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Gipi : "Quand je travaille, et que ça se passe bien, j’entends les personnages me parler." [INTERVIEW]

Par François RISSEL le 9 juin 2023                      Lien  
Certaines bandes dessinées vous marquent durablement. Pour différentes raisons : le dessin, la narration, l’histoire ou bien un personnage particulier…Et parfois c’est un peu tout cela en même temps. "Notes pour une histoire de guerre", "Vois comme ton ombre s'allonge", "S."... sont des livres de Gipi qui font cet effet là, des ouvrages parfaits dans lesquels il exploite tout le potentiel inouï du 9e Art. Nous avons pu rencontrer l’auteur lors du Festival ARF Festival à Rome. Dans cet entretien, il revient sur sa manière de travailler notamment dans son rapport au dessin et à l’écriture.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de votre nouvelle BD : Barbarrone ? Sera-t-elle traduite en français ?

Je réponds d’abord à la deuxième partie de la question. Je n’ai pas encore signé de contrat avec un éditeur français, mais en général, tous les livres que je fais ici ont vocation à être édités en France également. Donc je pense que oui, si cet album plaît bien sûr ..

L’origine de ce projet vient d’un moment où j’étais triste, très triste. Malheureusement, je suis sujet à des périodes où je suis saisi par un véritable mal-être. Je suis triste sur des périodes longues parfois. Et un jour, un ami d’enfance qui m’appelait souvent pour prendre des nouvelles et savoir comment j’allais me dit « Fais Barbaronne » et je lui réponds « mais qu’est-ce que c’est Barbaronne ? ». Et lui me raconte alors qu’il y’a 20 ans - cet ami est acteur - je lui avais proposé de faire un court-métrage satirique comique avec ce personnage Barbaronne, un explorateur spatial. Et lui cet acteur devait faire le rôle principal.

J’avais totalement oublié cette histoire. Il me dit alors :« fais en une BD ». Et je me souviens qu’à ce moment j’étais tellement mal que je pouvais me raccrocher à n’importe quoi. Dès le moment où il a raccroché le téléphone, je me suis mis à la première page et ça m’a mis en joie ! Et depuis ce jour, cette histoire, c’est mon médicament : tous les matins en me réveillant, je dessinais 3, 4 pages en riant. Je riais pendant que je dessinais, je riais lorsque que je scannais mes pages et faisais les ajustements sur l’ordinateur … et à la fin j’avais quelque chose de comique. Je me suis dit que peut-être cela ferait rire les autres.

Gipi : "Quand je travaille, et que ça se passe bien, j'entends les personnages me parler." [INTERVIEW]
Rulez © Gipi

Pouvez-vous résumer l’histoire en trois mots ?

Barbaronne se déploiera sur trois volumes. Chaque volume a une histoire plus ou moins auto-conclusive mais il y a une histoire horizontale plus longue qui s’étend sur trois tomes. C’est une histoire très sérieuse, où il est question de culpabilité, du mal fait aux autres sans s’en rendre compte. Mais, pour arriver là je choisis toujours le mode le plus stupide possible. Donc dans chaque volume en réalité, il y a beaucoup de choses comiques qui pourtant s’appuient sur une histoire assez dramatique.

Dans le premier volume, Barbaronne est perdu sur une plage d’une planète inconnue où il a atterri avec son vaisseau et il rencontre cette tribu dont les êtres ne parlent pas mais marchent sur deux pattes, comme des êtres humains. Et il tente de s’expliquer par des gestes , mais il est compliqué de se comprendre ainsi.

© Gipi

Entre auto-fiction et onirisme, vous mélangez les registres, quelle est votre méthode d’écriture ?

Je change à chaque livre ! Je change toujours. En réalité j’ai deux types d’écriture. Pour les histoires sous base autobiographique, souvent je n’écris rien. Je travaille directement la BD sur la page, je n’écris pas de scénario préalablement et je fais de l’improvisation. C’est spontané. Disons que le travail est d’arriver au point où cette spontanéité peut fuir, où il peut passer de la pensée au papier. Un travail que je fais plutôt en premier, je ne le fais pas à la table où j’ai besoin de plus de concentration.
Quand inversement j’ai une trame alors dans ce cas j’écris des scénarios exactement comme dans le cinéma. J’utilise un logiciel d’écriture utilisé en général pour le 9e art, je n’écris pas comme pour la BD classique, page 1, case n1, page 2, etc. J’écris les actions qui s’entremêlent.

À propos du cinéma, vous êtes aussi réalisateur, quelle est pour vous la différence entre l’image de cinéma et celle en BD ?

J’ai fait trois films, oui, mais pour autant je ne suis pas réalisateur (rires) ou un réalisateur déjanté. Beaucoup pensent que films et BD sont très semblables. Moi je ne pense pas, je pense que c’est très différent, surtout pour moi. Ce qui me pousse à faire du cinéma c’est une impulsion plus existentielle et humaine qu’artistique, dans le sens où, quand je travaille sur une BD, je vis une vraie solitude, des fois pendant deux ou trois ans. Quand on travaille sur le cinéma c’est collégial, c’est une fête... Mais moi je ne suis pas très bon pour le cinéma, mais ça me plaît quand même d’en faire.

