Albums

La meilleure reprise de l’année 2023 : le Lucky Luke de Blutch

Par le 30 décembre 2023                      Lien  
Il n’y a pas de fatalité : quand un personnage est repris par un autre dessinateur, un autre scénariste, on n’est pas obligé de tomber toujours dans un traitement à l’imagination médiocre, motivé par le seul appât du gain, le marketing paresseux voire par une trahison assumée qui n’est rien d’autre qu’un aveu d’impuissance. En résumé, ce « goût de trop peu » que l’on constate dans bien des séries classiques qui perdurent au-delà de l’arrêt des créateurs d’origine. La meilleure reprise de 2023, ce ne sont ni Astérix, ni Gaston, ni Blake et Mortimer, mais bien le « Lucky Luke : les Indomptés » de Blutch. Un album qui évite bien des écueils de la reprise qui hésite souvent entre le pastiche et la servilité. Blutch choisit la seule voie qui vaille, pour le créateur comme pour le lecteur : le plaisir.

Même quand il en parle sur la chaîne de podcasts d’ActuaBD, ses mots traduisent peu la réussite de cet album en bien des points remarquables. C’est que l’interviewé se sent obligé de faire la révérence à Morris, le créateur de Lucky Luke, dont c’est le centenaire cette année-ci, et puis parce qu’il a été suffisamment ignoré des instances de la bande dessinée angoumoisine [1] pour que l’on salue le talent essentiel du dessinateur courtraisien qui avait réussi, dans Lucky Luke, l’incroyable synthèse entre l’élégance des cartoonists du New Yorker et l’esprit loustic du Journal de Spirou.

La meilleure reprise de l'année 2023 : le Lucky Luke de Blutch
La version luxe en noir et blanc.

En abordant Les Indomptés, on est vite abusé par le « pitch » qu’évoque la couverture : le cow boy chanceux qui n’a jamais fondé une famille en est réduit à faire de la garderie d’enfants, lesquels, chacun le sait, sont bien plus difficiles à dompter qu’un taureau en furie.

Mais très vite, on se rend compte que l’argument narratif dépasse cet incipit. Case après case, dans un rythme endiablé, les personnages surgissent, formidablement campés, tant dans leur caractérisation que dans l’efficacité des dialogues. Si Blutch est incontestablement « un Mozart du dessin  » comme le désigne le cinéaste Patrice Leconte, il est aussi un formidable raconteur capable de nouer une intrigue en creusant la personnalité de chacun de ses personnages, leur attribuant une attitude unique, crédible et drôlissime, une justesse parfaite dans les psychologies. Oui, osons l’affirmer, à l’instar d’un... René Goscinny !

Blutch a trouvé une manière de « pierre philosophale » du récit, une « potion magique » que l’on n’avait plus vus depuis la disparition du créateur du Petit Nicolas en 1977. Certes, certains repreneurs de la série Lucky Luke n’avaient pas démérité comme Jean Léturgie & Xavier Fauche, Lo Hartog van Banda ou encore le regretté Bob De Groot, mais aucun n’avait ce rythme, ce crépitement de situations cocasses, ces dialogues qui font mouche.

On en oublie presque le trait, ses fulgurances comme ses maladresses, notamment dans le dessin des chevaux. En refermant l’album, le lecteur est dans un tel état de ravissement qu’il nous revient ce mot de Sacha Guitry : « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. »

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782884714938

L’hommage à Lucky Luke : Les Indomptés – Par Blutch – Lucky Comics

[1Il a fallu l’élection de Frank Margerin en 1992, l’un de ses successeurs revendiqués, pour qu’on lui attribuât un « Prix Spécial du 20e anniversaire » la même année.

Lucky Luke Lucky Comics ✏️ Blutch 🎨 Daniel Blancou tout public Humour France Marché de la BD : Faits & chiffres
 
Participez à la discussion
24 Messages :
  • Meilleur Lucky Luke depuis le Fil qui Chante en 1977.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Milles Sabords le 30 décembre 2023 à  15:19 :

      C’est surtout du Blutch par du Blutch, il n’y a rien de Lucky Luke dans tout ça. Hergé avait raison, laissons les personnages mourir avec leur créateur, si on veut un jour voir éclore une nouvelle relève.

