Même quand il en parle sur la chaîne de podcasts d’ActuaBD, ses mots traduisent peu la réussite de cet album en bien des points remarquables. C’est que l’interviewé se sent obligé de faire la révérence à Morris, le créateur de Lucky Luke, dont c’est le centenaire cette année-ci, et puis parce qu’il a été suffisamment ignoré des instances de la bande dessinée angoumoisine [1] pour que l’on salue le talent essentiel du dessinateur courtraisien qui avait réussi, dans Lucky Luke, l’incroyable synthèse entre l’élégance des cartoonists du New Yorker et l’esprit loustic du Journal de Spirou.
En abordant Les Indomptés, on est vite abusé par le « pitch » qu’évoque la couverture : le cow boy chanceux qui n’a jamais fondé une famille en est réduit à faire de la garderie d’enfants, lesquels, chacun le sait, sont bien plus difficiles à dompter qu’un taureau en furie.
Mais très vite, on se rend compte que l’argument narratif dépasse cet incipit. Case après case, dans un rythme endiablé, les personnages surgissent, formidablement campés, tant dans leur caractérisation que dans l’efficacité des dialogues. Si Blutch est incontestablement « un Mozart du dessin » comme le désigne le cinéaste Patrice Leconte, il est aussi un formidable raconteur capable de nouer une intrigue en creusant la personnalité de chacun de ses personnages, leur attribuant une attitude unique, crédible et drôlissime, une justesse parfaite dans les psychologies. Oui, osons l’affirmer, à l’instar d’un... René Goscinny !
Blutch a trouvé une manière de « pierre philosophale » du récit, une « potion magique » que l’on n’avait plus vus depuis la disparition du créateur du Petit Nicolas en 1977. Certes, certains repreneurs de la série Lucky Luke n’avaient pas démérité comme Jean Léturgie & Xavier Fauche, Lo Hartog van Banda ou encore le regretté Bob De Groot, mais aucun n’avait ce rythme, ce crépitement de situations cocasses, ces dialogues qui font mouche.
On en oublie presque le trait, ses fulgurances comme ses maladresses, notamment dans le dessin des chevaux. En refermant l’album, le lecteur est dans un tel état de ravissement qu’il nous revient ce mot de Sacha Guitry : « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. »
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L’hommage à Lucky Luke : Les Indomptés – Par Blutch – Lucky Comics
[1] Il a fallu l’élection de Frank Margerin en 1992, l’un de ses successeurs revendiqués, pour qu’on lui attribuât un « Prix Spécial du 20e anniversaire » la même année.
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