Cet aller-retour entre l’édition indé et les labels un peu plus commerciaux, rythme ses premières publications et indique bien son état d’esprit : l’indépendance. La chose est bien racontée dans le dernier tome de L’Arabe du Futur qui est un peu une chronique des premiers moments de sa vocation de dessinateur, comme Le Jeune Acteur raconte celui de ses débuts au cinéma.
Après des études de dessins animés aux Gobelins, Riad Sattouf signe d’abord chez Delcourt puis chez Dargaud des albums classiques qui ne se détachent de la production de l’époque. Son passage chez Fluide Glacial lui fait faire un premier bond qualitatif, avec le personnage de Pascal Brutal . « Notre époque glorifie la satire au nom de la liberté d’expression, écrivions-nous dans ActuaBD naguère. Mais ce qui ne nous échappe jamais chez Sattouf, c’est son empathie, pour l’adolescent mal dégrossi qui traîne au fond de chacun de nous, et surtout pour la manière dont les clichés structurent et finalement abîment les personnalités. La représentation de l’enfant dans Pipit Farlouse (Milan, 2005) ou Les Cahiers d’Esther (Allary, 2016), l’entre-deux de l’adolescence dans Les Pauvres Aventures de Jérémie (Dargaud, 2003), Retour au collège (Hachette, 2005) qui inspira le film Les Beaux Gosses (2009), ou La Vie secrète des jeunes (L’Association, 2007) et surtout le travail sur l’identité qui est le thème aussi bien du Manuel du puceau (Bréal Jeunesse, 2003), que de Pascal Brutal (Fluide Glacial, 2006) ou de L’Arabe du futur (Allary, 2014) et son film Jacky au royaume des filles (2014). »
L’Arabe du futur est, pour l’heure, son opus magnum. Il s’inscrit dans la lignée de mémoriaux comme Un Contrat avec Dieu de Will Eisner, Maus d’Art Spiegelman, Persépolis de Marjane Satrapi ou, dans une moindre mesure, La Synagogue de Joann Sfar. Il évoque la France provinciale des années 1970-80, mais aussi le Moyen-Orient : la Libye, le Liban, la Syrie… Des sujets d’actualité souvent présents au 20 heures.
Son trait est schématique et humoristique façon Peanuts. Le talent de Sattouf n’est pas (seulement) dans cette formidable capacité de synthèse, dans ce « dessin-écriture » revendiqué par son « mentor » de l’Atelier des Vosges Émile Bravo : il est dans sa formidable qualité d’observation des comportements humains et des émotions qu’il arrive à caractériser de façon exceptionnelle.
« L’arabe du futur » dont rêve le père de l’auteur, Abdel-Rasek, un prof d’histoire panarabiste émigré en France, est celui d’un socialisme prôné par des dictateurs qui ont laissé des traces dans l’Histoire : Nasser, Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi, Hafez el-Assad… Un romantisme nationaliste qui a directement impacté sur la vie de l’auteur qui a dû vivre entre ce père absent, mais toujours présent dans l’esprit, et une mère déprimée par l’enlèvement de son fils, un frère avec lequel Riad communique par internet et qui s’avère être complètement du côté de son paternel, pleinement syrien.
Tout cela fait un grand auteur. Déchiré entre ces contradictions, complexé et peu sûr de lui, s’interrogeant sur sa vocation -la bande dessinée- dont les perspectives n’étaient pas évidentes, Riad Sattouf a formidablement réussi son parcours. Ce Grand Prix, il le mérite grandement.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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