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Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD

Par Charles-Louis Detournay le 25 janvier 2011                      Lien  
Deux albums ont été publiés dernièrement en référence aux peintres des siècles derniers. L’occasion de s’intéresser à ces visions inhabituelles, mais aussi de rappeler l’influence des grands maîtres sur la production de bande dessinée de ces dernières années.

Longtemps considérée comme un genre mineur, une littérature pour enfants, la bande dessinée ne cesse de croître en reconnaissance. Croissance du lectorat, diversité des genres visités, adaptation sous diverses formes mais également reconnaissance artistique en vente aux enchères ou en bourse, tel que décrit avant-hier, les exemples sont légion, ainsi que vous pouvez le constater quotidiennement.

D’ailleurs, la frontière entre le statut du peintre et celui d’auteur de bande dessinée n’est pas toujours très claire. Jijé considérait la peinture comme un hobby, alors que des auteurs actuels comme Loustal, Götting, Baudoin ou Moebius s’y consacrent hardiment, voire totalement à certains moments comme dans le cas de François Avril.

Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD
Chaque case peut devenir un tableau...
India Dreams - Maryse & JF Charles - Casterman

D’où cette question : peut-on créer en dehors de toute tradition picturale ? Ou au contraire, faut-il gérer ses influences pour avancer et/ou innover ? Au-delà de ces questions de styles, les perfectionnements techniques ont permis ces dernières années de publier les planches en couleur directe. Les références aux peintres majeurs paraissent donc incontournables, car pour certains auteurs, chacune de leurs cases devient un véritable tableau. Comme dans le dernier album d’India dreams dans lequel Jean-François Charles revendique son hommage à Gustave Doré, se rappelant un livre qui l’a longtemps impressionné.

Gauguin, l’aventure dans l’inconnu

Sélectionné au Festival d’Angoulême, Gauguin – deux voyages à Tahiti ne s’intéresse pas pourtant pas réellement à la peinture. Son auteur Li-An cherche à expliquer le parcours du peintre, de l’homme, en lui prêtant des aventures, mi-réelles mi-imaginées. Derrière cette vie animée, voyageant de Copenhague à Paris en passant par Pont-Aven, quelle a été réellement l’influence de Tahiti sur ce peintre majeur ?

Gauguin fut loin d’être le sauvageon qu’il décrivait en parlant de lui-même.
Li-An dans ’Gauguin - Deux voyages à Tahiti"

Quand on pense à Li-An, c’est avant tout son adaptation du Cycle de Tschaï qui vient à l’esprit, un univers à mille lieues du peintre post-impressionniste. Pourtant, d’autres de ses albums égrènent les indices de ce cheminement vers ce modèle : tout d’abord, l’envie de traiter des îles dans Fantômes blancs car le dessinateur y a vécu, puis l’adaptation graphique réussie de[Boule de suif, de Maupassant. Étant parvenu à s’éloigner de la SF en acquérant un style évoquant à merveille la fin du XIXe, pourquoi ne pas combiner cette période avec Tahiti, où Li-An est né. Gauguin semble dès lors le sujet qui marie le mieux les deux thématiques. Pourtant, les détails de son séjour sur l’île demeurent peu connus.

Ce sont dans ces imprécisions de l’Histoire que Li-An décide de se glisser. Bien sûr, il aborde le départ de Paris, les relations que Gauguin avait nouées avec ses contemporains. Mais ce qui attire l’auteur de bande dessinée et fascine à la lecture de son album, c’est la quête du peintre pour de nouvelles couleurs, de nouvelles cultures, d’arts primitifs susceptibles de l’influencer. L’album ne traite d’ailleurs pas uniquement de ce parcours mi-imaginé, mais surtout de sa rencontre avec la culture locale.

