Il y a presque 75 ans, les Alliés débarquaient en Normandie. Dans les semaines qui suivirent, parmi les soldats américains qui débarquèrent dans le port de fortune d’Omaha Beach pour affronter les troupes nazies, se trouvait un petit New-yorkais du nom de Jakob Kurtzberg. Jakob est dessinateur et il a déjà livré quelques jolis combats du bout du crayon dans des comics sous le pseudonyme de Jack Kirby. Et pas n’importe lequel : Captain America lui-même qui cassait la gueule à Hitler dès 1940 avant même que l’Allemagne ne déclare la guerre aux USA en 1941 ! Magnifique hasard de calendrier, pendant tout l’été, celui qu’on surnomme le « King of comics » sera à l’honneur en Normandie, où il débarqua en 1944 avant d’aller libérer Metz en Lorraine, dans une exposition que lui consacre la biennale du 9e art de Cherbourg-en-Cotentin.
Il y a deux ans déjà, la même biennale s’était penchée sur une autre cône de la culture américaine, Winsor McCay, à la fois dessinateur magistral et pionnier de la bande dessinée, grâce à l’intercession érudite de Benoît Peeters et de François Schuiten. Avec un artiste aussi puissant que Jack Kirby dont la popularité des créations ne cesse de croître au point d’identifier la nation américaine, les ingrédients d’une exposition à l’ampleur exceptionnelle sont à nouveau réunis.
Kirby le spectaculaire, l’inventeur de la grammaire actuelle du comic book, est bien présent. Avec le concours du réseau de collectionneurs de Bernard Mahé, directeur de la galerie 9e art à Paris, déjà présent sur l’expo McCay, plus de deux cents planches originales, comics d’époque et produits dérivés ont été prêtés. Le parcours et l’influence de Kirby sont expliqués étape par étape. Un parcours incroyable dans la mythologie américaine contemporaine.
Tout commence avec la salle que les deux commissaires d’exposition, Louise Hallet, commissaire du Musée Thomas Henry, et Bernard Mahé, ont choisi de nommer « le musée imaginaire de Jack Kirby ». Sont exposés tous les auteurs qui, des années 1930 à 1950, ont influencé Kirby : du Prince Valiant de Hal Foster au The Spirit de Will Eisner, en passant par Flash Gordon d’Alex Raymond.
La suite de l’exposition est pensée de telle façon à présenter chronologiquement le travail de Kirby, de sa collaboration avec Joe Simon aux premiers comics d’avant et d’après-guerre, à celle avec Stan Lee pour Atlas comics, futur Marvel, equi engendre une foison d’icônes super héroïques encore en activité de nos jours comme les X-Men, les Fantastic four, Iron-Man, Hulk, Daredevil,… La liste est encore longue !
Enfin, est abordée l’aventure en solitaire chez DC comics, que l’on peut aisément définir comme la pièce maîtresse d’une exposition hors normes dont voici quelques chiffres : 217 originaux issus de collections privées européennes, cinq histoires complètes, dont une de 40 planches, au côté d’une vingtaine de comic books d’époque qui permettent de faire le lien visuel entre un original et le produit publié !
Le passage de Kirby chez DC correspond à l’un des projets les plus ambitieux qu’il ait mené, avec la création du Quatrième monde, parmi lequel figure notamment les séries New Gods, Mister Miracle, Kamandi,… En dépit de la reconnaissance de ses pairs, grands auteurs de comics, le grand public peine à s’y intéresser, les intrigues sont (trop) complexes à suivre, entraînant un rapide échec commercial.
Selon Bernard Mahé, cet échec est à relativiser : « Le Quatrième monde, à l’époque de sa publication, n’a certes pas rencontré le succès, mais il faut replacer cet échec commercial dans un contexte de baisse général du comic book. On voit le Quatrième monde comme « le début de la fin » de Kirby, il faut prendre garde à ce type de vision téléologique. »
Cette salle, à la forme arrondie, comporte l’une des cinq histoires complètes évoquées plus haut, avec l’exposition des 40 planches de New Gods. On y retrouve tous les éléments caractérisant le dessin du King, des découpages audacieux, emphatiques, une notion de l’utilisation de l’espace qui lui est propre ou encore les fameux « Kirby Krakles », cette façon de rendre l’énergie visuelle.
L’œuvre de Kirby permet aussi de passer en revue l’histoire des comic books, issus des comic strips, précurseurs des Graphic Novels, mouvement auquel le King of comics prend part avec une de ses dernières créations pour DC, comme dans Hunger dogs.
L’exposition ne se limite pas à l’univers des super-héros. Dans l’immédiat après-guerre, le genre du super-héros était un peu tombé en disgrâce, le grand méchant nazi par excellence n’étant plus. Des comics de genre apparurent alors, le travail de Kirby et Simon s déclina en comics policier, de western, d’horreur, mais également des romances comme la série In Love, qui sera couronné de succès !
Ce qui permet à l’exposition de dépasser le cadre purement monographique et de régaler le visiteur de planches des géants de la BD américaine, c’est la présence de géants de la BD américaine comme Hal Foster, Milton Caniff et d’autres. On s’extasie également avec les encreurs ayant collaboré avec ce titan du dessin et qui par la suite ont crayonnés leurs propres planches entrant de plain-pied dans la légende dorée du 9e art ; Bill Everett, Gene Colan sans parler de John Buscema dont on présente pas moins de 20 planches de l’épisode où le Silver Surfer affronte Mephisto. Enfin, on repère les contemporains qui ont prolongé le Quatrième monde et apportent aujourd’hui leur pierre à l’édifice de la bande dessinée mondiale comme Mike Mignola.
Ce tour de force tout en planches et couvertures en noir et blanc est porté par une scénographie claire, quoiqu’un peu sobre. Comme pièce maîtresse de l’exposition, le visiteur se voit proposer une gigantesque statue de Darkseid (le Thanos du Quatrième monde).
Une seule vidéo accompagne l’ensemble, une sympathique adaptation de Mister Miracle quand il y a tant à montrer. On imagine que l’intransigeance de Marvel aujourd’hui tombé dans l’Empire Disney n’a pas facilité la tâche des organisateurs… À ce propos Bernard Mahé nous confiait « Nous voulions réaliser un petit livre pour l’exposition, mais nous n’avons pas pu. Disney demandait trop de droits, voulait relire tous les textes… Ils souhaitent contrôler l’ensemble de la production. »
Reste ce qui demeure l’exposition incontournable de l’été pour les amateurs de bandes dessinées. Un must !.
(par Thomas FIGUERES)
(par Laurent Melikian)
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Jack Kirby : La Galaxie des super-héros. Musée Thomas Henry de Cherbourg-en-Cotentin jusqu’au 1er septembre 2019.
Visites commentées samedi 25 mai, et les 6, 15 et 27 juin, les 4, 13, 23 et 27 juillet et les 13, 17 et 27 août. A 16 h 00. Durée : 1 h. Sur réservation au 02 33 23 39 33. Tarif accès musée.
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