      Répondre à ce message

    • Répondu par Lady Slexique le 30 décembre 2023 à  18:44 :

      J’espère que c’est mieux que son récent Tif et Tondu (très joli dessin en noir et blanc, scénario bizarre et compliqué).
      Ceci dit, vu son pseudo qui trahit son affection pour les Tuniques bleues, j’aimerais qu’il nous ponde un album sur cette série !

      Répondre à ce message

    • Répondu par Lena M. le 30 décembre 2023 à  18:56 :

      Cher actuabd, vous écrivez " parce qu’il a été suffisamment ignoré des instances de la bande dessinée angoumoisine ".
      Vous devez être au courant qu’il est vulgaire,, dans certains milieux, de parler en bien de ce qui se vend bien ("c’est courant, commercial, et vulgaire).
      Pour certains, il est bien plus valorisant d’encenser des livres à petit tirage, difficiles à trouver, même chez Canal BD !! Livres parfois dessinés avec talent, mais un peu (euphémisme) difficiles à lire, un peu comme le cinéma d’auteur à la Godard (pas Christian, qui lui a fait toute sa vie du facile à lire, sans prise de tête, dans la presse hebdo). Je n’ai rien contre les tentatives d’expérimentations dans la BD, il me semble simplement qu’elles devraient se limiter aux fanzines et aux galeries "artie". Il sera toujours temps d’en parler quand cela se vendra ! Et, désolée, Sattouf et Satrapi, Trondheim et Sfar sont des auteurs qui ont obtenu de grands succès (justifiés) critiques et publics !

      Répondre à ce message

      • Répondu le 31 décembre 2023 à  10:59 :

        Donc, si on vous suit bien, ce qui fait la valeur d’une œuvre, c’est son succès commercial et rien d’autre.

        Répondre à ce message

  • Bah évidemment non, la meilleure reprise de l’année 2023 c’est l’excellent Gaston Lagaffe de Delaf, haut la main !

    Répondre à ce message

  • Votre article est très bien écrit. Par contre vous oubliez une reprise essentielle avec deux albums extraordinaires : la belle province et la corde au cou. Laurent Gerra a été un excellent scénariste de la série.
    Enfin vous parlez de l’album du génial Blutch comme si il reprenait la série. Ce n’est pas une reprise mais juste un bel hommage à Morris et Lucky Luke. Le dessinateur de la reprise reste Achde. Lui aussi fait un travail magnifique. ❤️

    Répondre à ce message

    • Répondu le 31 décembre 2023 à  11:08 :

      Laurent Gerra a été un des pires scénaristes de Lucky Luke (et la concurrence est rude). D’ailleurs, il n’écrit même pas les textes de ses sketches d’imitateur.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Nicolas G le 1er janvier à  02:40 :

        Je ne vois pas le rapport entre les textes de ses sketches et ses albums de Lucky Luke.
        Je ne suis pas d’accord avec vous. Les deux premiers qu’il réalisa avec Achde étaient excellents.

        Répondre à ce message

        • Répondu le 1er janvier à  11:15 :

          Le rapport c’est que c’est un imitateur, pas un auteur et encore moins un scénariste. Se moquer des Québécois et replacer Céline Dion dans un Lucky Luke, c’était ridicule. Ni Morris ni Goscinny n’auraient pratiqué un humour aussi anecdotique.

          Répondre à ce message

  • J’ai adoré cet album et je vénère Blutch ( gloire à lui ! ). Un bémol toutefois à l’adresse de Dargaud au sujet de "l’album noir et blanc" à tirage limité, un travail éditorial paresseux, sans dossier ni crayonnés. Bien joué les gars, mais si vous avez un jour l’audace de passer par Painful Gulch, vous finirez dans le goudron et les plumes, Hi aaaah !

    Répondre à ce message

    • Répondu le 31 décembre 2023 à  10:57 :

      Blutch renvoie le bâcleur Jul et le laborieux Achdé à leurs chères études.

