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Sandrine Martin ("Émotive") : « J’utilise la BD pour rendre concrètes les interrogations qui traversent mes personnages » [INTERVIEW]

Par Christian MISSIA DIO le 20 novembre 2023                      Lien  
Après "Chez toi", un roman graphique lauréat du Prix Atomium de la BD citoyenne il y a deux ans, Sandrine Martin nous propose un nouveau récit intitulé "Émotive", publié une nouvelle fois aux éditions Casterman. À cette occasion, l'autrice nous dévoile les coulisses de cette aventure mettant en scène Alice, une femme désemparée face au stress du travail, aux défis de la parentalité et aux interrogations sur sa vie amoureuse. L'arrivée inattendue de Zorica, une extraterrestre haute en couleur, apporte une bouffée d'ondes positives et dévoile les secrets des émotions humaines.
Sandrine Martin revisite avec humour les codes du développement personnel, invitant les lecteurs à réfléchir sur leurs propres sensations et à trouver des solutions pour surmonter les incertitudes du quotidien.

Sandrine Martin, votre nouveau roman graphique publié aux éditions Casterman s’intitule Émotive. Celui-ci raconte une sorte de voyage intérieur, un guide pour se sentir mieux dans sa peau... Comment est né ce projet ?

Sandrine Martin : Je suis très curieuse depuis assez longtemps en ce qui concerne le fonctionnement notre mental. Je me suis donc intéressée à cette question de différentes manières, du côté des neurosciences, de la psychanalyse, de la psychologie. Ma mère est psychanalyste. Et, lorsque j’étais ado, je prenais ses livres dans sa bibliothèque et je lisais plein de choses sur ces sujets. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est de mettre en scène, grâce à la BD, toutes ces questions en créant des espaces où le personnage peut se déplacer et rendre concrets tous ces questionnements qui peuvent être assez abstraits.

Sandrine Martin ("Émotive") : « J'utilise la BD pour rendre concrètes les interrogations qui traversent mes personnages » [INTERVIEW]
Émotive
Sandrine Martin © Casterman

Tout au long du récit, nous suivons Alice, un personnage qui vous ressemble beaucoup physiquement. Et vous avez créé un second protagoniste prénommé Zorica qui va l’accompagner dans ce voyage intérieur. Zorica fait penser un peu au film Disney Vice-versa. Comment avez-vous eu l’idée de créer ce personnage qui est une sorte de mentor pour Alice, mais qui, plus tard, sera prise en main à son tour par cette dernière ?

C’est un peu comme un conte de fées. Zorica, c’est la marraine bonne fée qui survient, d’un coup de baguette magique, et qui donne à Alice accès à tout un univers mental auquel elle n’avait pas accès auparavant : au fait de prendre conscience de ses émotions, de les ressentir dans son corps et d’évoluer de cette manière.

J’ai aussi créé Zorica pour donner un ton humoristique à l’histoire. Parce que ce personnage est complètement décalé. C’est une extraterrestre qui est spécialiste des êtres humains, mais on voit qu’elle est toujours heureuse et méga enthousiaste avec tous les curseurs à fond vers la gaieté. Et du coup, elle est décalée par rapport à notre univers humain dans lequel nous évoluons.

Pourquoi avez-vous créé ce contraste entre Alice et Zorica ?

Ce que j’observe chez moi, c’est que je peux être très négative, très pessimiste, désespérée dans certaines situations. Ce sont des traits de caractères que l’on retrouve chez Alice. Mais je peux aussi être super-enthousiaste comme Zorica. J’ai l’impression que c’est deux parties de ma personnalité que j’expérimente, qui se retrouvent là, face à face pour évoluer ensemble, qui ne peuvent pas cohabiter au même moment mais qui, grâce au livre, se confrontent.

