Dans une ville et à une époque indéterminés, quelques personnages se croisent, s’ignorent ou se heurtent. Un poète idéaliste, laid et bossu, observe quotidiennement une voisine qu’il voit comme parfaite et qu’il croit reproduire grâce aux pièces détachées d’un mannequin. L’époux de la femme épiée, chirurgien de renom, crée un pantin à qui il parvient à donner la vie mais qui trouble la vie du couple.
Si ces quatre personnages sont au cœur de la nouvelle bande dessinée de Benoît Preteseille éditée par Atrabile, Les Poupées sanglantes, d’autres interviennent dans le récit. L’une s’est faite opérer pour ressembler à son portrait, dessiné alors qu’elle était enfant. L’autre, obsédé par le vieillissement, change littéralement de peau régulièrement. Il y a même un chien qui rôde, guère moins humain que les hommes. Tous sont étranges, fantasques, ravagés par leurs manies et incapables d’une réelle communication.
L’auteur les fait se rencontrer, parfois subrepticement, parfois abruptement. Leur destin en est chamboulé. En suspens ou sans retour en arrière possible, leur vie éclate dans toute son absurdité. Prisonniers de leurs lubies ou aveuglés par leurs fantasmes, ils ont fini par se couper du monde, suivant leurs désirs ou fuyant la réalité jusqu’à l’impasse.
Les Poupées sanglantes est très librement inspiré de deux récits de Gaston Leroux datant de 1923 : La Poupée Sanglante et La Machine à assassiner. Benoît Presteseille en reprend les aspects mystérieux et inquiétants, mais aussi ludiques et presque drôles. Il ne se cantonne cependant pas à une adaptation : il se réapproprie totalement les thèmes effleurés par le romancier pour en donner une version personnelle et quelque peu pessimiste.
Qu’il s’agisse du poète, de la jeune femme ou de son mari chirurgien, tous sont confrontés aux limites de leurs volontés prométhéennes. Fâchés avec le quotidien ou avec leur passé, ils ont préféré employer leur énergie à créer ou à imaginer un être parfait. Forcément vains, leurs espoirs sont déçus, ce qui ne fait qu’ajouter à leur malheur. En adoptant tour à tour leurs points de vue, l’auteur souligne malgré tout leur humanité, donnant à lire leurs émotions et sentiments.
Intimement lié au fantasme prométhéen, le vampirisme est l’autre thème majeur des Poupées sanglantes. Il conduit aux mêmes désillusions, quoiqu’il donne un semblant d’énergie. Donner la vie ou la prendre revient ici au même, ou presque. C’est faire de l’Autre un objet, un être soumis uniquement à ses propres désirs et pourtant révélateur de son infirmité personnelle. C’est, finalement, se retrouver seul.
(par Frédéric HOJLO)
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Les Poupées sanglantes - Par Benoît Preteseille - Atrabile - collection Flegme - 17 x 24 cm - 128 pages en bichromie - couverture souple avec rabats - parution le 5 juin 2020.
Consulter le site de l’auteur.
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