Le sous-titre Deux voyages à Tahiti centre donc bien le sujet : mise à part une escale à Paris et à Pont-Aven pour expliquer la déchéance dans laquelle tombe doucement le peintre, c’est Tahiti qui demeure le réel personnage principal de l’île en vérité. Gauguin lui tourne autour, croyant la comprendre et pouvoir l’utiliser, mais c’est finalement bien l’inverse qui se produit.

L’homme derrrière le mythe.

L’album de Li-An mérite pleinement sa sélection au Festival d’Angoulême. On se laisse emporter par le rythme dodelinant de l’île. L’introduction de Jean-François Staszak, auteur de deux ouvrages sur Gauguin, permet de situer directement l’enjeu de cet ouvrage : tenter de comprendre le créateur derrière les toiles, et surtout appréhender Tahiti en se défaisant des préjugés que le peintre s’est chargé de véhiculer.

Vincent & Van Gogh : le plaisir graphique de Smudja

Le chat Vincent et le faux peintre Van Gogh saute de tableau en tableau dans le Musée d’Orsay

À l’inverse, Gradimir Smudja n’est pas dans une recherche de vérité. Une fois de plus, son scénario délire quand il s’agit d’évoquer les grands peintres du XIXe et du XXe siècles. Après avoir quitté Toulouse-Lautrec dans Le Bordel des muses, Smudja revient donc à son premier album de bande dessinée : Vincent et Van Gogh, dans lequel il imagine les aventures du peintre impressionniste hollandais décidé à devenir un grand peintre mais dépourvu du talent nécessaire, et qui rencontre un chat nommé Vincent, doté d’un talent incomparable qui compense mal la liste de ses vices.

Ce second tome prouve une nouvelle fois la force de Smudja et son rapport à la peinture, qu’il déconstruit autant qu’il la réinvente. Si le scénario en laissera plus d’un sceptique, impossible en revanche de ne pas s’extasier devant sa maestria graphique : l’auteur passe en revue une bonne part des grands tableaux des maîtres, soit en les reproduisant avec diverses modifications (les personnages passent effectivement d’une toile à l’autre au cœur du musée d’Orsay), soit en les réinterprétant comme éléments intrinsèque de sa trame narrative.

Gradimir Smudja : peinture et dérision

Bien entendu,tout au long de l"album, on retrouvera les chef-d’oeuvres de Van Gogh, mais aussi de Monet, Degas, Millet, Munch, sans oublier Picasso mais aussi... Hitchcock ou Apollinaire qui jouent leurs propres rôles. On repère même Tintin à divers reprises dans l’album, marquant la filiation entre les grands peintres de l’époque et les auteurs de bande dessinée. En dépit de cette fascination artistique cependant, Smudja rappelle qu’il faut aimer l’art pour lui-même et par pour le prix qu’on lui confère.

Son héroïne, elle-même dessinatrice de bande dessinée, vient symboliquement déposer un album du reporter à la houppette sur les tombes de deux héros.

Après un passage de témoin tout au long de l’album, cette dernière scène conclut l’hommage d’un art à un autre, dont la magie se prolonge autant par l’influence, qui peut-être fondamentale, comme dans le cas d’Hokusaï, que par l’intérêt de découvrir leurs parcours atypiques.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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12 Messages :
  • Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD
    25 janvier 2011 10:07, par jacquot

    deux grands dessinateurs de bandes dessinées ont approché la peinture : le premier Hergé lui-même était un passionné de peintures modernes on le voit dans son dernier album inachevé :Tintin et l’Alph-Art et aussi Paul Cuvelier le créateur de Corentin Feldoë qui fit de beaux tableaux érotiques, sa passion était la peinture et dessiner des histoires en image n’était pour lui qu’un gagne-pain

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  • Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD
    25 janvier 2011 11:36, par la plume occulte

    Je ne suis pas sûr que dire d’une BD -et de la BD en général- que chaque case peut devenir un tableau soit un compliment,tant la BD a son identité propre.

