois fois de ressources ( bois de palette, papier, colle, encre, carton, electricité, diesel ) que celles édités par mon éditeur « classique » tout en générant 3 fois plus de bénéfice. Et je n’ai rien d’un écolo acharné.

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