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Jonathan Zaccaï : "Quartier lointain" est une fable moderne".

Par Nicolas Anspach le 24 novembre 2010                      Lien  
Avec l’adaptation cinématographique du manga culte de {{[Jirô Taniguchi->art10982]}}, « {[Quartier Lointain->art719]} », {{Jonathan Zaccaï}} retrouve le réalisateur {{[Sam Garbarski->art10993]}} avec lequel il avait déjà tourné dans {Le Tango des Rashevski}. L’acteur joue l’un des rôles clef dans ce nouveau film, celui de Bruno Verniaz, le père de Thomas, qui abandonne sa famille. Un rôle de composition où, à travers les silences de l’acteur, le spectateur doit « comprendre » ce départ.

Thomas, un auteur de bandes dessinées d’une cinquantaine d’année, arrive par hasard dans la ville de son enfance. Voyant que le prochain train qui peut le mener à Paris ne part qu’en fin de journée, il décide de se recueillir sur la tombe de sa mère. Pris d’un malaise, il se réveille quarante ans plus tôt dans son corps d’adolescent. Il va revivre une partie de son enfance avec sa conscience et sa maturité d’adulte. Et notamment ce mystère irrésolu depuis l’enfance : quelles sont les raisons du départ de son père ?


Jonathan Zaccaï : "Quartier lointain" est une fable moderne".Qu’avez-vous ressenti en lisant le scénario de l’adaptation cinématographique de « Quartier lointain » ?

La puissance de l’idée de base ! Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à calculer son ampleur. L’histoire est puissante et est basée à la fois sur une sorte de « science-fiction », sur des émotions, et un voyage très simple dans le passé. Ce mélange de genres fait de ce récit une fable moderne qui peut toucher beaucoup de personnes. Revivre son enfance est un fantasme commun. Est-ce que l’on pourrait y modifier des événements ? Ceux-ci permettrait-il de changer, ou pas l’homme que l’on est devenu adulte ?

Était-ce l’histoire ou l’envie de retravailler avec Sam Garbarski qui vous titillait ?

Les deux ! Sincèrement, je vais vous dire que Sam fait partie de ma famille. Il m’avait confié un très beau rôle dans « Le Tango des Rashevski ». C’est un réalisateur qui prend des risques, qui n’hésite pas à se mettre en danger. Que cela soit dans « Le Tango des Rashevski », dans « Irina Palm » ou encore dans « Quartier lointain ». Il explore des univers différents, avec des partis-pris différents, même s’il y a des points communs entre les trois films. J’ai été très honoré qu’il me propose le rôle du père dans ce dernier film. C’est un beau rôle, et aussi une grande responsabilité.

Vous deviez jouer un personnage coincé et énigmatique, plein de retenue ? Était-ce facile de trouver les bons comportements, les bonnes attitudes ?

Non. Ce sont des rôles sur le fil, en creux ! L’acteur doit vraiment se construire une vie, s’imaginer toutes les raisons pour lesquelles cet homme, Bruno, est dans ce silence, cette vie intérieure. J’ai été aidé par les ambiances du film, les décors, les costumes et le fait qu’il soit justement dans ce mutisme. Le personnage est dans un état presque antinomique : Il est perdu. Il ne peut plus supporter cette vie qui lui est étrangère et, en même temps, il décide fermement de quitter sa famille, ses enfants, tout en se justifiant.

Aujourd’hui, nous sommes dans une société de consommation qui est marquée par le désir. Celui-ci est roi ! Un mec qui se casse de chez lui, c’est presque normal ! C’était moins le cas dans les années 1960, à l’époque dans laquelle se situe le film.
Je n’ai pas lu le manga avant le tournage. Je n’ai pas ressenti le besoin de le lire pour accepter le rôle. Mais c’était important pour moi que cette histoire ait été écrite par un asiatique. J’ai pensé à des acteurs asiatiques en jouant certaines scènes. Cela me rassurait aussi, et me permettait de mieux appréhender les silences et les non-dits.

J’ai lu le manga plus tard, pendant le tournage, avec une certaine émotion. J’ai été alors conforté par les choix de Sam. Il a retrouvé l’atmosphère du manga. Il y a quelque chose d’asiatique dans ce film, malgré que le cadre se situe en France. En le lisant, j’ai senti que le manga était un miroir du script du film, tout en étant différent. Évidemment, c’est toujours compliqué de comparer les textes écrits avec un film. Ce n’est pas la peine de le faire. J’y ai vu des points communs, notamment dans les attitudes du père. C’est un croquis : ce col fermé, cette posture, ce silence …

Image extraite du film "Quartier lointain"
(c) Patrick Muller

C’est aussi une histoire universelle. Tout tourne autour des émotions.