Sandrine Martin © Casterman

Il y a une sous-intrigue dans ce récit : Alice a un projet avec son époux, celui d’avoir un enfant. Il s’agit d’une grossesse assistée. Pourquoi avez-vous tenu à aborder cette thématique dans votre roman graphique ?

J’ai vu des amis qui passaient par cette démarche. Et j’ai vu combien c’était difficile. Mais ce n’est pas quelque chose qui est au cœur de l’histoire.

J’ai mené des entretiens avec une personne que je connais pour savoir vraiment comment ça se passait. Et même si ça reste en arrière-plan du récit, cela me semblait intéressant d’avoir cette thématique. Parce que ce sont des expériences qui peuvent être vraiment difficiles. Elles amènent plein d’émotions à chaque étape du protocole.

Qu’est-ce que ça dit d’Alice, ce parcours-là, ce projet ? Parce que finalement, elle est déjà maman. Qu’est-ce que ça dit d’elle, ce désir d’avoir un second enfant ?

Je pense que pour elle, c’est vraiment central d’être maman. Et je pense aussi que le fait d’être parent amène plein d’interrogations dans nos vies dont nous ne sommes pas forcément conscients avant d’avoir des enfants. C’est une expérience que peuvent partager beaucoup de parents, de se rendre compte qu’ils doivent prendre soin d’eux. Et après avoir assez d’espace émotionnel, je dirais, le soir, pour accueillir les émotions de leurs enfants, leur faire de la place, les comprendre, ne pas s’énerver comme eux, en miroir. Et ça, c’est quelque chose qui change beaucoup de choses quand on devient parent. Je pense aussi que je n’aurais pas cherché autant, je n’aurais pas eu tous ces questionnements si je n’étais pas devenue mère, et si je n’avais pas été confrontée aux colères de ma fille, par exemple. Ce sont vraiment des sujets qui me tiennent à cœur.

Ce projet de bande dessinée a-t-il répondu à des questionnements personnels, ou vouliez-vous apporter quelque chose aux lectrices et aux lecteurs au niveau du bien-être ? Qu’elles et qu’ils apprennent à se faire confiance, acceptent d’avoir des moments de doute ? Et puis aussi de prendre du recul de temps en temps parce que ça permet de recharger les batteries, pour pouvoir ensuite repartir de l’avant et affronter les défis de la vie. Comment cet album a-t-il agi sur vous ?

Je dirais plus qu’en amont, j’ai expérimenté pas mal de choses. Et que cet album était plutôt le désir de partager mes questionnements, mes interrogations, mais aussi mes trouvailles, parce qu’il y a des choses qui ont un peu été des découvertes pour moi. Je me suis intéressée notamment aux thérapies cognitivo-comportementales, qui mettent en valeur le lien qu’on peut avoir entre notre système de représentation, nos pensées, nos émotions, et ce qu’on fait, le comportement. Par exemple, l’idée que nos pensées ne sont pas la réalité, pour moi ça a été important de me rendre compte de ça, parce que...

(Je coupe) Votre propre imagination vous jouait des tours ?

Oui, voilà. Par exemple, si je pensais que j’étais nulle, j’allais le croire, mais c’est juste une phrase dans ma tête, et finalement j’ai envie de penser autre chose. Ces petites choses dont je parle dans le livre, j’avais envie de les partager.

Sandrine Martin © Casterman

Au niveau graphique, vous avez poursuivi la même méthode que dans votre livre précédent, Chez toi. C’est votre style habituel ?

Oui, c’est un style que j’ai développé au fil des années.

Vous pouvez nous en dire un peu plus sur la manière dont vous travaillez ?

En fait, mes premiers livres sont pour la plupart en noir et blanc. J’ai fait aussi un livre au crayon à papier qui s’appelle La Montagne de sucre, qui est également en noir et blanc. Ensuite j’ai fait un Niki de Saint Phalle, en noir et blanc avec des rehauts de couleurs. J’ai l’impression que mon travail devient de plus en plus coloré, et même par rapport à Chez toi où il y avait principalement deux couleurs, le bleu et le rouge. Là, ça s’ouvre à plein de couleurs. Pour moi, il y avait un certain plaisir à utiliser cette nouvelle palette, et me faire plaisir avec le dessin.