    Mais plus que la peinture,la BD doit énormément à l’illustration malgré qu’elle n’en soit pas non plus.

    C’est une chose qu’on ne dit pas assez.

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    • Répondu par Alex le 25 janvier 2011 à  23:07 :

      Je ne suis pas sûr que dire d’une BD -et de la BD en général- que chaque case peut devenir un tableau soit un compliment

      Ne le voyez pas sous cet angle, pensez plutôt à 2 "écoles" diamétralement opposées dans la manière d’aborder la création d’une bd. Votre message par ailleurs évoque ces 2 méthodes.

      Pour parler des choses que je connais, et qui sont retranscrites, je vais citer la revue "Squa Tront" qui consacra en 1975 un numéro au grand B.Krigstein.

      Ma traduction -abrégée, mais Krigstein dit ceci : " La case doit exister par elle-même sinon la vision artistique est en contre-balance. Vous devez arriver au point que chaque case doit avoir son existence propre, alors vous atteignez un continuum qui se situe bien au-delà des découpages infantiles dont la bd regorge....... Si vous pouvez extirper votre case, l’encadrer et l’exposer en tant que telle et que votre spectateur n’ait pas conscience que cette image provienne d’une continuité, alors vous avez réalisé qq chose. Alors vous avez haussé les comics au niveau de Goya"

      Et cette citation vient après une question sur l’art de Kurtzman, Eisner et Kirby. Krigstein considère que si l’on extirpe une case d’Eisner de son contexte, cette case "tombe", car elle n’existe -comme dans un film- que par sa relation avec une autre, dans une séquence d’actions (notez que Krigstein déclare admirer ces 3 grands auteurs mais n’envisage pas la bd sous cet angle)

      Un superbe interview, une manière radicale d’aborder le médium.

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      • Répondu par la plume occulte le 27 janvier 2011 à  16:36 :

        Bern Krigstein oui évidemment .Son travail dans la BD et ses écrits sont fondamentaux pour se faire une idée juste de l’art de la BD.
        A t’on dit suffisamment aussi combien les E.C comics ont été capitaux dans l’évolution et la théorisation de cet art.L’arrêt brutal de ces publications s’est à cette échelle révélé catastrophique pour l’avancement de l’art de la BD.Comme si pour la peinture on avait abrégé la renaissance et les impressionnistes .

        La vision de la case de Krigstein est compréhensible quand on sait que son travail portait sur les possibilités de la forme et que le bonhomme à finit dans la peinture abstraite.

        Mais on peut s’en étonner quand on sait également que son travail a aussi consisté à explorer les notions de temps et de vitesse dans le processus et l’expérience de lecture.Principalement par l’utilisation du nombre de cases et leur forme ,et surtout l’utilisation du contraste.ON TOUCHE LÀ L’ESSENCE MEME DE L’ART DE LA BD.Une immense figure donc.

        Un Krigstein qui parmi les premiers a considéré la BD comme un art majeur.Et il y a bien des leçons à prendre chez nous tout acteurs du média confondu. la plupart ignorant de tout ça.

        Après,j’aimerais que l’on m’explique la notion de découpage infantile.

        Oui les cases de Eisner et surtout de kirby tombent parfois si on les isolent. ces que ces derniers considéraient la page comme un tout -une grosse case donc- que le lecteur appréhendait d’un seul coup et qu’ensuite il détaillait.

        Ces deux grands maître utilisaient ensuite les lignes de force de la case et les interférences pour guider l’œil sur un "chemin de lecture".Krigstein le faisait aussi malgré ses dires .

        Ils faisaient là de l’art de la BD.

        De la narration.

        Pas d’isolation de case possible donc.

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        • Répondu par Alex le 28 janvier 2011 à  01:17 :

          Après,j’aimerais que l’on m’explique la notion de découpage infantile.

