« Dope Rider » : son nom résume sa vie. Le cavalier squelettique n’a d’autre occupation que de chercher la meilleure herbe possible, la fumer, et délirer. Cette toxicomanie joyeuse, sans conséquence grave, est plus qu’un fil conducteur : elle est sa raison d’être. Et le prétexte à mille aventures graphiquement débridées.
Dope Rider a été inventé par Paul Kirchner en 1974. Après avoir vécu une première salve d’épisodes jusqu’au début des années 1980, il s’est endormi une trentaine d’années. De retour en 2012 dans le mensuel High Times, il est depuis vaillant comme au premier jour. Rarement à court de dope, le rider ne se lasse pas d’explorer les multiples dimensions dont la fumette lui ouvre les portes.
Paul Kirchner, qui s’approche des soixante-dix ans, n’est jamais, lui, à court d’imagination. Sa série Le Bus, présentée par les Éditions Tanibis en 2012 et 2015, et l’anthologie En attendant l’Apocalypse, parue chez le même éditeur en 2017, le prouvent : malgré une longue parenthèse consacrée à l’écriture, au graphisme et à la publicité, la bande dessinée reste le médium privilégié de l’auteur.
Assistant notamment de Wally Wood, publié dans High Times, Heavy Metal et Screw, Paul Kirchner n’a de cesse de jouer avec les formes et les codes habituellement admis de la bande dessinée. Et Dope Rider est le personnage idéal pour ça. Sa perception et sa conscience étant constamment altérées par sa consommation d’herbe, il navigue à vue dans des espaces et des temps indéterminés qui permettent au dessinateur de s’affranchir de toute contrainte narrative comme formelle.
Dope Rider, qui la plupart du temps chevauche une monture aussi squelettique que lui, n’est pas un poor lonesome cow-boy. Toujours accompagné de Tatty, son fidèle tatou de compagnie, souvent en discussion avec un vieux chef indien ou avec la danseuse de saloon MJ, il se fait régulièrement servir des coups par le barman Manny, une mante-religieuse chapeautée, avant d’en découdre avec Wild Bill, son indécrottable et insignifiant ennemi préféré.
Avec eux et grâce à l’herbe, il traverse les dimensions et façonne le monde à sa guise. Rencontrant les héros et symboles de la pop culture américaine, du flower power à Star Wars, il convie le lecteur à un voyage déstructuré et coloré, plein de surprises, jamais assommant. Dope Rider est l’incarnation - si l’on peut dire pour un être de fumée et d’os - du cool, personnage le moins sentencieux du monde.
Paul Kirchner prend le contrepied intégral de la culture du superhéros, qu’il connaît parfaitement. Dope Rider n’a pas de cause à défendre, de veuve ou d’orphelin à sauver ni même de grand méchant à atomiser. Il se moque de tout, prend tout à la légère, ignore tout des turpitudes et des misères de notre monde. Seule la fumette compte. Et encore ! Elle n’est pas chose grave. C’est tout à la fois un art de vivre et un moyen de transport spatial et temporel.
Pour une poignée de délires rassemble des histoires en une page parues dans High Times entre 2015 et 2020. Si ce recueil n’a pas la densité d’En attendant l’Apocalypse, l’esprit y est le même, ce qui en fait un prolongement idéal. Multiplicité des références, humour tranquille, explosions graphiques et couleurs pop font de ce livre une bouffée d’air qui vaut bien des substances moins licites.
(par Frédéric HOJLO)
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Dope Rider : Pour une poignée de délires - Par Paul Kirchner - Éditions Tanibis - traduction de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel - disponible en version originale chez le même éditeur sous le titre Dope Rider : A Fistful of delirium - 22 x 28 cm - 128 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 19 mars 2021.
Lire des extraits du livre & consulter le site de l’auteur consacré à Dope Rider.
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