Si vous n’êtes pas lecteur de manga et que cette littérature remplie d’adolescents aux grands yeux animant des récits d’initiation et des romances ou des aventures longues de dizaines de volumes ne vous motive pas particulièrement, cette BD est pour vous. Certes, on n’échappe pas aux codes narratifs nippons : l’ouvrage se lit de droite à gauche et si son graphisme n’a pas trop de points communs avec One Piece, il en a quand même avec celui d’Akira de Katsuhiro Otomo.
Pour quel propos ? Nous sommes en 1941, à Danas, dans la Slovénie actuelle, c’est-à-dire, à cette époque-là, dans le royaume de Yougoslavie. Le pays est dans une sorte de processus d’Anschluss : prêt à se faire croquer par ses voisins. Ses citoyens s’interrogent : faut-il, comme les Autrichiens -dont ils sont limitrophes et qui sont déjà passés sous la botte nazie- ou la Croatie, contrôlée par les oustachis, qui ont fait pour ainsi dire allégeance à Hitler, choisir la voie de la soumission face à ce qui s’affiche comme la puissance européenne du moment ? On se pose la question à Belgrade, la lointaine capitale.
Mais on a à peine le temps d’y réfléchir que le royaume de Yougoslavie se retrouve dépecé par les nations fascistes environnantes : l’Italie, l’Allemagne nazie et la Hongrie, avec un esprit de prédation, en particulier quand ils sont aidés par des séides impitoyables, comme les oustachis croates qui exterminant les Serbes, les Juifs et les opposants politiques, créant de leur propre initiative des camps de concentration, et même d’extermination sur le modèle de leurs mentors nazis.
Cela, le jeune Krilo, une dizaine d’années à peine, le découvre brutalement lorsque sa classe est tuée dans le car scolaire qui le transporte, mitraillé par ses stukas allemands, puis son village incendié, sa population massacrée. Il rejoint bientôt l’armée des Partisans…
Une histoire méconnue
Comme son maître Osamu Tezuka (son Histoire des 3 Adolf est exactement contemporaine à Fleurs de Pierre (1983) et comporte de nombreux points communs), Hisashi Sakaguchi (1946-1995), l’auteur de Version et de Ikkyu (cette dernière série reparaît aussi chez Revival ces jours-ci, on vous en reparle bientôt), nous fait découvrir notre Seconde Guerre mondiale sous un angle inédit.
Comme chez Tezuka, le rythme est haletant, les personnages sont formidablement bien campés et extrêmement attachants, recelant une profondeur peu courante dans les récits de guerre. Le dessin est solide, lisible et ne fait pas l’économie des scènes les plus brutales.
Ode à la Résistance et à la concorde universelle, cette histoire raconte aussi en sous-texte la mainmise -tout à fait relative, mais terrible quand même- de Moscou sur cette partie du monde. Ce qui fait écho dans nos oreilles contemporaines, forcément.
Le jury du Festival d’Angoulême 2023 a choisi de soutenir l’initiative de cette réédition en lui attribuant le « Prix du Patrimoine ». C’est amplement mérité.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Fleurs de Pierre T.1 – Par Hisashi Sakaguchi – Ed. Revival