Vos films ont-ils étaient distribués en France ?

Oh non. Mon style cinématographique, c’est le flop (rires). Personne ne les voit !

Pourquoi ?

Car je suis peut-être trop fou (rires). Car je ne fais pas de promotion. Parce que pour moi, quand c’est fini, ça ne m’importe plus. Ce qui me plaît, ce sont les souvenirs de tournage, je deviens toujours amis avec les personnes qui travaillent sur un tournage. Et ça, ça me plaît. Cela m’importe d’avoir des souvenirs avec des personnes avec qui on a inventé des choses, trouvé des solutions à des problèmes... Aujourd’hui, quelqu’un m’a confié avoir trouvé mon dernier film très beau, mais selon moi, ces gens là sont fous ! (Rires)

© Gipi

Quel est votre rapport à la couleur et à l’aquarelle ?

Ehh… L’aquarelle est arrivée d’elle-même un jour. Je ne l’avais jamais utilisée et j’ai continué à travailler via ce médium pendant plus de 15 ans. Et c’était parfait car pour moi la rapidité d’exécution est primordiale/fondamentale. En réalité, je n’aime pas tant dessiner, j’aime surtout créer le rythme du récit. Ainsi, je choisis toujours des techniques qui me permettent d’être très rapide, de façon à pouvoir réaliser une case puis l’autre, puis l’autre, puis l’autre… et l’aquarelle était parfaite pour ça. Maintenant, comme un couple qui serait ensemble depuis de nombreuses années… nous sommes en crise. Et disons que je me suis plains. Et qu’il y’a des peintures plus raffinées, plus denses et que j’expérimente d’autres choses.

On peut dire qu’on se confronte à nos difficultés en permanence ?

Oui, et l’aquarelle est très difficile, car tu dois savoir dès le début où sera la lumière. Tu dois lâcher la lumière. Alors que la peinture à l’huile ou acrylique sont très amusantes, et les couleurs y sont très belles. Maintenant c’est ce dont j’ai envie, je veux travailler à la superposition, à la véracité, donc aujourd’hui, j’essaie différentes techniques.

© Gipi

Concernant vos personnages, ils ont tous une personnalité propre. C’est important pour vous ?

Oui, pour moi c’est peut-être une des choses les plus importantes, que chaque personnage ait sa voix propre, c’est-à-dire que je ne me reconnaisse pas quand je lis. J’aime les choses que je fais quand, une fois finies, et que je les lis, et que je ne m’y retrouve pas. Quand je m’y vois ça ne me convient pas.
Donc j’essaie de faire en sorte que chaque personnage ait sa propre voix.
Et je suis plutôt chanceux car quand je travaille, et que ça se passe bien, j’entends les personnages me parler. Je n’ai pas l’impression d’être actif dans ce qu’ils doivent dire. C’est comme si j’étais dans une salle et qu’ils me parlaient. Je dois juste tout retranscrire, quand ça se passe ainsi, je suis très content !

Quel est votre rapport à la littérature ?

À tout choisir, je préfère les auteurs morts ! J’ai de l’amour, vraiment, pour Dostoïevski. Pour moi c’est un auteur qui écrit des histoires devant lesquelles on peut s’incliner, surtout face à sa capacité d’apporter de la profondeur. Mais je suis une personne très ignorante, je n’ai pas fait l’université, je n’étais pas bon au lycée et je lis peu comparé à ce que je devrais lire. Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question. Mais je suis chanceux, car les histoires me viennent, et elles ne me viennent pas d’une culture particulière, ou d’avoir beaucoup lu. Je suis toujours en train de récupérer et de combler des déficits. Il s’agit de combler mes lacunes.

Les lieux sont-ils importants ?

Pas du tout. Quand j’écris une histoire comme Notes pour une histoire de guerre par exemple, je sais où je l’imagine, mais mon envie est que chaque lecteur s’y reconnaisse et voie sa maison. Donc je ne fais jamais de travail important sur le lieu, mon souhait est que chaque lecteur puisse penser qu’il est chez lui.

Vos prochains projets ?

Je dois faire les volumes 2 et 3 de Barbaronne et, en même temps, je travaille sur une histoire de science-fiction, une de western, sur une histoire de critique sociale et politique très forte et sur deux écritures pour une série télévisée … J’espère pouvoir finir au moins un de ces projets ! (rires)

Voir en ligne : Pour les lecteurs italophones, vous pourrez trouver le tome 1 de Barbarone en cliquant sur ce lien

(par François RISSEL)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Traduit de l’italien par Jeanne Pasini. Un grand merci à Chiara Palmieri et à l’agence Rulez d’avoir rendu cet entretien possible.

Photo Médaillon : François Rissel

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