Nous avons déjà salué comme il convenait cette mini-série qui nous apparaît comme l’une des plus réussies de cette année. Aux manettes, Bastien Vivès ; le jeune prodige du multi-acclamé Goût du chlore (Casterman) et de Dans mes yeux (Casterman). Cette série confirme les espoirs que d’aucuns fondaient en ce jeune homme à la carrière déjà bien riche : celle d’un artiste exceptionnel dont le parcours est jusqu’ici sans faute, en dépit de ses détours parfois surprenants, et qui n’a pas son pareil pour surprendre le lecteur. On n’a pas fini d’en parler !
Il s’est allié à son copain d’atelier, Merwan Chabane , dans une partition à quatre mains, comme Vivès nous en a déjà gratifié dans ses duos avec Michel Sanlaville (Hollywood Jan chez Casterman) ou Alexis de Raphaellis (Juju Mimi Féfé Chacha chez Ankama).
Chabane n’est pas non plus un débutant. Il a fait un détour par le jeu vidéo, l’animation et la réalisation de courts-métrages, notamment Biotope en 2002 qui remporte une multitude de prix dans des festivals du monde entier (Valence, Hiroshima, Clermont-Ferrand, Rome, Turin, Téhéran, etc.). En 2003, on le voit intervenir sur le premier Carmen + Travis, les récits chez Delcourt, et il signe seul son premier album, Pankat, pour la collection "Équinoxe" de Vents d’Ouest. Il fait aussi partie du quatuor (avec Fabien Nury, Fabien Bedouel et Maurin Defrance) qui œuvre sur L’Or et le Sang aux éditions 12bis.
On ne saurait passer sous silence l’éclairagiste de cette série, la talentueuse coloriste Sandra Desmazières qui intervient sur ces pages en y apportant un magistral usage de la couleur hérité des pratiques de l’animation : ses avant-plans, systématiquement sous-exposés, dégagent des ciels crépusculaires qui offrent à l’image une perspective chromatique et un climax assez inédits. Les textures, faites de surfaces de couleur qu’elle gouache ou aquarelle elle-même sur papier sont ensuite scannées, offrant une palette qu’elle peut parfaire à l’ordinateur.
Ces couleurs donnent à l’album un cachet unique : une touche picturale comme on en trouve dans les tableaux de Jérôme Bosch, obligeant le lecteur à entrer de plain-pied dans l’atmosphère pesante d’un récit qui se veut, littéralement, entre chiens et loups.
Un des évènements de la rentrée
Notre consœur Beatriz Capio a beau faire la fine bouche (elle avait critiqué un peu sévèrement le premier album dans nos pages), Pour l’empire est incontestablement une des séries-phare du moment.
Le sujet est cette armée qui arrive au faîte de sa gloire, mandatée par l’empereur pour se rendre aux confins des mondes connus, comme celle d’Alexandre le Grand parvenant à l’Indus, et de passer cette frontière. Un enjeu qui donne le frisson. Le sentiment de puissance de cette armée invaincue est renforcé par la présence d’une escouade de guerriers aguerris et rusés. Rien ne leur résiste. À eux seuls, ils sont capables de détruire une armée.
Mais l’inconnu est bien plus terrible encore que le plus terrible des ennemis. Surtout un inconnu qui fuit… La question est déjà posée par Platon : Est-ce du courage que de fuir devant l’ennemi ? Non, dit le guerrier. Oui, propose le philosophe, s’il s’agit de l’attirer dans un piège…
Le piège prend ici la forme d’amazones (« Les femmes ») qui ne sont pas comme leur modèle des cavalières, mais d’insaisissables fantassins juchés dans les arbres. Le trait de leur arc n’en n’est pas moins meurtrier. L’empire, ici représenté une poignée d’hommes à l’exubérante virilité, va trouver avec elles une nouvelle épreuve à laquelle les auteurs, effaçant du récit toute référence historique précise, donnent un tour mythologique qui a des résonances proprement contemporaines.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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