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SGDL / Joann Sfar : au-delà de la polémique

Par Jaime Bonkowski de Passos Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 26 mai 2020                      Lien  
Le 23 mai dernier sur France Inter, le dessinateur Joann Sfar s'était fendu d'un coup de gueule tonitruant qui n'a pas été du goût de la Société des Gens de Lettres qui a déclaré porter plainte contre le dessinateur du "Chat du rabbin" pour "diffamation". Au-delà de cette polémique, c'est bien du statut des auteurs de bande dessinée dont il est question.

Avant même la crise du coronavirus, la situation des auteurs était, à juste raison, un sujet souvent mis sur la table et l’un des grands points sensés trouver une résolution au cours de l’année de la BD 2020 comme suite du Rapport Racine. La situation sanitaire a mis toutes ces initiatives sur le mode pause pour deux mois. Avec cette inquiétude pour les auteurs : que leurs revendications passent à la trappe à la faveur du déconfinement.

C’est tout sens du coup de gueule de Joann Sfar au micro de France Inter ce 23 mai dernier : « Il y a des organismes comme la Société des Gens de Lettres qui sont censés représenter les auteurs [...]. Ils touchent parfois d’énormes sommes d’argent qui ne vont pas aux auteurs. [...] On nous a promis qu’on aurait droit à ceci, à cela. Les sommes ont été allouées aux organismes dont je viens de parler, qui sont censés les redistribuer aux auteurs et qui ne redistribuent rien du tout. »

Rien du tout ? Le propos est évidemment outrancier mais la SGDL a choisi de prendre la mouche et, dans un communiqué du 25 mai, en plus de démentir les propos tenus par l’auteur, elle déclare avoir initié une action en justice contre Joann Sfar pour « diffamation. » Suite à cette nouvelle, les réseaux sociaux se sont enflammés.

SGDL / Joann Sfar : au-delà de la polémique
Capture d’écran © Site de la SGDL.

Protestations

C’est évidemment avant tout l’ironie de la situation qui est remarquée : le fait que la SGDL, une association dévolue à la protection et la défense des auteurs, attaque un des siens en justice, qui plus est Joann Sfar, président d’honneur de la Ligue des Auteurs professionnels !

La vénérable institution, soutenue à sa création par Honoré de Balzac, Georges Sand ou Victor Hugo, s’indigne naturellement qu’une personnalité aussi influente que Sfar dans le monde de la BD et de la culture ne mesure pas sa parole publique au point d’éviter des déclarations qui relèvent du clash. Car, selon elle, contrairement à ce qui a été affirmé sur France Inter, la SGDL remplit bien son rôle dans la redistribution des aides allouées aux auteurs par le Centre National du Livre (CNL), et ceci sans percevoir de commission ou conserver une quelconque part du gâteau, comme l’organisme le rappelle son communiqué.

On aurait préféré que ce débat s’installe dans la pédagogie plutôt que dans la polémique. D’un autre côté, on ne saurait tolérer que lorsqu’un auteur exprime son ras-le-bol sur la manière dont sont gérées les aides allouées à son corps de métier, on lui réponde par une action en justice. À l’exubérance de l’un répond un manque total de sang froid de la part de l’institution.

Joann sfar l’écrit lui-même, dans un communiqué répondant aujourd’hui à la SGDL : « J’ai eu tort de dire que cette institution représentait bien mal les auteurs. » Mais il ajoute, et aucun procès ne pourra lui être fait pour cela : «  On n’a pas entendu parler d’eux lorsque nous nous battions pour que le rapport Racine ne soit pas enterré. Ils ont été également très discrets lors du scandale de l’Agessa, lorsqu’on a découvert que notre organisme de sécurité sociale avait « oublié » une partie des cotisations de 190 000 artistes-auteurs, les amputant de leurs droits à la retraite... »

Et de pointer le fait que depuis la fin du déconfinement, tandis que les auteurs se réveillent et expriment leurs angoisses, la SGDL reste encore assoupie : « [...] Aujourd’hui que notre profession sort exsangue d’années de crise et de plusieurs mois d’épidémie, ils se réveillent. Pour crier avec moi que la façon dont l’État a décidé de gérer la crise pour les artistes-auteurs est problématique ? Non. Pour demander la mise en place de mesures de soutien aux auteurs simples, adaptées et sans rupture d’égalité, comme pour les autres professionnels de ce pays ? Non. La Société des Gens de Lettres se réveille pour me faire un procès en diffamation. Je devrais donc la remercier et je comprends enfin la fonction de cet organisme : il sert à remettre les auteurs dans le droit chemin si par hasard il leur arrive d’être catastrophés, et par la situation sociale de leur profession, et par la façon paternaliste dont des associations font semblant de les défendre. »

Capture d’écran © Twitter / Samantha Bailly.

Au-delà de la bataille d’officines

Joann Sfar, président d’honneur de la Ligue des Auteurs Professionnels, une association créée en 2018 par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, les États Généraux de la Bande Dessinée, et un bon nombre d’auteurs de BD comme Joann Sfar, Denis Bajram, Benoit Peeters, Maliki, Valérie Mangin, Christophe Arleston, Xavier Dorison, Aurélie Neyret, Audrey Alwett ou Joris Chamblain est dans la droite ligne de cette nouvelle association qui s’est positionnée différemment de la SGDL vieille dame convenable qui a plutôt mal vécu le tempérament revendicatif de ces nouveaux entrants. Cette polémique n’est que le prolongement d’un antagonisme qui peut très vite tomber dans la bataille d’officines.

Pour paraphraser la journaliste Caroline Fourest qui sur son blog, réagissait à une autre saillie médiatique autour des propos de Camélia Jordana sur la police : « Faisons d’une mauvaise polémique un vrai débat. »

Il est clair que la gestion par la SGDL des aides aux auteurs s’est signalée par une lourdeur bureaucratique vraiment déplaisante et un traitement qui, à juste raison, sentait son paternalisme rond-de-cuir. Le statut de l’auteur dont le profil avait été esquissé par le Rapport Racine (qui nous semble loin d’être la panacée) reste à définir. Les coups d’éclats de ces dernières années façonnent une image dommageable des créateurs du 9e Art : il ne faudrait pas que l’auteur de BD ne soit plus celui qui crée, mais c’est celui qui crie.

Qu’est-ce un auteur de BD aujourd’hui, un auteur professionnel ? Peut-on le limiter à la seule bande dessinée ? Beaucoup sont par ailleurs professeurs, illustrateurs, animateurs, designers... Sa situation est-elle autonome, suffisante ou subsidiaire ? Il ne faudrait pas que le statut d’auteur devienne un ghetto qui interdise la liberté d’intervenir, comme le fait si bien Sfar, sur d’autres terrains culturels : le cinéma, la littérature, le spectacle, la création de contenus numériques... Avec une défense et une perception égale pour tous les secteurs, histoire par exemple de ne pas réserver l’intermittence qu’à une seule catégorie de créateurs.

Ce questionnement, certes, interpelle une "Société des Gens de Lettres" qui semble, rien que par son intitulé, de moins en moins représentative de ces créateurs-là. Mais il ne faudrait pas que ce débat sémantique dispense de questionner les filières de formation, les métiers et les champs culturels du futur qui permettront à ces légions de nouveau créateurs de gagner leur pitance. Un débat qui doit saisir la culture dans son entier.

(par Jaime Bonkowski de Passos)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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15 Messages :
  • SGDL / Joann Sfar : au-delà de la polémique
    26 mai 2020 15:31, par Laurent Colonnier

    Soutien total à Joann Sfar ;

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    • Répondu par Agnès le 4 juin 2020 à  08:03 :

      Il eut été bien plus adroit de la part de la SGDL de ne rien commenter et de simplement publier un compte rendu transparent sur leurs activités. Mais bon, on peut regretter que Joann Sfar (je suis fan) se soit emporté (j’eu fait pareil - question de tempérament), mais d’un autre côté, il n’y a jamais de fumée sans feu.

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      • Répondu par kyle william le 4 juin 2020 à  17:57 :

        Bien sûr que si qu’il existe de la fumée sans feu. La présomption d’innocence, vous connaissez ?

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  • Et avec quel argent la SGDL va-t-elle faire un procès à Joann Sfar ?
    L’argent des auteurs qu’elle représente ?
    Est-ce le moment de dépenser de l’argent inutilement à la SGDL ?
    Si la SGDL a de l’argent à perdre, qu’elle le rende aux auteurs !
    Balzac doit se retourner dans sa tombe !

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    • Répondu par Aujourd’hui anonyme le 27 mai 2020 à  11:01 :

      Je suis auteur. Pour qu’on s’en tienne à ce que je raconte et qu’on s’épargne des commentaires oiseux sur mon travail, je reste anonyme.
      J’ai, pour la première fois de ma vie, fait une demande d’aide à cet organisme, celle de l’aide d’urgence pour le confinement.
      Comme au cours de l’année 2019 les rentrées de droits d’auteurs ne couvraient pas l’annonce sur droits du livre précédent, il n’y a eu aucune rentrée de droits d’auteurs cette année-là. Ce sont des choses qui arrivent.
      La SGDL me dit que l’aide d’urgence pour la période du confinement ne peu m’être allouée parce que je n’ai pas reçu de droits d’auteurs. Elle me suggère de prendre contact avec une assistante sociale. C’est gentil, mais la dernière chose au monde dont j’aie besoin est d’un couloir d’échanges, nécessairement humiliants, avec une assistante sociale. Il y a de nombreuses choses plus coûteuses que l’argent, certaines modalités du dialogue bureaucratique peuvent l’être. N’ayant jamais sollicité le CNL ni aucun organisme d’aide d’aucune sorte à ma corporation jusqu’ici, je pensais continuer de cette façon jusqu’au bout. Cependant, l’apparition d’une condition simple, opportune en période particulièrement compliquée, et - me semblait-il - légitime, m’avait paru, ici, un instant, soulageante.
      Mais les conditions de cette aide d’urgence sont bâties sur certains impensés sociaux, notamment ceux qui font l’ordinaire des vies artistiques paupérisées (et elles sont nombreuses, comment pourrait-on l’ignorer ?), dont les pertes en période de confinement, à cause de ses conditions drastiques, ne peuvent être chiffrées de la même façon que pour d’autres.
      Gageons que si des modes de déplacement empêchés affectent ceux qui tiennent leur vie sur un salaire ou des droits d’auteurs réguliers, ils affectent a fortiori ceux qui bâtissent la leur en dépit de ces rentrées régulières.
      en d’autres termes, à cause d’une conception de la vie artistique largement fantasmée, ces aides, comme l’adage, ne prêtent qu’aux riches...

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      • Répondu le 27 mai 2020 à  15:16 :

        Le revenu de l’auteur se conjugue toujours au futur. L’avance n’a de sens que si l’œuvre est publiée.Une TVA sur un livre qui est en train de s’écrire n’a pas de sens. de la même manière, comparer les revenus d’avril 2020 à ceux d’avril 2019, a moins de sens que comparer ceux d’avril 2020 à ceux d’avril 2021. les plus grosses difficultés pour le auteurs sont à venir.
        Pas besoin d’assistante sociale pour nous expliquer qu’aucun système d’aide n’est adapté pour les auteurs parce qu’aucun n’est pensé en conséquence.

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  • Pour compléter cet article
    27 mai 2020 14:32, par Rebecca

    SGDL, par Pierre Jourde, réponse à Joann SFar

    https://www.nouvelobs.com/les-chroniques-de-pierre-jourde/20200526.OBS29332/sgdl-par-pierre-jourde.html

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    • Répondu par Xav le 27 mai 2020 à  22:28 :

      Autant être honnête et donner le lien vers la réponse de Sfar

      https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20200526.OBS29339/reponse-a-pierre-jourde-par-joann-sfar.html

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      • Répondu le 28 mai 2020 à  05:43 :

        Autant être honnête, Pierre Jourde maîtrise beaucoup mieux l’écrit que Joann Sfar.

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        • Répondu par Xav le 28 mai 2020 à  06:28 :

          Ce n’est pas pour ça qu’il aurait plus raison, et malheureusement pour lui il a moins de succès.

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          • Répondu le 28 mai 2020 à  09:11 :

            Ce n’est pas non plus parce que Sfar a plus de succès qu’il a plus raison.

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            • Répondu le 1er juin 2020 à  04:56 :

              Suite à la réponse de Joann Sfar criant à la censure, Pierre Jourde, écrivain, répond une nouvelle fois à Joann Sfar :

              SGDL, suite et fin par Pierre Jourde

              "Un type vous abreuve d’avanies pendant des mois sur les réseaux sociaux, vous traite de vieux croûton, de vendu, d’impuissant et de mou du genou. Vous n’êtes évidemment pas content, mais vous ne réagissez pas, vous n’avez pas envie de polémiquer ni d’alimenter la machine à dispute. Et c’est en effet de la liberté de critique. Et puis, un beau jour, le type, au micro, devant 300.000 personnes, déclare que vous avez piqué dans la caisse."

              https://www.nouvelobs.com/les-chroniques-de-pierre-jourde/20200529.OBS29493/sgdl-suite-et-fin-par-pierre-jourde.html

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              • Répondu par Fred le 4 juin 2020 à  10:52 :

                Joann Sfar n’a jamais cité Pierre Jourde sur France inter, celui-ci prend tout personnellement alors qu’on ne le connait pas... bref il a trouvé là un moyen de se faire mousser.

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    • Répondu par Rebecca le 28 mai 2020 à  10:04 :

      Il m’a semblé judicieux d’avoir un autre son de cloches pour se faire son propre avis. Et je savais que dans l’article de P. Jourde il y avait tout en bas et bien visible le lien pour lire La réponse de J. Sfar.

      Sfar dit qu’il a le droit de critiquer la SGDL sauf que ce n’est pas du tout ce qu’on lui reproche. Allez réécouter ce qu’il dit et remplace « SGLD » par « Sfar » et cela saute aux yeux et c’est grave. Je ne sais pas qui le conseille mais il s’enfonce là. Des excuses et une discussion.

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      • Répondu par Toto le 28 mai 2020 à  14:22 :

        Ce n’est pas parce qu’on va causer dans les médias qu’on peut dire n’importe quoi et proférer de fausses accusations. Ce qu’on lui reproche est clairement exposé dans le communiqué de la SGDL. Et son attitude ne va rien arranger à notre situation "d’auteurs aux revenus incertains" qui n’ont pas d’amis journalistes pour faire leur promo ou créer des polémiques !

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