Magnus le Grand

Nous vous en parlions le mois dernier : après s’être fait désirer pendant deux longues années, la collection Erotix de Delcourt a (enfin) opéré un retour remarqué avec une nouvelle mouture qui comble véritablement toutes nos attentes. Le concept est aussi simple qu’astucieux : profiter de la réédition d’un best-seller d’un auteur emblématique de la bande dessinée érotique, pour agrémenter l’ouvrage de plusieurs récits inédits ou méconnus en français.

Après Baldazzini avec sa "compilation-best of" Chiara Rosenberg et autres gourmandises, la collection marque un grand coup avec le grand... Que dis-je ! L’immense Magnus ! Un avis que partage Vincent Bernière, car c’est avec ce fameux titre des 110 Pilules qu’il avait lancé la collection Erotix chez Delcourt en 2009. Il avait de même en plaçant le titre parmi les premiers lors du lancement des Grands Classiques de la Bande Dessinée érotique, juste après Manara, Crepax et Varenne : quel tapis rouge !

Les 110 Pilules

Si vous n’avez jamais lu Les 110 Pilules - Que vous êtes chanceux de pouvoir découvrir ce chef d’œuvre qui n’a pas pris une ride ! - sachez que Magnus a librement adapté le livre fondateur de la littérature érotique chinoise, Jin Ping Mei du XVIe siècle. Il met en scène un riche propriétaire terrien découvrant le pouvoir viril de mystérieuses pilules. Malheureusement, si leur nombre est compté, la dose prescrite ne doit pas être dépassée sans envisager de conséquences funestes.

Vingt ans avant le viagra, ce récit, parfaitement équilibré entre la part dédiée à la jouissance et le drame qui se noue progressivement, est avant tout remarquable par l’extraordinaire composition de ses pages et la maestria du noir et blanc de son auteur.

Magnus joue (et gagne) effectivement sur tous les tableaux : au niveau de l’érotisme tout d’abord, en imaginant cette langue descente aux enfers d’un homme qui se laisse entraîner par ses pulsions. Puis il profite de son expérience pour alterner les éléments graphiques : de magnifiques paysages chinois en référence aux plus belles estampes, de détails à profusion contrebalancés par une ligne très claire pour les personnages, une utilisation progressive des aplats de noir pour accentuer l’effet dramatique du récit, etc. Les 110 Pilules reste vraiment un récit majeur et incontournable de la bande dessinée érotique !

Milady 3000

Fidèle au concept instauré avec le premier volume, Vincent Bernière livre donc cinq autres récits moins connus ou inédits en français. L’ensemble est très bien introduit dans la préface signée Franco Spiritelli qui donne essentiellement de précieux éléments historiques concernant la création et la prépublication des 110 Pilules. Outre cette analyse et ce récit, on retrouve dans ce volume de 224 pages les éléments suivants :

 Femmes envoûtées : Bien moins érotiques que Les 110 Pilules, même s’ils furent également prépubliée dans L’Echo des Savanes, ces courts récits s’inspirent également de la culture chinoise, à la fois fantastiques, philosophiques et moralistes. On profite surtout de magnifique encrage de Magnus : chaque planche mériterait d’être agrandie pour profiter pleinement de leurs compositions. Une belle occasion de redécouvrir donc le contenu de cet album publié chez Albin Michel en 1991.

Femmes envoûtées

 Milady 3000 : Débuté dans Métal Hurlant, ce space-opéra rend hommage à Flash Gordon tout en mêlant les genres (complots, récit historique, etc.). Magnus ose également quelques clins d’œil à des figures mythiques du genre, comme Star Wars ou Silver Surfer. Et une fois de plus, son graphisme hypnotique nous entraîne dans des directions insoupçonnées, car Delcourt a préféré publier la version noire et blanche, même si les couleurs Silvana Bigi dans l’édition d’Ansaldi en 1986 étaient bien réalisées.

 Exhibition : un court récit de quatre pages beaucoup plus érotique que les précédents. Une bande muette parue en1987 dans L’Echo des Savanes où une femme se livre à striptease sans retenue.

 Sur la terrasse : une autre histoire délicieusement subversive de quatre pages parus dans L’Echo des Savanes en 1989.

 Le Compte à rebours de Socrate : Dans ce récit de six pages (inédit en français ?), Magnus adapte la mort de Socrate décrite par Platon dans son livre Phédon. Une fois de plus, l’auteur joue sur le noir et blanc ainsi que surtout que sur les visages des protagonistes. De quoi faire un parallèle intéressant avec les expressions faciales des 110 Pilules.

 Un portfolio final parachève l’ouvrage avec vingt magnifiques pages d’illustrations inédites. Elles font la part belle aux 110 Pilules, mais élément inattendu, elles sont entièrement en couleurs, preuve que le maître du noir et blanc avait d’autres cordes à son arc.

Un projet de portfolio où Magnus s’inquiète de la censure

Vous l’aurez compris, nous avons été pleinement conquis par ce volume, et nous conseillons aux amateurs de Magnus de le placer juste à côté L’Internat féminin et autres contes coquins paru chez le même éditeur qui rassemblait déjà pas mal de récits érotiques de Magnus, même si la finition du dernier paru est nettement supérieure.

Quant à la suite, Vincent Bernière nous a levé un coin du voile des prochaines parutions de cette collection qui mêle best-seller et pépites moins connues : « Crepax, John Willie, Frollo… » Une affaire à suivre !