          Hmm, je ne vais pas placer des mots dans la bouche de Krigstein mais dans le contexte de cet interview je crois comprendre le propos. Comme indiqué le passage cité se réfère à une question sur l’art d’Eisner -donc, ma traduction : " Le découpage d’Eisner est bon mais il a d’importantes limitations (...) il n’explore pas assez profondément l’impact psychologique d’une histoire (...) Je ne voulais pas faire une représentation graphique de la durée, du temps, comme dans les cases de Kurtzman qui se multiplient et se rapprochent de + en + d’un objet. Ce n’est pas de la bd, ni des images, car les images n’interagissent pas ainsi (...) je ne voulais pas que mes images se mélangent ensemble comme dans un film. Parce que vous ne visionnez pas un film. La bd n’est pas de la cinématographie. Elle se rapproche plus d’un tableau"

          Personnellement, et sans défendre une chapelle, je suis souvent gêné par cette convention qu’utilise beaucoup de dessinateurs -ce que j’appelle de la cinématographie appauvrie. Ces longs travelling avant, ou ces longs zooms séquencés sont des écueuils de lecture. Cela singe le cinéma sans produire la réelle sensation physique d’expansion du temps que l’on ressent comme spectateur d’un film. Et au final cela donne une suite d’images sans qualités intrinsèques.

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          • Répondu par la plume occulte le 28 janvier 2011 à  11:44 :

            Personnellement ,j’aime assez(aussi) cette vision cinématographique de la BD - je ressens parfaitement cette notion de temps-.Je la trouve efficace et très ’impliquante".Après il faut être conscient que tout dépend du ressenti et de l’expérience de chacun.L’auteur de BD travaille beaucoup sur le subliminal,et met en place tout une "machinerie"pour ça.Et chacun y est plus ou moins sensible.

            Un qui a parfaitement fait la synthèse de ces différentes visions est Frank Miller sur ses Daredevil.Il a absorbé l’influence de Krigstein, Eisner ,Kurtzman,Kirby,Gil Kane,et Neal Adams -et les mangas-pour faire une petite révolution qui a pour beaucoup crée (ou en tout cas popularisé)cette vision cinématographique de la BD.En occident bien sûr.
            La plupart des artistes cités on écrit sur l’art de la BD.Ces écrits sont fondamentaux et donnent une autre vision de la BD,ils parlent de son art.Beaucoup feraient bien-en cette période angoumoisine- d’y jeter un œil.

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  • Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD
    25 janvier 2011 14:58, par hankey

    tout ceci n’est que pécunier, Sfar a lancé la mode des bédé sur les peintres, ça a donné des idées aux éditeurs, comme d’habitude dans ces cas là.

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    • Répondu par bob le 27 janvier 2011 à  11:19 :

      N’importe quoi. Alors dès qu’on trouve des sujets convergents, c’est une manipulation des éditeurs qui décident de faire du fric sur un sujet tendance ?
      Et d’abord on dit "pécuniaire".

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      • Répondu le 27 janvier 2011 à  21:08 :

        Des sujets convergents sur un temps donné c’est ce qu’on appelle une mode.

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  • Paul Cézanne
    26 janvier 2011 10:31

    Il manque dans cet article un album de taille :
    Paul Cézanne par Exiga, Bauza et Ballon.
    Album réalisé à la manière du peintre, avec des scènes qui se passent dans ses tableaux.

    à ne pas manquer

    http://www.bedetheque.com/album-51421-BD-Un-rebelle-en-Provence.html

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  • Gauguin et Van Gogh : quand la peinture inspire la BD
    27 janvier 2011 18:58, par mathias kind

    Sur le même sujet, Nick Bertozzi un auteur indépendant américain a réalisé une excellente bd, The Salon qui met en scène Braque, Picasso, Apollinaire, Gaugin, ... dans une histoire qui mèle avec maestria intrigue policière, fantastique et Histoire de l’Art. http://nickbertozzi.com/comics/salon/

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