      Répondre à ce message

    • Répondu par Lena M. le 3 janvier à  20:50 :

      Rassurez-vous, un beau TT en noir et blanc, avec plein de croquis, va bientôt paraitre à la Galerie Barbier qui vend ses originaux. Prix 150 euro !

      Répondre à ce message

  • Bonjour,

    J’ai trouvé cette reprise imbuvable, et n’ai pas réussi à finir l’album.
    Je dois être une personne bizarre, je n’ai pas supporté celle de Floch, non plus, alors que tout le monde les a encenses

    Répondre à ce message

    • Répondu le 31 décembre 2023 à  21:03 :

      Vous êtes une personne bizarre mais passez une excellente année quand même.

      Répondre à ce message

  • Je n’ai pas été vraiment séduit, surtout par le dessin très approximatif... pour moi la meilleure reprise de 2023 est le tome 2 de la Bête

    Répondre à ce message

    • Répondu le 3 janvier à  08:18 :

      Pour apprécier Blutch pleinement, il faut avoir le sens du dessin, un peu de culture dans ce domaine et apprécier l’épure. C’est pourquoi malgré son immense talent et son travail acharné, il ne sera probablement jamais « grand-public ». D’autant que le marché est aujourd’hui beaucoup plus énorme et compartimenté qu’à l’époque de Morris et Goscinny.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Lol le 3 janvier à  11:07 :

        Donc si on trouve que le dessin de Blutch est moche, c’est qu’on n’a ni culture et le sens du dessin. C’est pratique ça, vous l’appliquez à tous ceux qui ne pensent pas comme vous ?

        Répondre à ce message

        • Répondu le 3 janvier à  12:39 :

          Non je dis ça parce que je connais le dessin que j’étudie depuis 50 ans. Sur le vin par contre, je suis nul. Faites-moi goûter un vin à 150 euros, je ne verrai pas la différence avec une piquette infâme. Je n’ai pas de honte à reconnaître que je suis nul dans certains domaines mais beaucoup de choses s’apprécient mieux quand on les a un peu étudiées. Cela dit, je conçois fort bien qu’on puisse très bien connaître le dessin et ne pas aimer Blutch mais dans ce cas il faut argumenter, pas se contenter de dire que son dessin est « approximatif ». Car Blutch est vraiment tout sauf approximatif ou alors ce mot a un autre sens pour vous que pour moi.

          Répondre à ce message

          • Répondu par Grégoire le 5 janvier à  13:16 :

            Une toute belle définition du snobisme !

            Répondre à ce message

            • Répondu le 5 janvier à  15:48 :

              Eh oui, avoir un peu étudié un sujet, ça fait tout de suite snob ou intello. Et ça commence dès l’école. C’est tellement plus chic d’être ignorant ou cancre et de le revendiquer. Je me demande de où se situe le snobisme…

              Répondre à ce message

  • Je ne sais pas qui a écrit cet article qui n’est pas signé (?) mais il ne s’agit pas d’une reprise mais d’un "vu par". Ceci dit j’ai beaucoup apprécié cet album alors qu’il y a longtemps que je ne lis plus la série car je n’y retrouve pas ce que j’aimais dans les histoires de Goscinny et les dessins de Morris. Blutch a réussi à insuffler de la créativité et de la fraîcheur dans une série commerciale qui ronronne depuis longtemps.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Maitre Cappelo le 3 janvier à  20:38 :

      C’est pourtant bien une reprise puisque Blutch reprend des personnages. Comme avec Tif & Tondu, ou le Gaston de Delaf, les Schtroumpfs de Tebo, tout ça ce sont des reprises. Comme les Petits Hommes étaient une reprise du style Franquin d’ailleurs. Reprise, du verbe reprendre.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Lady Slexique le 4 janvier à  18:13 :

        Exact, cher Maître, mais je vous trouve cruel avec Seron, dans son cas, la reprise n’était pas celui d’une série !
        Uhuhuh !

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR   
A LIRE AUSSI  
Albums  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD