De lui dont le pseudonyme est emprunté au personnage couard des Tuniques bleues de Cauvin, Salvérius et Lambil, on n’est pas surpris qu’il rende hommage à la bande dessinée. À maintes reprises, il a tissé les louanges d’Uderzo, de Morris, de Goscinny (récemment, il lisait encore une de ses œuvres pour le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme que l’on peut voir dans la vidéo ci-dessous), mais aussi Jijé, Hergé, Edgar P. Jacobs, Guido Buzelli, André Franquin, Pierre Christin & Jean-Claude Mézières, Jean-Claude Forest, Georges Wolinski & Pichard, ou encore Jean-Michel Charlier & Jean Giraud.
Alors, pourquoi pas des « Variations » graphiques comme le ferait un soliste de Jazz sur une phrase musicale classique (on se souvient de Gainsbourg réorchestrant Chopin). Du recopiage enfantin qui est celui de chaque apprenti dessinateur soucieux d’appréhender le vocabulaire graphique d’un grand dessinateur, d’en comprendre le mystère et la magie, à la réinterprétation virtuose, telle est le challenge plutôt réussi par Blutch.
Évidemment, il faut une certaine « culture » pour apprécier toute la saveur des réinterprétations faites, il faut avoir lu les œuvres. Mais quel n’est pas le lecteur francophone qui n’a pas eu accès à ces best-sellers lus et relus depuis des générations (à quelques exceptions près), des séquences que l’on a dans l’œil comme certains grands airs de la musique classique ?
Évidemment aussi que Blutch transfigure l’œuvre originale, en fait sa chose de la même manière qu’un Itzhak Perlman ne lit pas la musique de Paganini à la façon d’un Jascha Heifetz. C’est très visible dans la Variation que Blutch fait du Temple du Soleil où la Ligne claire d’Hergé vibre à l’envi.
Multi-célébré à Angoulême (Alphart en 2000, Grand Prix en 2009), celui qui fête dans quatre jours ses cinquante ans, incarne à lui seul le virage de la bande dessinée des années 2000 qui quitte la gangue des créations commerciales formatées pour faire œuvre.
Aucune n’aura jamais, peut-être, le rayonnement et la popularité d’un Tintin ou d’un Astérix. Mais comme disait René Goscinny alors qu’il rendait lui-même hommage à ses prédécesseurs : « …il est facile de répondre finement que la qualité d’un texte ne se juge pas au poids. Sinon, le travail des critiques serait exagérément simplifié, et ils seraient tous d’accord pour reconnaître que la qualité littéraire de l’annuaire téléphonique de Paris est infiniment supérieure à celle de l’annuaire de Maubeuge, par exemple. (Que les Maubeugeois me pardonnent ; c’est la quantité qui est en cause, non la qualité, je le rappelle.) » [1]
C’est un peu tout cela qui se trouve contenu dans ce prix présidé par Catherine Meurisse, lauréate du Prix Wolinski – Le Point 2016, et d’un jury composé de Maryse Wolinski, Florence Cestac, Marie-Françoise Leclère, Jul, Albert Algoud, Philippe Druillet, Jacques Dupont, Romain Brethes, Albert Sebag et Christophe Ono-dit-Biot.
Félicitations donc à Blutch dont les Variations seront peut-être à nouveau distinguées à Angoulême dans un mois.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"Variations" de Blutch aux Editions Dargaud.
Commander cet ouvrage chez Amazon ou à la FNAC
Photo en médaillon. DR / © Le Point
[1] Les Chefs d’Œuvre de la Bande Dessinée — Préface - Anthologie Planète, éditions Planète, 1967. Je mets la référence pour éviter à Jacques Langlois un fastidieux travail de vérification. (Private Joke)
Participez à la discussion