C’est un projet qui vous a occupé combien de temps ?

J’ai regardé dans mes archives récemment et j’ai écrit une première phrase sur le projet, c’était en début 2020. Donc ça m’a occupé trois ans.

Sandrine Martin © Casterman

Juste avant le Covid-19 ou pendant ?

Oui, c’était à ce moment-là, pendant le Covid.

Est-ce que cette période a influencé votre travail ?

En fait, à partir du confinement, j’ai recommencé à travailler chez moi. Et j’y suis restée parce que je me suis rendue compte que je m’y sentais plutôt bien. Mais à l’époque, je me demandais s’il fallait représenter les gens avec des masques, ou sans masque, et des interrogations comme ça.

Le confinement n’a pas été une période facile à traverser. Pour moi, c’était temporaire, donc je l’ai pris comme ça. Et ça fait du bien que tout soit revenu à la normale.

Quels sont vos projets ?

J’aimerais bien faire un livre d’images, comme La Montagne de sucre dont j’ai parlé, mais qui serait complètement en couleur. J’ai déjà réalisé quelques images pour commencer ce livre. J’aimerais bien en dessiner une centaine et que ça devienne un livre.

Sandrine Martin © Casterman

Il y a environ 25 ans, une série d’auteurs sont passés de la couleur traditionelle à la couleur directe. Votre passage du noir et blanc à la couleur illustre-t-il un cheminement similaire ?

J’ai l’impression qu’au niveau technique, comme du dessin, j’étais peut-être au début plus centrée sur les idées. Du coup, le noir et blanc, c’était une manière de simplifier, d’être seulement dans les valeurs ou dans le trait, la couleur amènant une petite complexité supplémentaire. Mais c’est aussi une manière de se faire plaisir avec le dessin, et peut-être d’exprimer des choses que je ne pouvais pas exprimer avant. J’ai l’impression qu’il y a vraiment cette idée de se faire plaisir et de créer des ambiances colorées.

Je sais qu’il y a des auteurs qui gardent le même style, qui sont très constants et homogènes toute leur carrière. C’est quelque chose que j’admire assez, parce que ça crée une œuvre qui est tellement cohérente. Moi, j’ai travaillé avec de l’encre, des encres de couleurs, du crayon de papier, etc. Et j’ai tout le temps envie d’expérimenter des nouvelles choses.

Vous avez travaillé avec quel type de couleurs ?

Je travaille avec des crayons de couleur Faber-Castell. Ils sont trop bien ces crayons !

Et au niveau du papier, vous utilisez quoi ?

J’utilise du papier Nostalgia Hahnemühle. C’est du très bon papier, c’est le même depuis des années. En fait, il y avait une rupture de stock assez récemment, c’était un peu tendu au niveau du papier, et j’étais désespérée, j’en ai racheté plein quand j’en ai retrouvé. On a tous nos maniaqueries. C’est un papier qui est très lisse. J’avais écouté une interview de Lorenzo Mattotti dans laquelle il parlait du papier qu’il utilisait. C’est un papier qui a du grain, et je l’ai acheté, je l’ai testé, mais ça ne marche pas du tout avec moi. Du coup, mon papier lisse me va très bien. J’y obtiens des matières très veloutées rapidement, très douces.

Émotive
Sandrine Martin © Casterman

Voir en ligne : Découvrez le roman graphique "Émotive" sur le site des éditions Casterman

(par Christian MISSIA DIO)

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Code EAN : 9782203281202

En médaillon : Sandrine Martin
Photo : DR

Émotive - Par Sandrine Martin, éditions Casterman.
Album paru le 6 septembre 2023. 232 pages couleur, 18,99 €.

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