Il n’y a rien de plus émouvant dans une histoire que lorsque les sentiments amoureux sont présents, mais mal ou pas exprimés. Thomas, dans le film, n’a jamais eu ce qu’il attendait de ceux qu’il a aimés. La pudeur les empêche de tout se dire. Le père choisit une trajectoire pour sa vie qui est la seule possible pour lui à ce moment-là. Il laisse probablement une frustration énorme à son fils en héritage.

C’est aussi une faiblesse énorme de partir ainsi en abandonnant sa famille.

C’est ce que l’on peut penser. Mais en même temps, qu’est-ce qu’aimer quand on est parent ? Je prends un exemple exagéré : Parfois les mères pensent qu’aimer un enfant, c’est le « gaver » en lui donnant tout ce qu’il lui faut. Elles restent auprès d’un homme qu’elles n’aiment plus, sont frustrées dans leurs vies sentimentales et sexuelles, pour rester près de leur enfant et lui donner de l’amour. Mais est-ce réellement aimer ? Je ne sais pas. Aimer, ne peut-il pas être d’avoir une vie épanouie, de partir, de vivre une histoire d’amour avec un autre homme et d’être un peu moins une mère idéale et parfaite ? C’est peut-être là une question secondaire que le film soulève. Peut-être que si cet homme-là était resté auprès de sa femme et de ses enfants, il aurait fini par se suicider … On ne peut pas juger les gens sans les comprendre totalement.

Le premier rôle est tenu par Léo Legrand. Pourtant, on sent que le vôtre est tout aussi important…

Oui. J’ai joué dans de nombreux films où j’avais des rôles secondaires. Ce qui m’importe le plus, dans un film, c’est que le rôle ait une vraie valeur, que le personnage que je vais incarner ait une existence propre. Un acteur peut jouer un premier rôle inintéressant, alors que parfois les seconds le sont beaucoup plus.
Ce rôle m’a profondément touché. C’était un rôle à responsabilité puisqu’il fallait justifier malgré tout le départ du père. Il fallait que le spectateur ait envie de comprendre ce personnage. Tout devait passer par peu de chose : les silences, les non-dits, etc.
J’ai été heureux de tourner avec Léo Legrand. Sam a fait un très bon choix ! Il avait un rôle compliqué où il devait « incarner un adulte » tout en restant adolescent. C’est de nouveau un rôle qui a une existence propre.

Image extraite du film "Quartier lointain".
(c) Patrick Muller

Auriez-vous envie de revivre vos quatorze ans ?

Oui, mais en touriste !, sans rien y changer. J’aimerais refaire un tour dans mon adolescence pour retrouver, avec plaisir, un corps de jeune homme, revoir des vieux amis, et revivre certains souvenirs mémorables. Ce serait une visite beaucoup plus ludique dans mon adolescence que dans Quartier lointain !

L’adaptation cinématographique de « Quartier lointain » comporte beaucoup d’humour.

Sam en incorpore beaucoup à ses films. Il apporte toujours beaucoup de tendresse et d’humour à ses histoires, quel que soit le sujet. Il y en avait même dans Irina Palm, alors que le sujet était plus délicat. La thématique pouvait prêter à la comédie. Sam a eu raison de ne pas s’en priver et d’exploiter les situations amusantes.

Jirô Taniguchi est venu sur le tournage. L’avez-vous rencontré ?

Ce fut un plaisir de le rencontrer. Il a été adorable. Son épouse et lui-même étaient assez excités d’assister au tournage. C’est un homme charmant. Il a apprécié le film, ce qui nous a soulagés. C’était important, pour Sam, d’avoir son aval !

Lisez-vous des bandes dessinées ?

J’en ai lu beaucoup quand j’étais plus jeune. Mon père était un grand amateur de BD. J’ai beaucoup travaillé sur l’écriture de mes films, du coup j’ai abandonné la lecture. Je sais que certains dessinateurs de BD passent le cap, et deviennent réalisateurs pour le cinéma. Je suis assez admiratif de leur courage et leur talent ! Cette reconnaissance est légitime.

Vous êtes également réalisateur. Aimeriez-vous adapter une BD au cinéma ?

Oui. Je vais vous dire laquelle, d’autant plus volontiers que je réaliserai probablement jamais cette adaptation. Elle demande beaucoup trop de pouvoir et de moyens financier pour la réaliser : il s’agit de Ranxerox de Tanino Liberatore. Cette histoire est très moderne, et me donne envie de la voir portée à l’écran. Même si un réalisateur de renom l’adaptait, je serais heureux d’aller voir cette adaptation au cinéma.



(par Nicolas Anspach)

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